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Regards croisés : Carrier-Belleuse et Rodin.

12273051280?profile=originalCarrier-Belleuse : Bacchante, marbre (détail, 1863).

"La peinture et la sculpture peuvent faire mouvoir les personnages."

"L'inclination d'un front, le moindre mouvement de sourcils, la fuite d'un regard révèlent les secrets d'un coeur."

Auguste Rodin.

Injustement oublié, Carrier-Belleuse (1824-1887) fut pourtant adulé sous le Second Empire, lui le Républicain dans l'âme, et la Troisième République.

C'est vrai qu'il fut profondément marqué par les oeuvres de la Renaissance, Michel-Ange ou Jean Goujon (voir le billet sur "La fontaine des Innocents") en tête, et le XVIIIe siècle, Canova (1757-1822) notamment.

Pourtant, s'il s'inscrit dans une longue tradition, il ouvre aussi à la modernité. Touche-à-tout de génie, cet infatigable modeleur fut un novateur, comme nous le verrons, et un formateur (Dalou, Falguière, Rodin l'assistèrent) respecté de ses élèves et praticiens.

12273051491?profile=originalRodin : Carrier-Belleuse, terre cuite patinée, 1882.

Né Albert-Ernest Carrier de Belleuse en 1824 dans une famille désargentée mais gardant un certain entregent, il travaille à 13 ans comme apprenti ciseleur, chez Beauchery, puis entre chez les orfèvres Fannière Frères. Habile au ciseau, il sut aussi activer ses réseaux tout en continuant à apprendre et à travailler. Les frères Arago le guident avec bienveillance (François, le scientifique, soutint aussi Daguerre, contribuant activement au lancement de la photographie en 1839). Il cotoie David d'Angers (Pierre-Jean David, 1788-1856, dit), sculpteur installé, ou les cercles républicains. Il est reçu en 1840 à l'Ecole des Beaux-Arts, la grande porte, mais préfère la "Petite Ecole" (qui devint l'Ecole des arts décoratifs) où il se lie avec Charles Garnier.

Mais son ambition c'est d'exposer au Salon, étape obligée pour réussir dans la carrière. Il y figure dès 1850 et ne cessera, ou presque, d'y exposer jusqu'en 1887.

La même année 1850, il part pour cinq ans en Angleterre comme directeur de la manufacture de céramique de Minton. Puis, à son retour en France, collabore avec des maisons d'art décoratif.

Notre homme est un travailleur, il faut qu'il dessine, cisèle, modèle, qu'il pétrisse, sans oublier sa vie personnelle, avec sa femme Anne-Louise il aura huit enfants.

12273052287?profile=originalCarrier-Belleuse : Entre deux amours, 1867.

Un marbre plus tendre que la porcelaine, exquis comme un biscuit, plus fondant qu'un bronze.

La glaise, le plâtre, le kaolin, le marbre, le bronze, rien ne l'arrête, sculptures, vases ou torchères ne lui font pas peur (l'escalier d'honneur de l'Opéra de Paris, c'est lui).

12273052681?profile=originalCarrier-Belleuse : buste d'Honoré Daumier, terre cuite, 1862.

Carrier-Belleuse perce ici avec une acuité folle la puissance du regard, lucide, féroce parfois, désabusé souvent par les travers la société, et finalement altruiste et doux, de Daumier.

"C'est un satirique, un moqueur,

Mais l'énergie avec laquelle

Il peint le Mal et sa séquelle

Prouve la beauté de son coeur."

Charles Baudelaire.

On n'a trop souvent vu de lui que le caricaturiste, ses portraits-charges sont restés. Mais ce fut aussi un sculpteur et un dessinateur de talent, un peintre de la taille d'un Goya.

"Ce gaillard  a du Michel-Ange sous la peau."

Balzac. On est en bonne compagnie.

Par son traitement, son regard perçant, mobile, ce buste est a rapprocher de la "Jeune fille au chapeau fleuri" (Rose Beuret, 20 ans lorsque Rodin la rencontre en 1864. La même année Rodin débute chez Carrier-Belleuse et nait Camille Claudel), la célèbre terre cuite de Rodin (Rodin qui sut retenir la leçon de Carrier, l'oeil du maître, pour mieux capter le regard de Rose fraîche, modeler la glaise pour faire naître à la vie une jeune fille en fleur à la pupille papillonnante) exécutée certainement en 1865, et de la photographie de Nadar (Gaspard Félix Tournachon, dit) qui présente la même attitude avec cette pose légèrement de côté.

C'est un entrepreneur, il dirige un atelier où travaillent cinquante ouvriers et praticiens. D'une énergie folle, il assiste, supervise, organise avec bienveillance.

C'est un novateur. Il travaille pour les grandes maisons d'orfèvrerie, Froment-Meurice ou Christofle, quel que soit le matériau, noble ou vulgaire, argent ou zinc, oeuvre unique ou création industrielle, édition limitée ou production en série, biscuit ou galvanoplastie, statue monumentale (Hébé endormie, 2,07 m, la déesse de l'éternelle jeunesse qui eut deux fils d'Héraclès, ou Bacchante, 1,80m, dont vous avez le détail) ou théière.

En 1876 il devient Directeur des Travaux d'art de la Manufacture de Sèvres.

12273053072?profile=originalRodin : Diane, marbre, entre 1875 et 1879.

Si avec son carquois et son joli minois Diane, Déesse-Lune, ne vous perce pas c'est que vous êtes vous aussi de marbre !

C'est un formateur. Rodin lui doit beaucoup. Sortis tous deux de la Petite Ecole, ils se sont fâchés, en Belgique (en 1871 Carrier l'appelle à Bruxelles où ils travaillent au décor de la Bourse ; dès 1879 ils collaborent à nouveau à Sèvres), on les a opposés, n'empêche l'un a soutenu l'autre, le second a défendu le premier. Car même si Rodin a dit : "J'ai reçu une éducation du XVIIIe siècle", il reconnait qu'il faut "Aimez dévotement les maîtres qui vous précèdent." Voyez le buste qui rend hommage à celui qu'il respecte ou le vase "Les Eléments" réalisé à quatre mains.

12273053652?profile=originalCarrier-Belleuse et Rodin : Les Eléments.

Manufacture de Sèvres, 1878, porcelaine dure et bronze (détail, le vase mesure 1,15 m !).

Collaboration entre Carrier-Belleuse et Rodin pour la Manufacture de Sèvres, difficile de demêler l'apport de l'un et de l'autre. On peut dire cependant qu'il fut créé sur une forme inventée par Carrier-Belleuse avec un décor "pâte sur pâte" conçu par Rodin.

"Avant tout travail de décor, le vase a été recouvert à l'éponge d'un engobe de pâte blanche. Les sujets ont été dessinés sur cru par enlèvement de l'engobe blanc, au moyen d'un rifloir ]...[ Le fond rose, réapparaissant aux endroits où l'engobe a été gratté, forme les ombres du dessin. Les parties claires ont été accentuées, comme sur les émaux limousins, ou à la manière des dessins en blanc et noir de Prud'hon, par une surcharge de pâte blanche rapportée au pinceau."

Roger Marx, 1907.

Comme cela semble couler de source...

12273054258?profile=originalCarrier-Belleuse et Rodin : Les Eléments, détail de la frise.

En continuateur de Carrier-Belleuse, Rodin poussa la sensualité à son paroxysme en "Dieu Pan faisant frémir ses troupeaux de lignes, il avait l'air d'aspirer l'âme de l'argile ainsi qu'on conquiert un baiser", Antoine Bourdelle. Quitte à se métamorphoser en bélier pour bousculer les conventions. Pan ! Faut bien tuer le père. Et Pan séduit les Ménades de Dionysos.

 

12273054291?profile=originalCarrier-Belleuse : Bacchante (détail), 1863.

Pleine de vie et de sensualité, avec cette prunelle puissante comme un alcool, cette bacchante vous invite à fêter l'automne, ses derniers beaux jours, vous sussure des mots doux d'une voix d'ange, à vous faire danser aux vendanges... une bourrée c'est sûr !

"Cours, Bacchante au pied léger !

Auprès de Dionysos empourpré

Compagnon des Ménades*

A la torche enflammée"

Convenons tout de même que Carrier-Belleuse, le "Clodion du Second Empire" (en référence, et condescendance, à Claude Michel, 1738-1814, dit Clodion aux belles bacchantes et aux satyres) qui fut, avec Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), le sculpteur le plus connu du XIXe siècle valait bien un coup d'oeil.

Mais, chut ! refermons la porte...

Michel Lansardière (texte et photos).

* Ménades, autre nom des Bacchantes.

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Commentaires

  • Heureux que cet article ait pu plaire et suscité des réactions. C'est un plaisir que de partager.

    Merci Françoise.

  • Merci pour ces belles découvertes. Un beau travail de recherche et de partage.

  • Est beau ce qui touche. L'important c'est la curiosité.

    Merci Louis, toujours aussi modeste et attentif.

  • Je ne suis pas un grand connaisseur en sculpture.

    J'apprécie d'autant plus ce beau reportage.

    Merci Michel.

  • Je n'oublie pas Suzanne, Robert, Chantal, merci pour vos appréciations qui sont autant d'encouragements.

  • Fabuleux reportage !!!

    Chantal

  • Merci Albertine, Alain, Sylviane pour vos revigorants commentaires.

  • merci infiniment

  • Par contre je ne sais pas si Carrier était affecté de stabisme. J'ai surtout voulu croiser les parcours de Carrier et de Rodin, alors qu'on les a souvent opposé, leurs apports respectifs, leurs travaux communs. Et leurs réalisations sur porcelaine sont vraiment extraordinaires. Un vrai trompe-l'oeil d'une inouie finesse. Merci Jacqueline.

  • C'est en effet la buste de Daumier qui lm'a le plus fasciné, sur lequel je me suis le plus attardé. Un tel rendu du regard ! Savait faire vivre la glaise le Carrier ! Merci Viviane.

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