Ce qu'il y a de bien, c'est que pour chaque maladie, y a des références. Y a toujours un cousin, une voisine ou la fille de la boulangère qui a eu la même chose. Si par hasard, cette personne en est morte, vous voyez ce qu'il vous reste à faire. Ça laisse pas beaucoup de marge : Faut ce qu'il faut pour ressembler à ses semblables. Mais si par hasard vous trouvez moyen de mourir quand la voisine qui a eu la même chose s'en est tirée, vous imaginez ce que vous allez entendre à la prochaine réunion familiale, dans l'au-delà, bien sûr.
Alors avec tout ça, on compare, on soupèse on trouve des points communs même si c'est pas du tout pareil. Ça ressoude une famille de savoir qu'on a la même chose que l'oncle ou la mamie.
On appartient au clan des varices ou au club des bronchites chroniques : Ça, c'est du côté de ton père ! Ah, je croyais plutôt que c'était le club des fumeurs. Je pensais que la bronchite chronique, ça venait du tabac. C'est ce que disent les docteurs mais ils connaissent peut-être pas “ du côté de mon père”. Encore qu'il existe bien des toubibs inquisiteurs pour vous demander d'énumérer toutes les maladies de votre famille, mais c'est pour la Sécu, pour savoir si elle rembourse ou pas certains examens : des cancers dans la famille, ça aide à pas se faire rembarrer quand on va mal et à éviter de s'entendre dire que c'est psychologique !
Pour ma mère, les choses sont claires : « La thyroïde ? Ne cherche pas : toutes les femmes, elles ont la thyroïde, dans la famille. » Je me demande bien ce qu'ils peuvent avoir les hommes, à la place de la thyroïde et que nous les femmes de la famille on aurait pas : Ah oui, suis-je donc bête ? Les hommes, ils ont la quéquette. Bon, c'est pas tout à fait au même emplacement, mais c'est vrai que ça fait un peu comme la thyroïde. Des fois, ça double de volume. Alors je suis contente de savoir que les femmes dans la famille, des fois, elles ont des problèmes avec leur thyroïde. Y a eu aucun goitre dans la famille, juste des problèmes d'hormones. Moi, j'ai un goitre et pas de problème d'hormones mais c'est exactement la même chose ! Et quand j'aurais plus de thyroïde, moi aussi je devrais prendre des hormones. Donc, ça fera comme la famille.
Mais qu'est-ce que je m'imaginais ? Que je sortais de la cuisse de Jupiter ? De la planète Mars ? « Tiens ma chérie, tu reprendras bien un peu de psoriasis de ton père. Il l'a préparé exprès pour toi ! - Merci, j'en ai assez. Je sais plus où le mettre. J'en ai déjà plein les mains. J'en reprendrai une autre fois. Á moins que j'en mette un peu de côté pour Julien quand il sera grand. »
Les familles, c'est comme ça ! Elles pensent qu'à vous refiler leurs saloperies. C'est comme les vieux meubles qu'on vous donne au lieu de les jeter ainsi que tout ce qui encombre les armoires. Si vous en voulez pas, ça ira chez Emmaüs ! Et bien qu'il prenne aussi les maladies, Emmaüs. Nous, on a tout ce qu'il faut comme bric-à-brac et comme trucs dont on n'a que faire ! Y en a marre de tout se faire refourguer !
Ça sociabilise, la maladie. Pendant qu'on parle de nos bobos, on raconte rien sur nous. Je préfère. C'est plus sain d'éluder. Trop de projets avortés, de faux départs, de coups fourrés, de “presque”, de revers du destin. C'est fatigant pour tout le monde. Des fois, on préfère ne plus donner de nouvelles. Qui peut encore nous croire ? On a passé l'âge. Á vingt ans on a des projets. Á trente, on tente de les réaliser. Passés quarante ans, on a du cholestérol. Et si on a un peu raté l'étape de l'installation dans le bien-être matériel, on peut toujours réussir la suivante : l'installation dans la maladie. Alors, on vous pardonne de n'avoir pas réussi à réaliser vos rêves. On vous retrouve entre deux prises de sang et un scanner. Á la place de la photo de la maison que vous avez achetée, vous pouvez toujours envoyer une radiographie de vos poumons. Là, au moins, on pourra pas vous reprocher de ne pas appartenir à l'humanité.
Extrait de " la grognasse".
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