« Le conte du pays de Nan n’est pas pour les enfants.
Son auteur s’est donné le droit de ne pas être sage. »
« …Ce qui lui importe n’est pas de rester dans les limites et les règles du savoir, c’est d’aller au bout de ses pensées. Là, au bout, s’ouvre peut-être ce qu’il cherche, le lieu libéré dont l’ordre neuf donnerait sens et vie à tout ce qui était perdu… »
c’est qu’il « va par les chemins qu’il peut, en hâte. Il prend son bien où il le trouve. Il oublie des choses très importantes. Il méconnaît ce que tout le monde est censé savoir. Il n’a pas lu les livres, ou mal, ou pas ceux qu’on juge raisonnablement obligatoires ; de ce qu’il a lu, il a retenu selon son humeur ou son appétit. Le contresens ne lui fait pas peur, s’il peut servir à ce qu’il veut dire. S’il cite, c’est de mémoire, pour ce qui l’intéresse, un peu comme on en use dans la conversation, et certes pas en savant homme.»
(La théorie du fou, p.10, Maurice Bellet, Desclée de Brouwer, 1977)
Caute ! Au vu des nombreuses critiques que j’ai reçues, je crains que cet avertissement ne suffise pas. Le roman narratif classique tente de faire oublier son état de création. La fluidité du récit est utilisée afin qu’il y ait absorption diégétique du lecteur, l’issue idéale de ce type d'écriture étant d’être perçu comme une réalité. J’ai voulu laisser entendre au lecteur l’état de création du roman et afficher son artifice pour lui permettre d’éviter ce piège de l’absorption diégétique. Comme dans la peinture du même nom, l’espace du roman est clos sur lui-même. C’est une sorte d’espace scénique où des inconnus cachés derrière les décors ne cessent de prendre des photos (p.112) et où le renvoi à un public de voyeurs est constant (p.194). Il est donc impossible au héros et à ses amantes d’échapper au contrôle des autres. Ce contexte social répressif est présenté dans toute sa violence par l’image d’un contrôle militaire s’installant sur la ville de Nishiwaki avec l’arrivée de l’hiver (p.68), mais le héros isolé ne semble pas réaliser ce qui se passe. Et s’il le réalise, il n’y accorde pas trop d’importance. L’histoire démontre finalement l’impossibilité d’une telle séparation entre le rêve mystique de l’amour et la réalité de sa répression, puisqu’elle finit dans un amalgame ambigu de plaisir et de mort où l’acte d’amour révèle toute sa pureté et sa dangerosité. Même si la béatitude du Paradis par delà la mort est anticipée par des éclairs de conscience dont le héros peut jouir sans aucun remords d’avoir concédé à la nature ce qui lui était dicté par son désir et son appétit (p.216).
J’ai ainsi tenté de montrer la possibilité d’un itinéraire tourné vers l’autre, et qui irait si loin qu’il finirait par enlever tout altérité et toute pensée faisant obstacle à l’absolu de l’amour. Un itinéraire proche de la dérive mystique au bord d’un gouffre, tel que le héros peut enfin « prendre congé des vertus après avoir été pendant longtemps sous leur servitude », et atteindre un état de conscience qui ne dépendrait plus des conditions de vie normales. Y aurait-il là un refus du réel incompréhensible à la raison ? Une sorte de prémisse au libertinisme immoral absolu ? Un saut dans la folie de l’amour tel que le sexe lui-même en devient familier ? Avec comme conséquence inévitable une descente mortelle aux enfers ? Plus que jamais la courbure de la terre reste bien ici « la seule limite qui nous empêchera toujours de voir réellement au delà ».
Daniel Moline
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