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billet de françois

                                                             THE ARTIST

 

Un film de Michel Hazanavicius – 2011 – 1 h 40

 

Michel Hazanavicius nous propose une histoire muette, laquelle se transforme rapidement en pari, à savoir est-on encore capable de réaliser un film muet en 2011 ? Dire si le pari est réussi ou raté n’est, d’emblée, pas une mince affaire. Précisément, parce que nous sommes en 2011 et que des fleuves sont passés sous les ponts du temps depuis 1898, date du premier opus cinématographique.

THE ARTIST, qu’Hazanavicius aurait pu intituler THE ACTOR sans que cela ne heurte nullement la sensibilité des spectateurs, nous raconte l’histoire de George Valentin, une star  du Muet interprété par Jean Dujardin qui voit rapidement sa carrière péricliter à l’arrivée tonitruante du Parlant, en 1927 et qui grâce à l’amour de sa partenaire Peppy Miller (Bérénice Bejo) arrivera à dépasser l’obstacle naissant du son et renaître de ses cendres.

Dans une interview télévisée, le réalisateur reconnaissait l’efficacité de l’apport technique fourni par les studios hollywoodiens. Et cela se sent, car ce film qui se veut être un hommage au film muet spécifiquement américain, porte en lui une empreinte culturelle hollywoodienne ressentie, particulièrement en ce qui concerne la grande qualité du noir et blanc, laquelle est l’héritière du travail de pionniers du Muet tels que les légendaires Stanley Cortez, Williams Daniels ou autre James Wong Howe qui établirent dans les années ’20 les fondements d’une esthétique cinématographique made in Hollywood. Esthétique qui se matérialise par des images baignées d’une lumière, parfois à la limite du diaphane, les rendant extrêmement épurées. La direction photo, signée Guillaume Schiffman a parfaitement réussi cette plongée dans le temps.  Néanmoins, la vieille Europe n’est pas non plus absente. En effet, au dernier tiers du film, lorsque George Valentin, ruiné par l’avènement du Parlant, est hébergé par sa bien-aimée et qu’il constate que celle-ci a racheté tous les meubles qu’il avait lui-même mis en vente, on le montre pénétrant dans une pièce plongée dans une obscurité totale, au milieu d’un mobilier recouvert de draps d’un blanc étincelant, évoquant des images fantomatiques confinées à l’intérieur d’un espace clos. Le traitement de cette séquence n’est pas sans évoquer la force de l’expressionnisme allemand, particulièrement celle d’un Wiene avec son CABINET DU DR. CALIGARI (1919).

Quant à la complexité de la question, à savoir le film a-t-il, oui ou non, réussi son pari esthétique, certes il comporte tous les ingrédients du genre, tels que les « fermetures en volets » imaginées pour passer d’une séquence vers une autre, les « fondus enchaînés avec double exposition » pour signifier la juxtaposition chronologique de deux évènements ou bien la « rétroprojection » qui montre un acteur évoluer devant un écran lequel présente une course automobile pour donner l’illusion qu’il y participe.

Tout cela est effectivement bien réussi. Néanmoins, ce que l’on pourrait appeler « la philosophie » du langage muet, elle, laisse vraiment à désirer dans son développement sémantique.

Michel Hazanavicius a réalisé un muet « compréhensible » pour le public sans trop de difficultés de lecture. En effet, à plusieurs reprises les acteurs se font face pour signifier un dialogue et, grâce au « champ-contrechamp », ils communiquent par le biais de l’intertitre. Plus exactement, lorsque la caméra se pose sur le visage de George Valentin, on voit ses lèvres bouger et l’intertitre indiquer par exemple : « I love you ! », ensuite la caméra se pose sur le visage de Peppy qui bouge également les lèvres pour lui répondre par intertitre interposé. Cela paraît parfaitement normal pour le spectateur de 2011 pour qui le champ-contrechamp fait partie de la grammaire cinématographique traditionnelle. Il n’en allait pas forcément de même au temps du Muet. Certes, le champ-contrechamp existait déjà mais il n’était pas utilisé de façon aussi didactique : deux acteurs pouvaient parfaitement dialoguer en étant filmés de profil ou de trois-quarts sans que cela ne pose le moindre problème de compréhension pour le spectateur de l’époque.

Ce qui, néanmoins, fait l’originalité du film, c’est précisément qu’il évoque le traumatisme du Parlant par le biais du dialogue muet, dans lequel le son prend l’apparence d’un cauchemar sonore. Néanmoins, même à ce moment-là, les dés sont en quelques sorte, pipés lorsque, tenant une conférence de Presse, Peppy Miller, dans le but d’expliquer son ascension, crie fièrement aux journalistes : « Place aux jeunes ! ». Est-ce un clin d’œil ironique à l’époque dans laquelle nous vivons ? Il faut l’espérer, car la grande majorité des acteurs balayés par l’avènement du Parlant étaient dans la fleur de l’âge !

La fin du film est franchement simpliste. Ici aussi, force est de constater que le metteur en scène s’est laissé littéralement submerger par des considérations contemporaines : George Valentin, dans le but de se réorienter professionnellement, « se reconvertit » dans la danse devant la caméra. Et là, la bonne volonté du spectateur est engagée…car tous ne furent pas des Fred Astaire. De plus, l’on voit que si Jean Dujardin danse de façon « honorable » devant la caméra, il n’y a pas beaucoup de chances qu’il devienne un jour une vedette dans ce rayon-là ! La fin du film offre une autre incohérence : George Valentin parle pour la première fois…là aussi, la bonne volonté du spectateur est également engagée car la phrase qu’il lance est d’une telle netteté sonore qu’elle tranche catégoriquement avec la réalité historique, à savoir que le son de l’époque était tellement étouffé qu’il participa précisément à la chute de très grandes vedettes telles que le célèbre John Gilbert à qui le public reprocha d’avoir une voix « nasillarde », alors que celle-ci était parfaite mais que les techniques d’enregistrement primitives ne permettaient pas de saisir correctement.

La musique se marie parfaitement au film. Elle l’introduit par le thème principal composé par Ludovic Bource et varie de la partition pour grand spectacle dans le style de Gottfried Huppertz pour proposer des thèmes américains populaires connus tels que PENNIES FROM HEAVEN de Johnny Burke et Arthur Johnston et ouvre toute une séquence à la fin du film avec le thème de « Carlota » que Bernard Herrmann composa pour le film VERTIGO de Alfred Hitchcock (1959).

Jean Dujardin est parfait dans son rôle ainsi que Bérénice Bejo. Il apporte à son personnage toute la légèreté voulue ainsi qu’une certaine malice toute française laquelle n’est pas sans rappeler (toutes proportions gardées) celle de Max Linder. Son nom est d’ailleurs objet à équivoques, puisqu’on l’orthographie « George » et non pas « Georges ». Quant à « Valentin », il n’est certes pas sans évoquer le fantôme de Rudolph Valentino.

Le thème du passage allant du cinéma muet au cinéma parlant a, somme toute, été rarement exploité par le 7ème Art. Et son magnum opus demeure incontestablement SINGIN’ IN THE RAIN de Stanley Donen (1952). Ce dernier nous montre, sous couvert d’une comédie musicale, les tribulations d’un groupe d’acteurs  et de gens du cinéma devant composer avec l’inéluctabilité du son. A quand un drame qui nous montrerait, avec toute l’objectivité voulue, les tenants et les aboutissants du problème ?

In fine, THE ARTIST n’est pas un mauvais film mais que l’on n’aille surtout pas s’imaginer avoir ressuscité un langage car comme nous le disions plus haut, une cassure flagrante a mis de sérieux bâtons dans les roues de la mémoire.

 

THE ARTIST se joue actuellement en v.o. st. Bil. aux cinémas :

UGC De Brouckère

17 H 45 – 19 h 50 – 22 h OO

UGC TOISON D’OR

17 h 25 – 19 h 35 – 21 h 50

VENDOME

19 h 20 – 21 h 40

 

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