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Bruit et fracas JGobert

 

Un paysage de campagne, des petits vallons qui s’étendent à perte de vue. Au loin, une vision surprenante, des rangées de peupliers, des vieux saules coupant par intervalle régulier l’horizon. Construite au flan d’une petite colline,  je vois se lever le soleil chaque matin depuis très longtemps. La vie s’écoule douce, elle s’égraine avec bonté depuis l’époque où rayonnante, je faisais le bonheur de mes propriétaires.  Je ne suis plus toute jeune.  J’en ai vu des évènements défiler durant toutes ces années.  J’ai vécu des temps heureux, des temps difficiles. Ils se sont succédé me laissant satisfaite, parfois amère. Aujourd’hui, ma vieille charpente chancelante sert de souvenirs, de mémoire de bois.

Depuis que mes propriétaires sont partis,  les gens de la ville viennent s’installer chez moi les mois ensoleillés et me font revivre des heures agréables, savoureuses parfois.  Je ne suis pas grande, ni belle  mais j’ai un certain charme.  Le lierre qui courre le long de ma façade me couvre de couleur et me divertit. Les portes et les fenêtres sont face à la cour du bâtiment, protégées et défendues des vents. Ma cour pavée me donne l’aspect d’une entrée de ferme avec mes vieux bacs en pierre et mon tas de bois d’un autre temps. J’aime le bruit des pas sur les pavés qui m’annoncent une visite. Le porche couvert d’une glycine mauve abrite une multitude d’oiseaux qui répandent la vie contre moi.

 Caché derrière la remise, un petit jardin aux herbes folles. Balayé par les vents chauds de l’été, il garde un vieux banc défraichi et recueille les projets d’avenir, les confidences et les mots d’amour de jeunes amoureux.  A qq mètres de là, un peu à l’écart,  dans un carré de fleurs sauvages  se noie un étang minuscule où les grenouilles élisent domicile.

Les saisons défilent et sont une succession de tableaux de maître où les couleurs  vivent, existent, subsistent comme sur la toile d’un peintre. Le printemps renait avec ses bourgeons, ses arbres en fleurs, ses prés couverts de pâquerettes, et de pissenlits qui sentent si bon la campagne. Toute une palette de couleur nait chaque année devant moi. L’été arrive avec ses longs jours brûlants et moites. Le vent chaud fait danser les champs couverts de blé d’or et les coquelicots dans un décor magnifique. Les orages de chaleur et les pluies d’été s’abattent sur moi,  me rafraichissent et me permettent de reprendre mon souffle. C’est avec délice que j’écoute le cliquetis de l’eau jouxtant mes pieds et me divertissant. Les moissons s’annoncent belles cette année.

Au fil des saisons, tout se métamorphose, apparaissent les couleurs d’automne. Le brun, le vermillon, l’ocre, l’or  se déposent sur les fleurs, les feuilles, les arbres. Les fleurs se fanent doucement tristement. Les feuilles meurent, s’envolent, tourbillonnent et recouvrent le sol d’une tapisserie de regrets. Les arbres nus pleurent une telle laideur.

Le froid sec arrive à grand pas et enjambe la nature d’un coup. Le gel immobilise le temps et le fige. L’hiver, fait de petits jours, est admirable, remarquable. Je suis heureuse d’être dans un tel décor.

Certains hommes aussi vivent au rythme des saisons et des récoltes, les femmes aussi s’occupent, les enfants jouent, courent.

De cette petite colline, tôt le matin, je les vois partir aux champs depuis des années. L’échine baissée et le corps meurtri mais heureux d’être là. Et un jour, je les vis partir à la guerre, la vilaine guerre laissant femmes et enfants. Après les sillons rectilignes des champs, ce furent les larmes qui formèrent des rides sur le visage des femmes et les cœurs s’emplirent de chagrin. Une grande grisaille s’abattit sur nous. Cela dura longtemps.

Un matin, ils sont rentrés, joyeux mais tristes, transformés par ce qu’ils avaient vu. Ils ne furent plus jamais les mêmes. Ils avaient perdu leur innocence, leur authenticité, et connu des moments amers. A travers eux, j’ai  perdu mon insouciance, ma transparence. Les larmes du  bonheur retrouvé se transformèrent en larmes d’épreuves et de chagrin.

Mes volets restaient fermés, interdits, clos à la vie. Les hommes souffraient en silence.  Chacun tenait sa peine cachée et cherchait l’oubli, la paix. Mes murs se couvraient de noir et certains hommes sont repartis pour ne plus jamais revenir.

Mais la vie reprend ses droits. J’ai connu d’autres épreuves. Un chagrin en a chassé un autre pour finir par accueillir, recevoir enfin un petit bonheur, une petite joie et l’oubli.

Les saisons sont le rappel de la vie. Ma colline bercée de lumière ne m’a jamais déçu. Elle a changé. D’autres bâtisses se sont s’intercalées entre moi et l’horizon. Le petit ruisseau a été détourné et ne passe plus à mes pieds. Les pavés sont usés et le petit banc a disparu. J’ai toujours mes vieilles portes vermoulues et le porche a cédé l’hiver passé. Les gens de la ville ne viennent plus passer l’été chez moi. Je suis seule. Je deviens trop vieille, une vieille maison sans chaleur, sans visite, sans vie.

 Hier matin, J’ai entendu un grand fracas dans la cour, le bruit d’un marteau qui cognait contre moi.

Un homme a posé un panneau «  A vendre »

 

 

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Commentaires

  • merci de votre partage Sandra

    Amicalement

    Josette.

  • Bonjour Gilbert,

    Merci de vos encouragements. J’ai dit un jour à un ami que je pouvais tout dire, tout écrire parce que j’étais sincère. Des vérités ressenties dans l’écriture. Dire ce que l’on perçoit dans la vie, dans l’histoire sans tromperie. Ne pas vouloir dissimuler les sentiments, mais les donner, les communiquer avec bonheur comme ils sont.

    Amitiés très ensoleillées

    Josette

  • Bonjour Jacqueline,

    Chaque objet a une âme, une histoire à raconter et c’est bien agréable de les mettre en valeur.

    Bonne journée

    Josette

  • Bonjour Rolande,

    Le propre de l’écriture est de conduire le lecteur hors de son quotidien, et lui donner un peu de rêve et c’est bien peu de choses.

    Bonne journée
    Josette

  • Merci Martine pour ton commentaire

  • Bonjour Nicole,

    Merci de vos commentaires et j’apprécie beaucoup ce que vous dites. Vieilles maisons, vieux bibelots, vieux outils, tout a une âme et une vie.

    Bonne journée, amicalement
    Josette,

  • Quelle charmante lecture Josette, je me suis transportée dans un joli conte, ne dit-on pas que les maisons ont aussi une âme ! et bien en voilà une, je me suis transporté dans la mémoire d'une jolie maison.

  • Bonsoir Chère Josette,

    Belle invitation que la tienne de nous emmener dans une maison où nous aimerions vivre.

    Je rejoins l'avis de ceux qui m'ont précédée : tu as un très beau talent de conteuse. Ton écriture est fluide et parlante. Bref, on s'y croirait : il suffit de fermer les yeux.

    Merci de nous emmener ainsi dans ton univers merveilleux et plein de poésie.

    Bonne fin de semaine. Bisous. Rolande

  • Très poétique et aussi nostalgique

  • J'ai passé un " moment de qualité " à te lire, Josette !  Merci de ce partage ! Je vis depuis bien longtemps dans une vieille petite maison de village , bientôt centenaire, et ressens pleinement la poésie de tes lignes  !

    Tu as un beau talent de conteuse ! J'aime ta spontanéité, ta simplicité et cette " faculté de dire les mots " qui est tienne !

    Au plaisir de découvrir tes prochains écrits ! Cordialement, Nicole

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