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Alvéoles - Le voyage de Judith (11)

Valérie ouvrit la porte de sa chambre et se mit à frissonner.

— Dis-moi ce que tu ressens, lui dit Faustine.

— L'air est froid.

— Tu sens encore la chaleur qui nous entoure ?

— Oui. Elle est dans mon dos, mais devant moi c'est glacé.

— Comme en hiver ?

— Non.

— Comme à la montagne ?

— Non. À la montagne, le froid pince la peau. Ici il pince loin.

— Loin ?

— Profond. Le ventre.

— Tu veux qu'on entre ensemble dans ta chambre ?

— Non. Mon rêve est dedans.

— Et tu as peur de ton rêve ?

— Non, je t'écoute, ça va.

— Dis-moi pourquoi nous ne pouvons pas entrer dans ta chambre.

— Il n'y a pas de sol. Je vois mon rêve, il est partout devant moi.

— Dis-moi ce que tu vois.

— Le ciel et des nuages...

... Et les nuages sont un peu partout. Comme le garçon qui pêche, assis sur la lune, au début de l'histoire de Schrek. Il y a des nuages blancs, tout près, je peux presque les toucher.

Il y a aussi des montagnes. Enfin, non, ce ne sont pas des montagnes. C'est un ensemble de grands rochers, comme on a vu déjà vu en vacances, avec les gens qui grimpent dessus, leur t-shirt en couleur et leurs toutes petites chaussures. Mais sur ces rochers-ci il n'y a personne. Ils sont trop glissants.

— Valérie ? Tu vois quelque chose bouger dans ton rêve ?

— Je ne crois pas.

— Peut-être que tu pourrais le faire défiler ? Comme un film ?

— Attends, je regarde autour de moi.

— Tu peux voir tout autour ?

— En haut et en bas.

Je vois que les nuages bougent. Ils m'entourent, ils vont et viennent. Je flotte. J'ai un peu moins froid. Je vois Judith. Elle flotte aussi. Elle est toute petite parce qu'elle est loin de moi, mais je l'entends comme si elle était tout près. Elle murmure des choses à Dominique. Elle lui dit qu'elle ne l'entend pas, qu'elle n'entend plus rien de sa chambre d'hôpital.

Elle regarde vers le bas.

Maman !

— Je suis là, je reste près de toi, tout près. Tu m'entends ? Tu entends ma voix ?

— Oui, mais...

— Si tu entends ma voix tu n'as rien à craindre.

— J'entends. Ce n'est pas ça. Je n'ai pas peur, mais je sens...

— Tu sens quoi ?

— C'est ce qu'il y a en bas.

— Qu'est-ce qu'il y a en bas ? C'est ça qui te fait peur ?

— Non, c'est Judith. Elle a peur, elle veut Mimmo, mais... Oh Maman, c'est pas de la peur, je me suis trompée !

— Calme-toi, Valérie. Reste près de moi. C'est juste ton rêve, il ne peut pas te faire le moindre mal. Tu peux faire un pas en arrière et refermer la porte. On se retrouvera toutes les deux dans la chaleur orange. Tu veux ?

— Non !

— Valérie ?

— Non, je vois...

— Quoi ?

— Judith, elle chute...

...d'abord tout doucement, puis de plus en plus vite. Elle va se noyer. Mais plus elle chute, plus ça vient vers elle. C'est comme à la télévision quand on a vu les oiseaux d'Amérique tout noirs à cause d'un bateau, ou autre chose, je ne sais plus. Très très collant. La boue monte d'un coup comme si il y avait une bulle dessous, et Judith tombe dedans. Oh !

— Valérie !

— Elle a plongé, mais...

— Mais quoi ?

— Le noir, la boue !

— Oui ?

— Tout est entré !

— Tout est entré ?

Dans Judith. Elle a plongé dans le noir, mais c'est le noir qui est entré en elle. Je la vois, elle est toute nue sur l'herbe, elle ne sait pas ce qui est arrivé. Je vais aller la voir.

— Valérie, non !

— Je dois y aller !

— Reste près de moi ! Écoute ma voix !

— Maman, je vais tomber !

— Fais un pas en arrière, Valérie !

— S'il te plaît, maman, laisse-moi !

— Ferme la porte !

 

(...)

 

Faustine regardait dans le vide. Dominique avait à coup sûr présumé de ses forces : à l'annonce de la température de Judith, elle n'avait plus rien entendu de compréhensible. La conversation avait été interrompue quelques secondes après. Depuis, impossible de le joindre.

Sur place, tout le monde avait aussi eu sa dose. Il était grand temps que le calme reprenne le dessus.

Valérie était revenue à elle d'un coup, criant quelque chose comme :

— Laisse-moi y aller !

Du moins était-ce la meilleure manière d'interpréter son unique hurlement, qui avait déchiré d'un seul coup la voix docile et posée dont la jeune fille avait usé jusqu'alors.

Elle s'était redressée d'un coup, et avait ouvert des yeux exorbités, qu'elle avait plongé dans ceux de sa mère avec une fureur que Faustine avait espéré ne plus jamais voir.

Puis elle avait dit : « Ça va, ça va, pardon », comme une fille de quinze ans qui ne veut pas de l'aide de ses parents, avant de s'allonger à nouveau. Faustine avait tout de suite pris le relais.

— D'accord, Valérie, tu es sortie de ton rêve. Reste près de moi. Nous devons refermer la porte et redescendre les escaliers.

Faustine avait senti son cœur se révolter dans sa poitrine lorsque sa fille avait à nouveau ouvert les yeux :

— C'est bon, maman. Je suis réveillée. Les escaliers, la porte, tout ça... Je gère. Je n'ai plus peur.

 

(…)

 

Daniel observait sa fille du coin de l'œil.

— Me regarde pas bizarre, lui dit-elle en souriant. Je vais bien.

— Je n'aime pas cette expression : me regarde pas bizarre, lui dit-il. C'est indigne d'une fille qui aime les dragons forts et fiers.

— Désolée.

— Ça non, plus, je n'aime pas trop.

— D'accord. J'ai mal à la tête. Où est maman ?

— Elle téléphone à Gérard, pour avoir des nouvelles de Judith. Elle est inquiète. Tu devrais encore te reposer, ma puce. Moi aussi, d'ailleurs. Tu n'as plus peur de t'endormir ?

— Non, non.

— Maman dit que ce n'est pas bon pour toi de ne pas avoir suivi ses conseils, de ne pas avoir compté les marches, et tout et tout. Elle trouve que tu es revenue trop vite de ton rêve.

— Je sais. Mais je ne pouvais pas rester là. C'était trop bizarre. Je voulais aider Judith, et en même temps maman ne voulait pas.

— Tu te souviens de tout ?

— Non, pas tout, soupira Valérie. Le rêve est devenu tout flou avant que je ne ferme la porte. Mais je sais ce qui n'allait pas. Ce n'était pas de la peur.

— C'était quoi, alors ?

— De la tristesse. Plein de tristesse.

Daniel prit une longue inspiration avant de poursuivre.

— Je comprends que tu aies eu envie de sortir Judith de là, dit-il. Et j'espère sincèrement que tout ira bien pour elle. Mais on ne sait jamais vraiment ce qui se passe dans la tête des gens qui sont dans le coma. Certaines personnes reviennent, d'autres pas. C'est injuste, mais c'est ainsi. On n'y peut rien.

Sur ces entrefaites, Valérie était venue se blottir dans les bras de son papa. Il l'entendit murmurer :

— Si. On peut. Moi je veux.

Daniel battit en retraite. À quoi bon polémiquer ?

— Câlin, ma puce ?

— Câlin.

 

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Commentaires

  • Plus que deux épisodes ...
  • Et alors...et alors....??? a bientôt Eric! merci
  • Qui sait, peut-être ai-je accéléré le rythme pour mieux vous laisser sur votre faim?
  • Merci Eric ... C'est bizance ce dimanche !

    Amitiés. Lili.

     

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