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«Les jeux, j’en connais un bout», confie Nourreddine Louhal dans son prologue. «Alors, quoi de mieux qu’une excursion dans l’univers féerique de l’enfance, pour y boire à la fontaine de jouvence et retrouver ainsi ma tendre enfance...»

 

Voilà un auteur qui écrit avec persévérance et beaucoup de régularité, réussissant à créer, dans chaque livre, cette ambiance particulière qui procure des émotions au lecteur. Dans son dernier ouvrage Alger la blanche. Contes, légendes et bouqalate, paru aux éditions Tafat, l’écrivain visuel (qui ne néglige pas pour autant son écoute) a surtout fait appel à sa mémoire. Il a cherché des souvenirs de son enfance, mystérieux et importants. Des souvenirs comme des morceaux de puzzle qu’il est arrivé à placer, le tout complété par le recueil de témoignages qui ont pu se transmettre par voie de tradition orale. «Et, c’est ainsi que j’ai décidé de refaire le chemin à l’envers » pour cueillir l’historiette et le conte que j’avais écrits sur les murs de ma Casbah ! Certes ils s’en trouvent décrépits les murs de ma Casbah, mais c’est l’endroit qui me parle le mieux et que je comprends si bien ! Généreuse dans l’âme, j’eus tôt fait de récupérer ce patrimoine immatériel de sous les décombres des douérate effondrées. D’ailleurs, en voici un assortiment de ces contes et légendes que j’ai dépoussiérés de l’oubli et que j’ai imaginés dans le décor des dédales de z’nikat», nous dit-il dans son langage coloré, à la sève généreuse. Etant natif de la médina d’Alger, Nourreddine Louhal n’a pas eu trop de difficulté à écrire sur le passé de la vieille ville, un passé dont il a pu reconstituer un aspect passionnant (les contes, légendes et autres bouqalate), en plus de donner une description très exacte de l’environnement qu’il connaissait. Le livre est d’ailleurs rempli de détails finement observés sur les lieux, les gens. Le décor fait donc partie du thème, si ce n’est pas le thème lui-même, comme le suggère le titre de l’ouvrage («Alger la blanche»). «Au demeurant, j’ai pris le soin d’enjoliver chaque conte du décor d’un lieu, d’un endroit qui va sans aucun doute aider le lecteur à mieux connaître le vieil Alger», précise l’auteur dans le prologue.

L’originalité du livre, c’est justement de combiner les caractéristiques du récit oral (des histoires à raconter, censées peu ancrées dans l’espace et le temps) et l’effet de réel (des histoires qui donnent aussi à voir, car fortement ancrées dans un lieu et une époque). Ici, les personnages des contes et légendes se révèlent non seulement par leurs actions, mais encore par leur décor habituel de vie, leur environnement physique et social et par des impressions sensorielles, exprimées sous forme d’images. Toponymie et anthroponymie, éléments d’histoire et données anthropologiques ajoutent au cachet d’un ouvrage qui porte l’estampille de Nourreddine Louhal. Autant dire que l’auteur invite à un voyage merveilleux, dans un autre monde, régi par d’autres lois ; mais aussi à une visite guidée qui permet au lecteur de voir et de comprendre tout ce qui se passe dans la médina. «Ne jamais cesser de tenir dans sa main, la main de l’enfant que l’on était», disait Miguel de Cervantès. Pour éviter la vieillesse mentale et maintenir la jeunesse d’esprit, les parents devraient lire ce livre. A leur tour, ils pourront raconter à leurs enfants les histoires qui avaient peuplé l’âge de la féerie et des enchantements, du temps où Alger la blanche était encore généreuse de bienfaits et de lieux mythiques. Place maintenant au voyage dans le merveilleux, à travers les vestiges d’une civilisation disparue (ou les traces qui en restent) et les souvenirs d’un passé pas si lointain que ça. Le flâneur (car, dans cette visite guidée, on se promène sans hâte, au hasard, en s’abandonnant à l’impression et au spectacle du moment) pénètre dans «La Casbah d’Alger par la « z’niqa » (venelle) Azzouzi-Mohamed qui s’ouvre à l’angle de la villa du Millénaire (ex-villa du Centenaire), de l’architecte Léon Claro sise à Bab Edjedid». Il est aussitôt accueilli par les effluves de la vie, l’odeur du basilic (lahbeq) «qui s’échappe des touiqat (fenêtres) pour mettre en fuite la mélancolie et l’état d’âme versatile du poète». Comme entrée en matière, dans l’avant-propos, on ne peut faire mieux : le pouvoir évocateur de l’odeur du basilic est si fort que la mémoire olfactive du lecteur s’en trouve aiguillonnée. Cela a le pouvoir d’exciter l’imagination, les empreintes laissées par les odeurs dans notre mémoire étant de formidables réserves d’émotions. Par la vertu d’une plante à feuilles aromatiques, c’est l’enfance qui se dresse devant le promeneur. 

Le talent de conteur de Nourreddine Louhal faisant le reste, le visiteur n’a plus qu’à se laisser «conter récits et légendes par les galeries de vieilles pierres et les murs qui recèlent de tendres souvenirs de jeunesse». Au reste, l’hospitalité proverbiale de «l’anonyme Casbadji, si prompt à l’échange d’un sbah el kheir rassurant et prometteur», est un appel à retrouver l’enfant ludique qui est en soi, celui qui imaginait des histoires et des aventures fabuleuses.

Dans son avant-propos, l’auteur multiplie les prévenances. Il joue parfaitement son rôle d’hôte, expliquant à son lecteur qu’un conte «ça se déguste et se discute à la fin», et combien le menu offert se compose de mets fort savoureux : «La Casbah est bel et bien ce sillon de terre si propice à l’éclosion de contes et de légendes, du moment qu’il est fertilisé par l’imagination des petites gens.» Foi de grand-mère Keltouma qui en possédait une riche collection ! Elle qui, au soir des longues nuits d’hiver, quand le f’nardji (l’allumeur de réverbère) «plantait le décor pour l’heure du conte», se faisait d’abord prier «pour lui arracher hadjitek, cette clef du conte et à laquelle je m’empressais de répondre madjitek, nous rappelle-t-il. La grand-mère se prêtait au jeu, enfin, elle ressortait quelques contes en commençant par diminuer la lumière de la lampe à pétrole. Respectueux du cérémonial, l’enfant espiègle est maintenant sage comme une image. Il est tout- ouïe. «Les contes de chez nous» (titre du chapitre premier) que raconte l’auteur selon une lecture remixée, ce sont des histoires qui gardent une part importante d’imaginaire, mais qui fonctionnent suivant la trame du récit réaliste. Ils sont, en effet, connectés à des souvenirs d’enfance et de jeunesse, à des fragments de culture populaire, à des endroits mythiques qui risquent de s’effacer à jamais de la mémoire collective. Sous la plume de Nourreddine Louhal, tout cela respire et insuffle la vie à la médina.

C’est cheikh El Kanoun, «le gardien des flammes et des feux éternels», qui inaugure la galerie de personnages fantastiques, pittoresques, truculents, terriblement attachants qui peuplent l’univers fantasmagorique du petit Casbadji. «Soyez sages ! De là où il se blottit dans la chaleur des braises, cheikh El Kanoun épie nos faits et gestes et il saura reconnaître l’ange du garnement qu’il punira !» avertissait la Mani Keltouma. Lorsque la tendre grand-mère s’énervait, elle brandissait la menace de «L’ghoula» (l’ogresse) et se mettait à héler «Aïcha moulate r’djel el maâza, ou l’ogresse aux pieds de chèvre». Et l’auteur de raconter «Aïcha Kandisha, la « « Condesa »’ d’Espagne belle et vorace», dont l’histoire remonte probablement au temps des raïs et de la course en Méditerranée. Il y a ensuite l’histoire de M’qidèche, de L’ghoula et de sa captive Loundja. Ici, le voyage commence «du temps où l’homme et l’animal se parlaient et réalisaient des roulés-boulés» ensemble, et s’achève dans l’oued K’nis et le Ravin de la femme sauvage. Le lecteur retrouve Loundja, la captive d’El Ghoula, dans le conte suivant et dont Nourreddine Louhal a imaginé les aventures dans Dar El Ghoula, située dans le quartier de Soustara. Et puis, peut-être aussi que L’Ghoula et le grappin n’en font qu’un ? «Un mystère demeure toutefois : mais pourquoi a-t-on attribué le nom de L’Ghoula à cet outil ?» L’histoire de Settoute la sorcière, également très imagée et pleine d’enseignements, est suivie d’une digression sur un cheval, un sultan, un hakim et Richard III d’Angleterre. Quant à l’incontournable Djeha, il illumine de ses facéties les quartiers de «Djamâa Lihoud», de Laâqiba ou le souk des Trois Horloges de Bab El-Oued. Ah ! le spectacle de Djeha et son fils portant un âne sur leurs épaules. Mais écoutons plutôt le père de l’auteur qui disait : «Dis au prétentieux qui te regarde du haut de son âne : félicitations, ton baudet a tout d’un cheval.» L’auteur a plein d’autres histoires à raconter sur l’âne si doux (l’âne «Sidhoum», l’ami d’El Bahdja), le pilon (El yad el mahrez, ou eddenya mâa el ouakaf), ou encore l’histoire du «Ravin de la femme sauvage». Avec ce dernier conte s’opère la transition en douceur vers le récit populaire traditionnel, plus ou moins fabuleux : les légendes d’Alger (deuxième chapitre).

«Au cœur de la séculaire Casbah d’Alger, on entend encore le murmure de la galerie de vieilles pierres qui content des liaisons sentimentales, souvent dramatiques et porteuses de morale. L’histoire de L’Mâakra, N’fissa et sa sœur Fatma, Khedaoudj El Aamia, la reine Zaphire, Lalahoum, El Aalia et Lalla Mimouna en est un bouquet d’idylles de cœurs parmi tout un florilège d’histoires à l’eau de rose», résume l’auteur avant de partir sur les traces de tous ces personnages de légende. Où le lecteur découvre que «l’amour apprend les ânes à danser», sinon que «l’amour est tout yeux et ne voit rien».

 Les traces de ces héroïnes, c’est aussi dar raïba (la maison en ruine) à Houanet Sidi Abdellah, c’est le cimetière profané des deux princesses N’fissa et Fatma à la rue N’fissa, c’est la douera de L’Mâkra et tant d’autres lieux chargés de culture et d’histoire que l’auteur revisite dans les «Scènes d’Alger». Le troisième et dernier chapitre («Le jeu de la bouqala et les croyances populaires») complète le florilège de pièces choisies qui, toutes, charrient des valeurs, des croyances, des attitudes et des normes sociales.

Pour l’auteur, c’est une manière intelligente de rappeler au lecteur que ces histoires sont un excellent moyen de communication, d’apprentissage à comment se conduire et comment réfléchir, de développement de la pensée critique et de l’empathie. Le mérite de Nourreddine Louhal, c’est d’avoir réécrit ces histoires selon une grille de lecture contemporaine et avec le talent qu’on lui connaît. A savourer, le soir, de préférence avec un bon thé.

Hocine Tamou

 

Nourreddine Louhal Alger la blanche. Contes, légendes et bouqalate, éditions Tafat 2016, 254 pages, 600 DA.

 

In Le Soir d’Algérie du Mercredi 8 Mars 2017.

Nombre de lectures : 924

 

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