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Cyrano de Bergerac

12272735882?profile=original"Cyrano de Bergerac" est une comédie en cinq actes et en vers d'Edmond Rostand (1868-1918), créée à Paris au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 28 décembre 1897, et publiée à Paris chez Fasquelle en 1898.

 

En décembre 1898, Edmond Rostand était un jeune auteur de théâtre cherchant sa voie dans un théâtre poétique en marge des courants symbolistes et décadents. Ses drames la Princesse lointaine (1895) et la Samaritaine (1897) avaient été interprétés par la plus grande actrice de l'époque, Sarah Bernhardt, sans connaître le véritable succès espéré. Le triomphe et la gloire lui arrivèrent brutalement avec Cyrano de Bergerac.

 

"Une représentation à l'hôtel de Bourgogne" (en 1640). La salle du théâtre se remplit: on va y donner une pastorale, la Clorise, dans le genre précieux. Le jeune et beau Christian de Neuvillette  y vient contempler la femme qu'il aime: Roxane, une précieuse "épouvantablement ravissante" à qui le comte de Guiche fait la cour. La pièce commence, mais est vite interrompue par le turbulent Cyrano de Bergerac, qui interdit à l'acteur Montfleury de jouer, car il est trop gros! Des spectateurs protestent, et l'un d'eux provoque Cyrano, en critiquant son nez, "très grand" - ce à quoi le héros réplique par la célèbre "tirade des nez", éloge de sa propre laideur, avant de se battre avec l'importun. Pendant le duel, il compose une ballade ("A la fin de l'envoi, je touche!"). A son ami Le Bret, il confesse qu'il aime passionnément Roxane sa cousine; mais sa laideur le laisse sans espoir. Or Roxane lui fait justement demander un rendez-vous pour le lendemain! Soudain galvanisé, Cyrano part se battre, seul contre cent (Acte I).

 

"La Rôtisserie des Poètes", c'est-à-dire chez le restaurateur Ragueneau, qui nourrit généreusement les poètes sans le sou, Cyrano vient au rendez-vous de Roxane; elle lui explique qu'elle est éprise d'un homme, en qui il croit se reconnaître - jusqu'au moment où elle dit que celui qu'elle aime est beau. Elle ne lui a jamais adressé la parole et n'en sait que le nom: Christian de Neuvillette; il vient d'entrer dans la compagnie de cadets de Cyrano; Roxane lui demande de protéger le jeune homme. Bouleversé par cette révélation, Cyrano se heurte un peu plus tard à son rival. Mais découvrant que Christian est d'un vrai courage, il décide de le prendre sous sa protection et de l'aider à conquérir Roxane (Acte II).

 

"Le Baiser de Roxane". C'est l'"acte du balcon". Si Christian est beau et courageux, il manque totalement de bel esprit. Or Roxane, précieuse, ne conçoit pas l'amour sans l'accompagnement d'une conversation savante, spirituelle et piquante. Caché dans l'ombre, c'est Cyrano qui souffle à Christian les mots qui le font accéder au bonheur. Resté seul, Cyrano, par le récit de ses voyages vers la lune, écarte de Guiche, venu conquérir Roxane - ce qui permet à celle-ci d'épouser en hâte Christian! Pour se venger, de Guiche envoie au siège d'Arras la compagnie de Cyrano et, donc, Christian (Acte III).

 

"Les Cadets de Gascogne". Bloqués par les Espagnols qui les cernent, les cadets meurent de faim. Cyrano les encourage, mais en vain, quand arrive, ayant hardiment franchi les lignes ennemies, Roxane, bonne fée au carrosse empli de victuailles. Lorsque Christian apprend qu'"il" a écrit et tous les jours envoyé au péril de sa vie une lettre à Roxane, il comprend que Cyrano est amoureux d'elle - et qu'en Christian elle a vu un bel esprit, alors qu'en réalité, c'est le poète Cyrano qu'elle aime sans le savoir. Effondré, le jeune homme court se faire tuer au combat (Acte IV).

 

"La Gazette de Cyrano". Quatorze ans après. Roxane, veuve, s'est retirée dans un couvent où Cyrano vient lui rendre visite chaque jour et dire sa "gazette", les potins de la ville. Ce jour-là, victime d'un accident, en réalité un attentat, il est mourant mais il le cache. Elle lui fait relire une belle lettre prétendument écrite par Christian le jour de sa mort; mais elle s'aperçoit qu'il la lit encore la nuit venue - qu'il la connaît par coeur - et donc qu'il en était l'auteur: elle comprend tout, et surtout qu'elle aimait Cyrano, et non Christian, l'esprit et non le corps séduisant. Après cet aveu, Cyrano révèle sa blessure et peut mourir heureux (Acte V).

 

La critique de Cyrano est facile, et beaucoup d'esprits très distingués s'y sont livrés: mauvais goût, lourdeurs, mélo, anachronismes. Tout cela est vrai - et n'est rien face à l'évidence: Cyrano, au spectacle ou à la lecture, déborde d'un charme, d'une émotion, d'une verve irrésistibles. S'il est de mauvaises raisons d'aimer la pièce (un certain patriotisme cocardier), il en est bien davantage d'excellentes, auxquelles nous nous arrêterons.

Ce sont d'abord les vertus théâtrales de l'oeuvre. Rostand met en scène dans Cyrano tout un ensemble de procédés et de techniques qui en assurent l'efficacité scénique: théâtre dans le théâtre à l'acte I; grand spectacle proche de la féerie avec l'arrivée du carrosse (acte IV); variations sur un thème classique habilement renouvelé dans la scène du balcon à l'acte III; contrastes marqués comme l'enchaînement des actes IV et V; vacarme et violence du champ de bataille suivis de la paix automnale du cloître. De tous ces effets Rostand joue en maître.

 

Mais, bien entendu, au rôle de Cyrano revient l'essentiel de cette théâtralité; le personnage fut écrit pour Coquelin, grand acteur dont Rostand connaissait exactement les possibilités et les faiblesses: c'est un texte composé sur mesure, peut-on dire, dans la lignée du répertoire où triomphait le comédien, avec des morceaux de bravoure dans l'esprit de Figaro ou de Ruy Blas. Les grands monologues brillants et virtuoses comme la tirade des nez ou les voyages dans la lune font du rôle de Cyrano l'un des plus riches du répertoire. Coquelin se trouvant moins à l'aise dans les scènes d'amour, Rostand en fit le spectateur un peu voyeur des épanchements de Christian et de Roxane, l'éternel exclu. Mais cette impossibilité même de participer à la scène d'amour autrement que dans l'ombre fait de Cyrano un personnage émouvant et proche du spectateur, exclu lui aussi, relégué dans l'ombre de la salle. Par l'emploi de l'alexandrin volontiers claironnant qui s'enivre de lui-même, avec le sentiment qu'en 1897 ce théâtre en vers est déjà un peu anachronique, le héros de Rostand achève d'emporter l'adhésion. Autant de raisons qui expliquent l'immense succès immédiat de la pièce et la fascination que le rôle exerça constamment sur les plus grands acteurs: après Coquelin, le rôle fut repris notamment par Le Bargy, André Brunot, Pierre Fresnay et, plus près de nous, par Pierre Dux, Jean Piat, Jacques Weber, Jean-Paul Belmondo. Plusieurs versions musicales (la plus connue étant celle d'Alfano en 1936) en furent tirées, mais le cinéma surtout se plut à adapter la pièce: le premier film date de 1909, le plus récent de 1990: dû à Jean-Paul Rappeneau et interprété par Gérard Depardieu dans le rôle de Cyrano, il obtint un succès mondial.

 

L'art de Rostand, l'émotion dégagée par l'amour impossible de Cyrano pour Roxane suffiraient à expliquer la réussite de l'oeuvre, mais on peut suggérer d'autres raisons encore. L'une d'elles tient à la façon dont Rostand concilie une veine populaire et des références plus savantes. La veine populaire reprend la tradition d'Alexandre Dumas et des Trois Mousquetaires: la verve gasconne, la cape et l'épée dans le Paris de 1640, l'ombre du cardinal de Richelieu se retrouvant chez Dumas comme chez Rostand qui laisse d'ailleurs d'Artagnan traverser la scène à l'acte I. Mais Cyrano de Bergerac met aussi en scène, plus subtilement, la vie intellectuelle du temps de Louis XIII: le monde des "libertins" dont fait partie le héros, et l'univers de la préciosité, grâce à Roxane et à la représentation jouée à l'acte I - cet univers baroque permettant de mieux comprendre la figure historique de Cyrano, dont pour l'essentiel Rostand respecte les traits réels.

 

Cyrano de Bergerac est donc l'évocation d'une période brillante de la culture française, trop souvent éclipsée par le "siècle de Louis XIV". Rostand s'inscrivait ainsi dans le sillage d'un Théophile Gautier, l'un des premiers au XIXe siècle à réhabiliter l'époque Louis XIII - et en particulier à s'intéresser à Cyrano de Bergerac, alors très oublié.

Aujourd'hui, le chef-d'oeuvre de Rostand possède aussi un autre charme: il reflète le moment où il fut écrit, cette "fin de siècle" décadente dont le poète était le témoin. Dans l'histoire du théâtre, Cyrano, malgré sa formidable énergie, est une oeuvre crépusculaire: d'un romantisme moribond, son lyrisme opulent se teinte souvent de morbide. La forme même de la pièce, le drame en vers, est déjà une survivance lorsque Rostand la fait jouer. Qu'on y songe: un an plus tôt, presque jour pour jour, le théâtre de l'Oeuvre créait l'Ubu roi d'Alfred Jarry, où la plus agressive modernité naissait dans le scandale. Chez Rostand, le thème de l'amour impossible, l'idéalisation de la figure féminine, la malédiction pesant sur le poète assurent au sein du drame historique la présence du registre décadent fin de siècle qui allait en 1900 se déployer beaucoup plus visiblement dans l'oeuvre suivante de l'auteur, l'Aiglon.

 

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Commentaires

  • J'ai  lu et relu ce texte un si grand nombre de fois sans en être repue et vu et revu cette pièce de Rostand sans jamais m'en lasser!  L'émotion est toujours intacte et décline ses subtilités suivant l'acteur qui incarne ce magnifique personnage... Ce sont des vers certes, mais ils sont tellement spontanés qu'on pourrait les prendre pour de la prose et je pense ici à la version cinématographique avec Depardieu où pourtant le texte est bien l'original!

    Merci d'en avoir fait l'historique

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