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Ainsi parlait Zarathoustra, par-delà le bien et mal


Friedrich du néant par Eric Migom

C’est en 1883 que parut « Ainsi parlait Zarathoustra » de Friedrich Nietzsche. C’est l’oeuvre philosophique et poétique capitale de Nietzsche, celle où les grandes idées du "Surhomme" et de "L'éternel retour" atteignent leur forme la plus achevée, leur signification la plus joyeusement positive.

Après dix années de préparation dans la solitude des Alpes, Zarathoustra éprouve le désir de faire don aux hommes du miel de sa sagesse et descend à la ville: mais le peuple n'écoute pas sa voix inspirée, car il ne pense qu'à applaudir les acrobaties d'un danseur de corde et rit des paroles qu'il ne comprend pas. Zarathoustra devra donc se chercher des disciples auxquels il pourra adresser ses "Discours", défis belliqueux aux anciens idéaux, conçus en un style biblique.

Le premier de ces discours est une parabole intitulée "Les trois métamorphoses": on y apprend quelle doit être l'évolution de l'esprit humain, depuis l' obéissance, symbolisée par le chameau, jusqu'à la négation violente personnifiée par le lion et enfin à la pure affirmation dont l'enfant est l'image. Les discours suivants abordent les sujets les plus divers: ils s'élèvent contre la pusillanimité des médiocres qui se réfugient dans la tranquille somnolence de la morale; contre la métaphysique qui discrédite le monde en prêchant l' abstraction; contre l'aridité livresque d'une culture trop formée sur elle-même; contre l' ascétisme qui fait penser à la mort; contre le culte de l' Etat qui étouffe les hommes en faisant d'eux les esclaves d'un organisme impersonnel; enfin contre la vulgarisation de la pensée. D'autres discours contiennent par contre d'exaltantes affirmations: l'un glorifie la guerre comme stimulant des énergies humaines; un autre reconnaît, dans le dédoublement de soi, fruit de la solitude et de la méditation, la forme la plus belle d' amitié; un autre encore oppose aux valeurs abstraites la valeur de la vie, qui porte en elle-même son but; un dernier enfin enseigne la débordante générosité de la vertu saine qui aime à se donner.

Zarathoustra se retire à nouveau dans la solitude de la montagne; après "des mois et des années", il revient à sa prédication contre les "idéalistes": la Vie doit triompher et l'homme se libérer, par la victoire sur lui-même, du pernicieux instinct d' obéissance, pour se hausser à l'affirmation joyeuse de sa propre volonté. De nouvelles polémiques sont alors engagées contre les faibles prosternés dans la crainte de Dieu, contre les altruistes, les prêtres et les vertueux, contre ceux qui prêchent l' égalité, contre les savants, les poètes qui enseignent des chimères, contre les politiciens.

En opposition avec ces polémiques, Nietzsche nous donne en intermède les trois magnifiques chants de Zarathoustra: le "Chant nocturne" où est exaltée la plénitude du bonheur qui aspire à donner sans cesse; la "Ballade" qui fête la vie dans sa spontanéité; le "Chant funèbre" qui est un hymne magnifiant la volonté de puissance. Enfin Zarathoustra, après avoir célébré la sagesse humaine comme divine imprévoyance et confiance dans la vie, délaisse une fois encore ses amis.

Ayant compris la doctrine de l' "Eternel retour", forme la plus haute de l'affirmation, il se présente pour la troisième fois aux hommes et glorifie maintenant l' inconscience du bonheur: il chante les puissances naturelles dont le déchaînement est une forme violente et merveilleuse de consentement, célèbre la victoire sur la mélancolie et invite les humains à se dépouiller de leur gravité: car pour la sagesse de Zarathoustra, il faut avoir "le pied léger". Il dicte enfin ses "nouvelles tables" des valeurs qui, en honneur de l' amoralité constructive de la vie, boulversent les antiques concepts fondés sur le principe du bien et du mal. Mais déjà Zarathoustra est retourné à sa solitude: après un pénible égarement dans le doute, il chante la plénitude de son âme et de la vie, invoquant l' éternité au nom de la joie.

C'est enfin la dernière partie du livre, une sorte de "tentation de Zarathoustra". Dans la solitude, il est surpris par l'appel d'un cri d'angoisse: s'étant mis en quête, il rencontre successivement sept créatures qui figurent symboliquement la survivance des antiques valeurs ou le travestissement des valeurs nouvelles: un devin qui incarne le dégoût de la vie; deux rois, écoeurés de la fausseté du pouvoir; un "scrupuleux d'esprit" empoisonné par son propre positivisme; un magicien, esclave de sa propre fantaisie inépuisable; le dernier pape, errant sans but depuis que "Dieu est mort"; l'homme le plus laid du monde qui par rancoeur a tué Dieu; le mendiant volontaire en quête de la félicité sur terre. Ces hommes supérieurs se sont réfugiés auprès de Zarathoustra. C'est ainsi que commence le banquet en l'honneur du "Surhomme" qui, surgissant de la masse, lui imprime une nouvelle vigueur. Mais aussitôt que Zarathoustra s'est éloigné, ses hôtes se sentent saisis d'une espèce d'angoisse équivoque: eux qui ne peuvent vivre sans Dieu, s'inclinent pour adorer un âne. Mais Zarathoustra revient à l'improviste, balaie cet opprobe, puis entonne le "Chant de l' Ivresse", ultime affirmation de la foi dans l'Eternel Retour; il termine par le "Rondo de Zarathoustra", intense et brève poésie dans laquelle est invoquée, comme dans le chant de minuit, la profonde, profonde Eternité". Ainsi prend fin, dans le matin radieux, l'histoire de Zarathoustra et ce sera bientôt l'avènement de vrais disciples.

Nietzsche a appliqué dans sa fable la loi du "talion", en voulant que ce soit ce même Zarathoustra, "qui créa l'illusion d'une organisation morale du cosmos", qui enseigne aux hommes à se libérer du moralisme. Quant au mythe du "Surhomme" il jaillit des plus pures profondeurs de la pensée nietzschéenne; cependant ce nom que l'auteur dit avoir "récolté dans la rue", lui vint de Goethe (voir "Faust", I, 1 et "Dédicace" des "Poésies").

La valeur artistique de Zarathoustra n'est pas toujours égale: un symbolisme lourd n'en est pas absent; des jeux de mots allant jusqu'au calembour douteux, une éloquence trop chargée, d'autant plus emphatique qu'elle est moins persuasive, se rencontrent souvent dans l'ouvrage. Tel quel, c'est néanmoins un chef-d'oeuvre poétique et, malgré la multiplicité des sources (qui vont de la Bible aux poésies de Goethe, de la prose de Luther aux aphorismes des moralistes français), il conserve une originalité totale. Nietzsche put à bon droit se vanter, comme il le fit auprès de son ami Rohde, d'avoir, avec "Ainsi parlait Zarathoustra", porté la langue allemande à sa perfection.

Cette oeuvre de Nietzsche inspira directement Richard Strauss (1864-1949) qui, en 1896, donna un poème symphonique intitulé: "Ainsi parlait Zarathoustra" (op. 30) qui est des plus brillants.

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