Nous remontons dans le temps... Judith vient de tomber dans le coma.
Les bourdonnements s'éloignaient. Judith n'aurait pu dire si c'était grâce aux injections. Elle avait bien senti son corps se révolter, puis d'un coup, se relâcher en désordre, comme si l'on avait déréglé tout son système nerveux. Elle n'entendait plus la voix de Dominique, et cela lui faisait peur. Le noir progressait tout autour d'elle. Les ténèbres qui l'entouraient étaient visqueuses. Si elle les laissait agir, elles lui pénétreraient le corps, l'empêcheraient de respirer, se glisseraient sous ses paupières, envahiraient son ventre. Elle ne mourrait pas, mais elle serait comme une momie envahie par un coma glauque et poisseux.
Que faisait son Mimmo ? Il discutait avec le médecin. Judith aurait dû dire « peut-être » car au fond elle n'en savait rien, mais cela lui paraissait assez logique. Mais le fil de ses pensées se divisait en deux parties : la souffrance et les certitudes. Les hypothèses semblaient être bannies du fonctionnement de son cerveau. Elle souffrait et Dominique discutait avec le médecin. Deux faits au même niveau de réalité, deux affirmations criantes de vérité. Et de quoi parlaient-ils ?
De venin. De son allergie. Encore une certitude.
Une troisième personne était là. Une femme, inquiète elle aussi. Judith ne pouvait rien deviner d'elle – d'ailleurs comment avait-elle deviné sa présence depuis son lit et malgré le bruit du respirateur, impossible à deviner – mais elle parlait à son homme et générait des sentiments contradictoires en lui. Elle et le médecin, ensemble, constituaient un espoir, ou quelque chose qui y ressemblait.
Tout cela, Judith le ressentait sans savoir pourquoi cela était possible. L'inquiétude de son mari semblait émettre des vagues courtes vers elle, des vaguelettes comme aux abords d'un petit lac en altitude, qui vont et viennent à fréquence élevée et donnent des frissons aux chevilles des baigneurs. Judith entendit une infirmière dire à une autre :
— Couvre-la. Regarde, elle a la chair de poule.
En bonne alpiniste, Judith s'accrocha mentalement à cette phrase comme à une fissure dans le granit. Elle avait ressenti quelque chose à l'idée de Dominique parlant d'elle, et sa peau avait réagi. Tout n'était pas perdu.
Avec toute l'énergie mentale dont elle disposait encore, Judith se cramponna à cette idée : tenir le plus longtemps possible hors de portée de la masse noire qui venait vers elle. Si elle s'approchait,
Judith devrait s'accrocher à d'autres pensées, et monter. S'accrocher et monter. Chercher d'autres choses dans le cerveau de son homme, lui en donner, essayer de communiquer, échanger des idées solides, auxquelles s'agripper, sur lesquelles prendre appui.
Ne pas laisser la marée goudronneuse la toucher. Jamais. Sinon elle serait perdue.
Commentaires
Je vous remercie.
Je me limite à exposer ce côté-ci de la trame du roman, mais dans ce qui constitue l'intrigue qui tient le lecteur captif (l'hollocauste des abeilles et le piratage informatique) j'ai fait de même, pour éviter de tomber dans une trop grande complexité (et encore, parfois, je me suis laissé aller...).
Chère Mariel,
Il ne s'agit ici que de fiction. Le ressenti de Judith ponctue tout le récit, mais l'essentiel de l'histoire se déroule dans un monde bien réel.
Ceci dit, il est vrai que j'ai pris mon temps pour écrire ces extraits. Dans une telle fiction, "faire vrai" aurait été discourtois vis-à-vis de personnes qui ont vécu une telle expérience. Je me suis donc contenté de restituer des impressions "vraisemblables".