Peut-on demander à ma mémoire de ne pas crier ses souvenirs ?
Voudrait-on, une fois encore, une fois de plus me bâillonner
Au nom du dialogue, de la dignité ? Les actes sourds, lourds et plus ravageurs que jamais hantent nos villes. Le peuple se tait, il sombre dans la morosité. Qui s'occupe de la peur, de notre peur à nous de notre propre fragilité à nous ? Les Pensionnés n'auraient-ils donc plus de choc émotionnel ? Seraient-ils au-delà de toute réaction épidermique ? Qui se soucie de notre état de crainte permanente ? Les Européens fragilisés eux aussi se souviennent, en silence, du Reich, des bombes et de leurs dégâts, ils sont passés par-là, Ils, Eux, Nous nous rappelons
De Gaulle, Pétain, Dantzig. La nomenclature n'est pas exhaustive
Nous pouvons vous raconter, nous aussi l' Histoire, notre histoire individuelle. Il est éclairant à bien des égards de voir combien nous sommes mis sur le côté nous les Européens On parle d'abondance des Palestiniens et des Juifs Et nous ? Nous voyons la peur s'installer jour après jour, dans nos immeubles, notre quartiers qui "craquent " La base » comme on nous désigne en politique La Base donc, a déjà les pieds dans la fange quand bien même elle ne le désire pas mais, c'est bien par "la base" qu'on attaque le Peuple n’importe quel Peuple
Mon cher neveu, mon cher enfant, laisse-moi te raconter
Il était une fois
En 1 9 3 6
Le bruit des bottes s’entend au loin. Mirage pour les uns, spectre pour les autres. Leçon de danse pour tous. C’est la
Polka du pas de l’Oie
Voilà pourquoi tu es parti, mon petit
Je me souviens…
Gide revient de l’URSS et clame sa déception. Malraux, la plume en bataille, lutte pour l’Espagne Frivole… Aragon termine « Les Beaux Quartiers » et Bernanos, ce joyeux… drille s’éclate avec « Le Journal d’un Curé de Campagne » Je n’oublie pas ton écrivain préféré, mon Blondinet,
Saint Exubérer. Cet idéaliste aux yeux étoilés parle d’une "Terre des Hommes ".
Les philosophes et Sartre en particulier tonnent clament, s’élèvent véhémentement. Ils expliquent, contestent, refont le monde qui fuit s’éparpille s’effrite devant eux Monde bulle, monde illusoire ; illusion de monde. Sartre veut le refaire ; tâche éléphantesque. Tu imagines, Blondinet ? Faire, refaire un monde ? Un autre monde dans lequel tu devrais vivre ; dans lequel, toi enfant de ce siècle, devrais pouvoir t’ébattre non te battre
Les philosophes : les gens bien : les bonnes gens désiraient ce monde-là, pour toi. Ils le voulaient à tout prix ; fut- ce au prix de leur vie mais
Le Monde, Blondinet, en effervescence tremble
Le monde littéraire découvre MEIN KAMPF bestseller du moment. Sacré Adolf ! Quel coup de pub ! Disent trop hâtivement les gens tandis que, certaines personnes prennent ce livre au sérieux, très au sérieux même Il y a un malaise derrière ce livre, un " je-ne-sais-quoi " de déroutant qui chamboule, effraie. Mais, le monde inquiet veut croire à la liber té chérie On fait semblant, on vit comme si. Pour se donner belle contenance on fredonne « Froufrou »
Les gens bien vont au café-concert
Les petites gens vont au café bistrot
Les gens bien découvrent Horst le fameux photographe
Les petites gens : Les affiches de propagande et lisent dans le désordre De Gaulle, Pétain,
La peur s’installe. La perplexité du début cède le pas à l’angoisse
L’auteur de « Mien Kampf ; argus de malheur s’agite, vocifère, menace de plus en plus et gueule :
LIBERTE HARMONIE ORDRE
Il rugit. (On en a pour un petit moment) donc, te disais-je, Hitler glapit
« Les Peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes et…c’est
L’ANSCHLUSS
On scande
PEUPLE SOL RACE
Tayaut ! Tayaut ! Tayaut. Tombe la Pologne
Tayaut ! Tayaut ! Tayaut. Tombe Dantzig
Tayaut ! Tayaut ! Tayaut. Tombent La Moravie, la Bohème
Mussolini légifère sur l’antisémitisme. Staline, pour avoir la Paix, signe un pacte de non-agression avec Hitler
Jules ROMAIN supplie « Grâce encore pour la Terre »
L’orage gronde dans les cœurs Des éclairs strient un ciel noir et y écrivent
VENGEANCE !
C’est loin tout ça ! Cela fait beaucoup, beaucoup d’années. Beaucoup, beaucoup de nuits ont passées sur tout ça
Je fais silence, élague ici et là ma mémoire ; essaie d’alléger mon récit mais, comment taire la Rhénanie ? La France et Léon Blum ? L’Espagne ensanglantée ? Pays du soleil, du rire, des chants, des flamencos ; l’Espagne torturée résiste
La Suisse, grelottante de peur, sortie de son rêve intérieur, la Suisse arrachée à son nombrilisme atavique ; frileusement, dis-je, se serre autour du Général Guisan, Guillaume Tell ressuscité.
Comment passer sous silence tout cela ? Si je désire t’expliquer, mon petit, pourquoi, cinquante ans après ces événements, tu es parti ; si loin, si loin de moi
Des clameurs dans les rues, des gémissements dans les foyers, la Suisse pleure ses Genevois tombés ; assassinés par la garde nationale alors qu’ils se dressaient contre le fascisme contre l’extrême droite bien implantée à Zurich
MORTS POUR LA LIBERTE
Nonobstant ces héros
Avancent les chemises noires
Avancent les chemises brunes
Avance l’ordre Nouveau
Avancent 124.OOO chômeurs
Avance, oui encore, avance la misère issue de 30% de dévaluation
Quatre ans plus tard. (Demain Qui sait ?)
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Un matin, à l’aube quel bruit, quel appel m’a réveillée ? Je ne sais. Je me revois debout tenant la clenche de la porte de ma chambre que je venais d’ouvrir attirée par des murmures, des éclats de voix. Mots incompréhensibles, langage inconnu. Mes parents s’embrassent sur le palier. Ces soldats allemands les entourent, les séparent Mon père, dévale les escaliers à coups de botte, à coups de crosse. Il crie ses ultimes recommandations à ma mère tout en déboulant les escaliers. Figée sur le seuil de ma chambre, cachée derrière un dos qui ne s’est même pas retourné (Une sentinelle allemande) dont la crosse du fusil m’arrive à hauteur des yeux ; derrière ce dos je vois la scène très calmement, sans larmes ni criailleries intempestives Muselée par l’incompréhension de mes quatre ans, je n’ai pas peur. Nous sommes en 1940. Le 18 mai. Mon père, ton oncle Georges est prisonnier de guerre. Il reviendra cinq ans plus tard.
C’est la Guerre, la Grande Guerre
Je fais une halte pour que tu comprennes bien, mon enfant, mon neveu, pourquoi tu es parti si loin, si loin de moi cinquante ans après ces événements.
Je m’imagine chasseur. Un coup de feu. Pan ! Un coup sec dans une nuit blanche et
"L’EIDER » à mes pieds !
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