« Entrevisions » est un recueil poétique de Charles Van Lerberghe (Belgique, 1861-1907), publié à Bruxelles chez Paul Lacomblez en 1898.
Le manuscrit initial comprenait trois mille vers, et fut considérablement réduit par un "jury éditorial" composé par des amis de l'auteur: Albert Mockel, Fernand Severin, Maeterlinck. Ce dernier se montra particulièrement sévère pour les pièces auxquelles il reprochait "naïveté, rhétorique, fadeur, abus d'eau de rose, etc.". Le choix du titre lui-même donna lieu à de longues discussions, et même à un référendum. A "Trames", "Jeux et Songes", "Sous voile", fut finalement préféré le titre proposé par l'auteur: quoique constituant un néologisme, Entrevisions possédait le mérite de contenir à la fois l'anglais glimpse et l'allemand Durscheinende.
Le recueil est divisé en trois parties: "Jeux et Songes", "le Jardin clos", "Sous le portique". La première offre une panoplie de métamorphoses furtives, associées à toutes les incarnations de l'image féminine: l'amour s'éveille, disparaît, mais s'idéalise dans le souvenir ("Psyché"); des reflets de fleurs et d'anges s'évanouissent sous la buée d'une haleine ou d'un baiser ("le Miroir"); la nymphe dormant les yeux ouverts est surprise par l'éclair qui se mire en ses yeux: "Et tout un jardin ébloui / S'illumine au fond de la nuit / Dans le rapide éclair d'un rêve" ("Dans la Nymphée"); ou bien, par un mouvement lent et multiforme qui anime tout le poème, la Vierge "étoile de la mer", prend le visage de Vénus. La deuxième partie propose onze poèmes d'une unité remarquable. Chacun d'eux est précédé d'une épigraphe en latin, librement adaptée du Cantique des cantiques, qui d'ailleurs inspire l'ensemble. En un long monologue, la Femme s'éveille à l'amour dans un demi-songe où miroitent les ambivalences de sa propre image: "Je suis l'enfant qui tient des mondes / Et la Vierge qui tient des lys." Elle est miroir du cosmos ("Toute l'aurore brille en mes yeux") ou se fond en lui: "J'ai joué dans la neige en feu / Des étoiles du paradis / J'en suis toute revêtue." Enfin, elle n'est plus que la sensation éveillée par l'Époux. La dernière partie offre une série de variations sur les métamorphoses du temps - clair-obscur dans lequel, par un jeu d'avatars, alternent mort et renaissance ("l'Oubli", "la Mort", "In Memoriam").
Albert Mockel écrit à propos du recueil Entrevisions: "Les vers de Van Lerberghe font penser à des anges qui suivraient le cortège de Vénus; à demi voilés de leurs ailes, ils cachent leurs yeux bleus étonnés et leurs lèvres, à qui les délices des sens viennent d'être révélés. Ce sont des anges païens - ou si l'on veut, ce sont de simples jeunes filles." Sans doute cette dernière assertion est plus que contestable, car la "simplicité" de la jeune fille des Entrevisions n'est en réalité qu'une apparence. Pour le reste, le jugement est perspicace et suggestif. Van Lerberghe a dit lui-même qu'il n'a pas cherché à faire de l'étrange intentionnellement, mais qu'il a voulu composer un poème d'une "beauté, intense et mystérieuse". Le sujet de ses poèmes, il le cherche "aux confins de la vie". Car, dit-il, "je crois que toute profonde beauté est mystère, et que ce côté mystérieux est un signe qu'on l'a entrevue". C'est en effet l'originalité de ce recueil de côtoyer la métaphysique, sans que jamais le poète ne devienne philosophe. On peut cependant déplorer, dans cette poésie savante et parfois un peu artificielle, la monotonie d'un vocabulaire fade (abus des mots "rêve", "roses", "radieux", "doux"...) et la grandiloquence de l'image. Quant à l'aspect païen, il est à la fois omniprésent et fondamental, comme le prouve la métamorphose de la Vierge en Vénus, ou Psyché se donnant dans un murmure d'extase à l'Amour endormi.
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