La ré-imagination au pouvoir !
L'amour intransigeant vs. la dictature?
Thierry Debroux a pris les armes, et des mousquetaires de taille : José Bresprosvany à la mise en scène et aux chorégraphies. A la musique, c’est Laurent Delforge. Aux lumières séculaires et universelles : Marco Forcella. Aux costumes couleur terre : Bert Menzel. A la dramaturgie : François Prodhomme pour un partage de notre patrimoine universel : « Antigone » de Sophocle dans une sublime version contemporaine.
Re-création : Point de tenues gréco-romaines, ni de décors encombrants, non plus ces tenues des années quarante qui ont fasciné Jean Anouilh ! Juste le limon, la terre et ses énergies vitales et ce soleil, cette lumière dont Antigone est si amoureuse, elle qui est au bord de la tombe qui mène au royaume des ténèbres. Et surtout une traduction du texte en grec ancien parfaite sous la plume harmonieuse de Florence Dupont, à part quelques écarts de langue familière !
Le traitement des chœurs est une œuvre d’art en soi. On peut y voir une dramaturgie propre alors qu’il constitue évidemment la respiration profonde et la structure de la pièce. La danse est le principal élément. Le ballet est réglé sur le mode éblouissant, comme dans nos souvenirs de Béjart et en même temps sur le mode an 2000 comme l’aiment nos jeunes adolescents. La troupe des 9 comédiens-danseurs présente des chorégraphies tracées au cordeau, extrêmement variées et d’une force de suggestion effarante au sens premier du terme. Se greffent sur ces jeux du corps une déclamation à l’unisson ou des dialogues incantatoires. Alternativement avec Tirésias transformé en coryphée, l’exceptionnelle Coryphée féminine à la délicate diction - elle est aussi la mère d’Hémon - mène le chœur avec une sensibilité poignante. C'est la très émouvante Isabelle Roelandt. Le garde et le messager se prêtent aux voix et aux mouvements pluriels. Hémon, lui-même, le fils de Créon promis à Antigone, fait partie du chœur. Ismène, la sœur d’Antigone se fusionne dans le même ensemble. Il n’y a finalement que cinq danseurs de fond, tous magnifiques! Et à chaque apparition, c’est comme si les personnages émergeaient et retombaient soudain de cette mer Egée, symbole de notre mouvante humanité, qui se mire dans le ciel de l’Attique du 4e siècle av JC.
Car c’est l’humanité surtout qui entre en scène dans cette approche de l’œuvre de Sophocle. Une humanité composée de toutes nos références culturelles de Jean Cocteau (1922) à Anouilh (1944), à Brecht (1948), à Henri Bauchau (1999). Elle déclare fièrement : « Je ne suis pas née pour partager la haine, je suis née pour partager l’amour ». Le personnage mythique d’Antigone questionne la loi des hommes et celle des dieux, les conflits entre la norme et la liberté, le fossé des générations, la lutte des sexes, le bien-fondé de la radicalité de l'amour, la soumission aux valeurs fondamentales, prône en tout état de cause la rébellion contre la dictature. Dans ce rôle, Héloïse Jadoul, assoiffée de justice se révèle être une héroïne attachante et adéquate. Son hypocrite relégation dans une tombe où elle sera enterrée vivante avec quelques vivres est une scène bouleversante. Et surtout son adieu déchirant à la lumière. Jamais le rôle d’Hémon interprété par Toussaint Colombani n’a été aussi bouleversant. De prime abord, respectueux de la figure paternelle, il devient l’homme que l’amour d’une femme qui défend ses valeurs galvanise et enflamme, pour le mener à son tour, sans la moindre crainte, sur le chemin de la mort. Mais ainsi l'a décidé le destin!
Créon (Georges Siatidis), comme Antigone, ne fait jamais partie du chœur. Il est habité par la haine de quiconque lui résisterait! En dictateur on ne peut plus crédible, il s’achemine quand même vers une conversion, hélas trop tardive.
Tirésias lui conseille (sous les traits et la belle voix de Charles Cornette) : "Fais sortir la fille du souterrain et puis, élève un tombeau pour le cadavre qui gît là-bas ! Créon : "Voilà la décision que tu me conseilles de prendre ? Tu veux que je me soumette ? J’ai du mal à m’y résoudre. Mais puisque j’en suis là ; j’y vais. Je l’ai enfermée, je la délivrerai!"
Mais ainsi parlent les forces de la Destinée, jouées, chantées, clamées par le Choeur : « Que tu te caches dans une tour, que tu t’enfuies sur un vaisseau au-delà des mers, tu ne leur échapperas pas, il arrivera ce qui devait arriver». Le point culminant de la pièce est un point de non-retour. La tragédie doit se consumer jusqu’au bout. La loi non-écrite fondamentale dont le fondement remonte "à la nuit des temps" est celle de l'amour, à laquelle les dictateurs doivent, eux aussi, se soumettre. Créon admet enfin sa culpabilité et restera seul à subir le désespoir devant l'hécatombe que lui seul a causé, lui qui, par pur orgueil des puissants, et mépris des lois divines, a osé offenser l’ordre du monde souterrain, a osé braver la loi du dieu des enfers, Hadès, le maître des morts.
La conclusion, nous l’avons entendue à l’ouverture du rideau : « Le bon sens avant tout donne le bonheur… » L’œuvre ainsi offerte et son illumination par le jeu des lumières, de la danse, de la parole et du feu théâtral est un miroir universel.
Antigone au Théâtre du Parc du 19 janvier au 18 février.
Commentaires
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http://www.atjv.be/Antigone-2017
Son Œdipe avait marqué les esprits en 2013 au Théâtre Royal du Parc. Le chorégraphe et metteur en scène José Besprosvany poursuit son travail pluridisciplinaire autour des figures mythologiques.
Pour ANTIGONE,
il mêle les vers de Sophocle – portés par des acteurs –, la musique et la danse. Une approche résolument moderne, qui rend accessible cette œuvre universelle.
Antigone et Créon, une rivalité vieille de plusieurs siècles et pourtant d’une brûlante actualité sous le regard de José Besprosvany. Ces deux personnages seraient-ils des visages de l’intégrisme religieux et politique qui remue nos sociétés ? Antigone est déterminée à aller jusqu’au bout pour honorer les lois divines
tandis que Créon, souverain tyrannique, défend les règles de la Cité envers et contre tout. Deux figures opposées par leurs convictions mais semblables dans leur obstination.
Formé à l’école Jacques Lecoq à Paris et à l’école de Maurice Béjart à Bruxelles,
José Besprosvany mène avec sa compagnie une réflexion et une recherche autour de la création chorégraphique et théâtrale, proposant de nouveaux alliages entre mouvement, musique et texte, comme dans son Prométhée enchaîné en 2010.
Une création de la Compagnie José Besprosvany/IDEA asbl en coproduction avec
le Théâtre Royal du Parc et l’Atelier Théâtre Jean Vilar. Avec l’aide du service de la
Danse de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Centre des Arts scéniques.
9 au 16 mars 2017 à l’Aula Magna
Place Raymond Lemaire (à côté de la Grand Place)
1348 Louvain-la-Neuve
Représentation à 20h30 sauf le jeudi à 19h30
Infos et réservation : 0800/25 325 - www.atjv.be
également du 19 janvier au 18 février 2017
au Théâtre Royal du Parc
http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/57/42.html
Une création de la Compagnie José Besprosvany, en coproduction avec le Théâtre Royal du Parc et l’Atelier Théâtre Jean Vilar.
Le mot du metteur en scène:
D’emblée, la sonorité du nom de cette jeune fille, Anti-gone, me plaît. Les personnages rebelles, anticonformistes, et plus encore ceux issus des tragédies antiques me fascinent. AprèsProméthée enchaîné et Œdipe, je me plonge dans une nouvelle pièce tragique, qui fut adaptée notamment par Brecht et Anouilh, comme l’histoire d’une résistante au pouvoir tyrannique, préférant mourir que de subir une loi injuste, celle qui interdit la sépulture de son frère Polynice.
Ce personnage antisystème m'attire et m'interpelle, étant sensible à l'interrogation des discours normatifs et de la doxa dans divers domaines qui ont traversé ma vie : le judaïsme, la danse et l’art contemporains, la sexualité…
Je questionne donc, tout comme Florence Dupont – intellectuelle fascinante dont j’utilise la traduction – cette idée qu’Antigone serait sympathique à nos yeux parce qu'elle aurait le courage de se révolter, et Créon antipathique parce qu'il aurait le pouvoir d'État.
Inspiré par la recrudescence du religieux aujourd’hui, et la question de la religion dans la cité, il m’a semblé plus intéressant de mettre en avant le caractère religieux et fanatique d’Antigone, tout comme la tyrannie de Créon. Antigone justifie son acte par la loi divine, Créon par la raison d’État. Opposés par leurs idées, mais proches par leur intransigeance, Antigone et Créon sont des personnages radicaux qui vont s'opposer âprement.
Tous deux sont également mis en question par les autres personnages : Ismène, Hémon, Eurydice, le Messager, le Garde, Tirésias, et par le Chœur.
Ayant un attrait certain pour les spectacles interdisciplinaires qui mélangent texte, mouvement et musique, le Chœur est aussi une occasion d’explorer la rencontre entre les comédiens et les danseurs. Les premiers disent les textes, suivant leur élocution naturelle, sans scansion ni transposition chantée. Ils sont doublés par cinq danseurs, et tous sont accompagnés par les musiques électroniques de Laurent Delforge.
Dans un décor proche d’une installation, les thèmes contenus dans cette pièce sont évoqués : la mort et la sépulture, l’origine de nos religions monothéistes, sources de radicalisme et de fanatisme. Les parties chorales et chorégraphiques alternent avec les scènes théâtrales, pour en faire un spectacle proche de ce qu’était la tragédie athénienne de l’époque : un grand rituel de deuil.
Antigone est , je l’espère, un moment pour éprouver collectivement les conséquences néfastes qui résultent de l’intolérance et donc, par antithèse, de célébrer la tolérance et l’ouverture.
JOSE BESPROSVANY
Né à Mexico le 13/10/59, c’est la deuxième fois que José Besprosvany travaille au Théâtre du Parc comme metteur en scène et scénographe. Né à Mexico le 13/10/59, il découvre la danse moderne au Ballet National de Mexico, intègre un groupe de danse folklorique juive « Anajnu Veatem », et décide d’apprendre la danse moderne en cachette car dans le milieu juif mexicain très conservateur de l’époque il est mal vu qu’un garçon suivie des cours de danse.
Paris puis Bruxelles. Attiré par le travail de Maurice Béjart, il s’inscrit à l’école de Mudra, où il restera pendant deux ans.
Puis commence la course à travers les théâtres et les oeuvres dramatiques.
Il quitte Béjart et forme une compagnie en 1986.
Il travaille tant et plus avec ses regards entre le mouvement, la musique, la danse et le texte.
Il se trouve dans d’infinies variations entre le mouvement et la narration.
Une volonté de décloisonnement, tant sur le plan esthétique ou formel que sur le plan dramaturgique, lui ont permis la création de spectacles inattendus, hétéroclites et inclassables.