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Publications de Palmina DI MEO (51)

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LES MISERABLES par la compagnie KARYATIDES

Une épopée en version Emmaüs 

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Un fond de décor en toile peinte. Les façades populaires et grises de Paris 1815. Des étals avec des objets disparates : statuettes en bois, poupées, bouts de tissus, boîtes à biscuits anciennes rouillées, monuments historiques miniatures d’arrière-boutiques à souvenirs. Une table-plateau basculante et aimantée pour nous transposer d’un coin à l’autre de la France en un tour de manivelle. Deux comédiennes, tenues sobres, pour donner vie à des objets hétéroclites que rien ne destine à l’harmonie. Voilà de quoi susciter l’imaginaire et l’émotion des spectateurs pour 1H15 de voyage dans le roman-fleuve de Victor Hugo.  
 
Karine Birgé, Marie Delhaye, Julie Nathan, Naïma Triboulet (en alternance) prêtent leur voix à un récit poignant qui résume toutes les misères d’un peuple affamé dans la France du début du XIXème siècle. 
 
Jean Valjean, Fantine, Cosette, Marius, Gavroche, sont les héros de cette tragédie universelle alors que l’inspecteur Javert représente le pouvoir oppressif, infatigable, aveugle et démesuré. Il poursuivra Valjean à sa sortie de dix-neuf ans de bagne pour le vol d’un pain, persuadé qu’un voleur reste un voleur jusqu’à la révélation de la valeur de Valjean qui le poussera au suicide. 
 
Pas un murmure dans le public, on retient son souffle tant l’évocation est forte. Des gestes précis dépouillent ces statuettes des quelques chiffons qui leur tiennent lieu de vêtements : individualités volées, destins brisés, fusillades de la rue Saint Denis... Aujourd’hui encore l’actualité fait écho à la pensée de Victor Hugo : « Tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l'enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles ». 
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La compagnie des Karyatides s’est spécialisée dans l’adaptation des grands classiques de la littérature sous une forme théâtrale dépouillée mêlant marionnettes, objets de brocante, ombres, bruitages et bande son pour une esthétique “des petits riens” en jouant sur la nostalgie, les références, les clichés qui font mouche pour emporter le spectateur au cœur de la tragédie par le seul pouvoir de l’extrapolation et de la résonance des mots dans l’imaginaire collectif. 

Un savoir-faire acquis par des années de travail directement inspiré et soutenu par la reine du genre : Agnès Limbos. 

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Un spectacle à recommander vivement pour jeunes et moins jeunes qui, en fin de spectacle, devant l’insignifiance des bibelots, se demandent quel pouvoir magique les a si brutalement secoués. 
 

Palmina Di Meo 

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PUEBLO

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ASCANIO CELESTINI - DAVID MURGIA, une FABULEUSE symbiose

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Pueblo, dans la lignée de Discours à la nation et Laïka, chante l’authenticité de ces vies oubliées, les perdants, ceux que l’on s’obstine à ne pas voir. Cela donne des portraits attachants, nourris de rêves, de leurs légendes propres, reconnaissants à la vie de ses moindres cadeaux. Dans la bouche de David Murgia qui raconte encore et encore, ils font foule, se croisent, se répondent. On les découvre dans le quotidien avec leur dignité, leur code de l’honneur, les affabulations qui les nourrissent, leur candeur parfois ou leur résignation.

C’est enlevé, plein de grâce en dépit du contexte sordide. Ce sont les petites gens à qui on jette des miettes, des restes périmés de nourriture, un coin au bout d’un parking pour y planter une tente. Ils exercent des activités éphémères, ils vivent dans la rue. Il y a Léonore, la caissière, qui joue à la reine derrière son banc au supermarché et retrouve le soir le fantôme de son père sublimé, Saïd, le manutentionnaire sans-papiers, la tenancière de bar incollable sur les machines à sous, le gamin de huit ans - caché parmi les spectateurs - un petit gitan livré à lui-même depuis la mort de son père, Dominique la clocharde qui n’a pas son pareil pour concocter des festins avec des produits destinés au rebut et qui vit une histoire d’amour avec Saïd.
Tout un peuple silencieux, non revendicateur, qui vit à deux pas de nos maisons et appartements et que l’on peut voir de nos fenêtres pour autant que l’on aille à leur rencontre et que l’on délaisse la télé.

 

Plaidoyer politique, la trilogie de Celestini est une véritable prouesse théâtrale. David Murgia nous guide dans ce peuple aux ramifications infinies avec un bagou à vous filer le tournis. Empruntant le débit des bonimenteurs, il s’infiltre parmi ce peuple, les observe, se fond en eux, commente, digresse, camarade avec le public qui le suit dans ce souffle de 90 minutes presque sans respiration. Son rythme rejoint l’accompagnement sonore assuré par Philippe Orivel, lui-même sur scène avec son accordéon ou son clavier. Ensemble, ils nous transportent dans cette chevauchée fantastique au pays des écorchés, là où l’humour pallie la misère mais où la tragédie et la séparation ne sont jamais loin. Rapatriement ou noyade, l’actualité rattrape la fable.

 

Ascanio Celestini, rappelons-le, est le meilleur représentant de cette veine artistique appelée théâtre-récit, née à la fin des années 80 dans le prolongement de l’art de la narration de Dario Fo. On retrouve chez Celestini la même virtuosité à traiter des sujets graves sur le ton de la farce.

À voir sans modération.

 

Palmina Di Meo  

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HOME - morceaux de nature en ruine

https://www.theatrenational.be/fr/activities/1958-home ;

PERFORMANCES D’ACTEURS AU NATIONAL

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3 acteurs sur scène dans un décor de réfectoire minimaliste de maison de retraite.

3 acteurs non grimés. Ils sont jeunes mais leurs corps sont habités du maintien et des rictus de vieillards. C’est hallucinant, un rien dérangeant...
Des tics et des succions aux crispations et aux tremblements de leurs membres, ils sont asservis à leur rôle de pensionnaires en fin de vie.

 

Tout obéit à une temporalité suspendue. La vie s’écoule au rythme de la progression de ces corps fatigués, voûtés, dans un ralenti souligné par l’immense horloge donnant l’heure en temps réel.

Un temps qui s’étire entre la gestion des déplacements et l’attente des rituels quotidiens, les repas, les visites régulièrement annulées.
Une attente perceptible dès le début qui fait écho à celle des spectateurs, pressentis comme des visiteurs. Une observation réciproque où le moindre mouvement, le moindre bruit devient événement et suscite des réactions non pas verbales mais des pincements de lèvres, des haussements interrogatifs de sourcils, obligeant l’assistance à une concentration sur ces mouvements imperceptibles.

Paradoxalement, les accidents majeurs, les chutes, la dégradation de l’environnement sont dédramatisés, dilués dans l’indifférence générale, ce qui introduit une forme d’humour défensif.

 

Pour obtenir un tel résultat, les acteurs ont côtoyés des personnes âgées dans une maison de retraite d’Ixelles et ont créé avec eux des liens par une véritable rencontre. Imprégnés de l’atmosphère de lente décrépitude de ces lieux d’assistance pour personnes à mobilité réduite qui ne sont autre que des mouroirs, ils ont parfait la maîtrise de leurs mouvements au moyen de la méthode Feldenkreis. Sans copier quiconque, sans caricaturer, ils ont créé des personnages originaux avec les résistances de leur propre corps, nous renvoyant à une lecture documentariste.

 

Diplômée de l’Insas, Magrit Coulon, la metteuse en scène, s’intéresse à la gestion du temps comme outil d’architecture scénique depuis son mémoire de fin d’études. « Home - morceaux de nature en ruine » a été récompensé du prix Maeterlinck de la meilleure Découverte. Sur une dramaturgie de Bogdan Kikena avec qui elle a fondé sa compagnie Wozu ?, elle capte avec une maestra incontestable les infimes soubresauts de vies en suspension et nous aspire lentement, le temps d’une représentation, dans ces espaces temporels que l’on a instinctivement tendance à éviter.

 

Chapeaux bas à ces artistes, Carol Adolff, Alice Borgers, Anaïs Aouat et Tom Geels qui ont physiquement disparus dans l’incarnation de ces personnages qui nous attendrissent malgré eux, empruntant les voix par des moyens techniques les voix des pensionnaires du Home Malibran.

 

Palmina Di Meo

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 https://www.theatrelepublic.be/love-letters

Beaucoup d’émotions au Public pour « Love letters », la correspondance poignante entre une femme et un homme que tout va séparer - enfin pas totalement - car ils vont s’écrire leur vie durant et partager à distance frustrations et joies de l’existence.

 

Finaliste pour le prix Pulitzer de théâtre, la pièce du romancier américain Albert Ramsdell Gurney a fait le tour du monde, suscitant partout le même enthousiasme.

 

Tout commence par une invitation à l’anniversaire de la riche petite Mélissa Gardner à laquelle son camarade de classe Andy (Andrew Ladd Makepeace) répond solennellement.  Ce sera le début d’un échange épistolaire passionné et irrépressible qui va durer jusqu’à la mort de Mélissa.

 

Nous sommes dans l’Amérique des années 30, Andy et Mélissa sont issus de milieux différents, ils seront rapidement séparés, envoyés dans des établissements scolaires lointains. Mais l’espiègle Mélissa sait déjouer les obstacles. Par son audace et son franc parler, elle parviendra à sortir Andy de sa coquille. Cartes postales, reproches griffonnées, prises de bec, réconciliations, appels à l’aide, dessins, souvenirs nostalgiques, c’est leur quotidien qu’ils partagent comme le ferait un couple séparé.

Pris dans le tourbillon de la vie, ils construiront cependant leur existence chacun de leur côté, tout en restant accros à cette complicité unique issue de l’enfance.

 

La mise en scène, voulue par l’auteur, présente Mélissa et Andy assis côte à côte lisant ou écrivant les billets échangés avec la fraîcheur de l’instant vécu. On comprend rapidement le drame de Mélissa, son manque de repères familiaux, le réconfort dans la consommation d’alcool et sa descente aux enfers sans aucune dramatisation, forte de son appétit de vivre. On devine aussi son espoir d’une déclaration de la part d’Andy, beaucoup trop pusillanime, formaté pour une vie sans histoires, préoccupé par son ascension sociale.

 

Un texte tout en finesse et pudeur avec un dénouement inespéré quand Andy réalise qu’il est passé à côté de lui-même, effrayé par ses propres fantômes, alors que Mélissa les étalait au grand jour.

 

Une interprétation magistrale par Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen, submergés par l’intensité des non-dits.

 

À voir absolument.

 

Palmina Di Meo

 

 

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REBOTA REBOTA Y EN TU CARA EXPLOTA

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« Ça rebondit, ça rebondit et ça t’éclate en pleine face »

https://www.theatrenational.be/en/activities/1956-rebota-rebota-y-en-tu-cara-explota#presentation

 

Standing ovation pour cette performance sur la violence faite aux femmes.

Agnés Mateus, seule en scène, emporte la salle dans sa rage contre les féminicides.

 

Moulée dans un pantalon pailleté, elle s’avance vers le public en déroulant un tapis comme pour un défilé sauf qu’elle porte un masque hideux de clown car ici rien de charmant, elle crache toutes les insultes faites aux femmes sur une danse au rythme techno et dans une langue espagnole (surtitrée) qui crépite comme un lance-roquettes.

« Ça rebondit, ça rebondit et ça t’éclate en pleine face », ce sont les paroles d’une comptine répandue dans les cours de récréation en Espagne qui signifie « C’est celui qui le dit qui l’est ».

 

Dénonçant les failles de l’éducation donnée aux filles comme aux garçons, elle démonte sur le même tempo les absurdités et les stéréotypes sexistes des contes de fées et des blockbusters. Avec un humour qui n’épargne rien ni personne, elle trace son plaidoyer contre l’indifférence et l’immobilisme.

 

Créé en 2017, avant Metoo, le projet visait à secouer une Espagne où la violence faite aux femmes était encore un sujet tabou en dépit de chiffres record (en moyenne deux femmes tuées chaque semaine par leur mari, leur fiancé ou leur ex-). « Nous les femmes, nous sommes complètement abandonnées par les politicien·nes" : Agnés Mateus crie l’urgence de réagir. Et si elle se démène autant sur scène, c’est dans un but d’empowerment, de transmission d’énergie commune, comme le slogan d’un refrain féministe : "Nous sommes fortes, nous sommes fières ».

Depuis le spectacle a fait son chemin, remportant plusieurs récompenses et même si le monde politique ne se réveille pas, la force spectacle suscite partout le même enthousiasme.

Agnés et son metteur en scène Quin Tarrida sont des artistes multidisciplinaires qui s’intéressent à diverses formes de violence. Leur précédente production « Hostiando a M » visait les exactions policières. Le secret de leur impact est de ne pas traiter le problème de manière explicite mais sur le mode d’une satire grotesque spectaculaire.

À couper le souffle !!!

Palmina Di Meo  

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Grande ouverture festive du Rideau de Bruxelles ces 24, 25 et 26 septembre.

« Nous sommes le paysage » marque la nouvelle identité du Rideau ancrée dans son quartier, dans le partage et les réalités du présent avec une mission de service public assumée. Développer les imaginaires et les nouvelles formes d’écritures scéniques, autant de défis que Cathy Min Jung entend bien relever avec des projets plein la tête et ses tiroirs.

 

Portrait d’une artiste engagée et déterminée.

 

Cathy Min Jung, vous avez conçu pour la réouverture du Rideau un spectacle intégrateur ‘Now we are ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

 

Cathy Min Jung : Il y a plus de 20 ans que je milite pour un théâtre plus participatif. Par rapport au Rideau et au projet que je souhaite pour ce théâtre, il y a le souhait d’une célébration pour commencer la saison: retrouver la joie d’une vibration collective je vais dire. On a été coupé de cela et j’en avais très envie.  Ma démarche désire inclure le réel oui, mais tout théâtre inclut déjà une part de réel qui reste le ferment de l’imaginaire. Le théâtre est vraiment le lieu où, ensemble, on peut montrer ce réel. Mon objectif vise une représentation plus large, plus fidèle et plus respectueuse des identités de chacun et de chacune, que chacun puisse être représenté sur un plateau de théâtre, que tous les imaginaires puissent être racontés, partagés sous forme d’histoires mais il ne s’agit pas de théâtre documentaire car l’endroit du théâtre est l’endroit de l’imaginaire. On va transcender ce réel et en faire un récit, une fiction.

 

Tu as dit que le monde est dans un « momentum » particulier de transformation. Selon toi, quel est le sens de ce mouvement ?

 

Cathy: Il y a eu la crise sanitaire mais bien avant elle, quelque chose était en évolution. Une théorie affirme que lorsque l’être humain est trop pris par les changements technologiques d’une société et l’adaptation intellectuelle et manuelle à ces technologies, il n’y a plus de place pour faire évoluer la pensée. Or, le monde va très vite et je pense que, déjà avant cette crise sanitaire, on a constaté des disfonctionnements. La crise nous a simplement obligés à nous arrêter, ce qui a provoqué une ébullition de la pensée. Toutes les graines de volonté de changement de notre modèle sociétal, économique, qui étaient présentes au sein d’associations, de collectifs, d’initiatives citoyennes, toutes ces graines, nous avons eu le temps d’en prendre soin, de les arroser. C’est la raison pour laquelle je pense qu’on est dans un moment singulier où la pensée bouillonne et où forcément des changements vont être nécessaires. Les barrières et les cadenas existants vont ils l’emporter ? Je ne le sais pas mais quelque chose est en ébullition

 

Tu dis aussi « je ne veux pas faire de théâtre social » Qu’est-ce pour toi le théâtre social et comment te positionnes-tu ?

 

Cathy : Le théâtre, comme je l’ai dit, est un lieu de fiction, d’imaginaire. Il se fait qu’en racontant des histoires, en transcendant le réel, on peut être soigné mais ce n’est pas l’objectif. Notre mission première est d’être un lieu de rencontres, d’échanges, de faire du théâtre et non pas de nous substituer aux personnes qui font ce travail merveilleusement bien.

 

On peut parler de ton spectacle « Now we are » présenté dans le cadre du weekend de réouverture du 24 au 26 septembre avec une volonté d’un meilleur ancrage dans le quartier...

 

Cathy : Le quartier du Rideau est étrange. C’est une multitude de bulles socio-culturelles qui ne communiquent pas entre elles. La rue Goffart, ce n’est pas uniquement Matonge, ce n’est même plus Matonge. Ce que je souhaitais, c’était trouver le moyen de faire cohésion par le théâtre et avant même d’être désignée au Rideau j’avais imaginé de commencer ma saison par un spectacle participatif mais qui s’inscrirait dans le cadre d’une fête de quartier. Il s’agissait d’aller à la rencontre des habitants, des commerçants, des passants, des travailleurs qui passent sur sept places différentes de ce quartier : Flagey, Fernand Cocq, Londres, Tulipe, Porte de Namur... et de leur poser quatre questions simples. Et puis il y a eu la crise sanitaire et je me suis dit : « Je ne peux pas faire comme si de rien n’était et juste aller à la rencontre des gens alors que cette tornade nous a frappé » et ces questions ont été un tout petit peu modifiées. Elles sont devenues : « Qui es-tu ? Qu’est-ce qui t’a manqué le plus ?  Qu’as-tu perdu ? et As-tu été consolé ? ». C’est dans la question « As-tu été consolé ? » que j’ai puisé la base dramaturgique du spectacle partant du constat que pendant toute cette crise, nos responsables, ceux qui organisent nos sociétés n’ont pas pensé une seconde à imaginer des endroits où on pouvait déposer son chagrin, où on pouvait nommer le trop plein de douleur, de la tristesse, nommer la peine. J’ai donc envoyé une bande de « collecteuses de mots » (personnellement, je ne voulais pas aller directement à la rencontre de ces personnes mais plutôt les connaitre après). Pour la récolte, je n’ai pas voulu d’un simple micro trottoir. Il s’agissait d’entrer directement dans le processus de création, la collecte en elle-même devenant une performance

Les collecteuses étaient costumées, elles représentaient un personnage qui allait à la rencontre des habitants du quartier. Elles expliquaient le processus de travail et en quoi cette parole-là allait nourrir le spectacle. Ensuite il y a eu un échange symbolique, on leur a demandé de laisser une trace et on a imaginé de leur donner un cadeau, un petit caillou doré avec leur nom et une photo s’ils le souhaitait. Ce moment en soi était déjà un moment de théâtre, d’échange et de partage. Avec ce matériau, on a mis en exergue les ressemblances et trouvé un fil conducteur. Puis on a lancé un appel toutes boîtes aux habitants du quartier que l’on a relié sur les réseaux sociaux pour informer que nous avions besoin d’interprètes pour animer notre weekend d’ouverture de saison. Il était important pour moi que les interprètes ne soient pas les mêmes que les témoignants car chez des non-professionnels, la barrière de la pudeur peut empêcher d’explorer plus loin dans l’imaginaire ce que ces mots peuvent éveiller chez quelqu’un d’autre. Au final, vingt-deux interprètes amateurs, un danseur chorégraphe, Ilyas Mettioui, Chems Eddin el Badri collaborent avec moi dans la conception de ce spectacle qui rend compte de l’aventure humaine que cela a    été.

 

Comment s’est déroulé ce travail d’appropriation des témoignages ? Le besoin de communiquer des gens était-il évident ?

 

Cathy : Au niveau des témoignages, c’étaient de vrais cadeaux, des pépites. Je les ai d’ailleurs appelées « mes chercheuses de pépites » et pour les participants, à partir du moment où ils ont mis le pied sur le plateau et se sont engagés, ils sont devenus comédiens, point, amateurs ou pas. Ils sont là, entiers, généreux avec une véritable soif de retrouver un acte de création collective et le même engagement que des comédiens professionnels.

 

Comptes tu réitérer cette forme de spectacle ?

 

Cathy : J’aimerais bien,  pas forcement toutes les saisons parce qu’au Rideau on aime aussi les textes, mais c’est une forme que j’aimerais reproduire une saison sur deux.

 

En tant que directrice, as-tu envie de t’entourer d’une équipe fidèle ?

 

Cathy : Bizarrement, je n’ai pas d’artistes associés. Plus qu’une fidélité à des metteuses et metteurs en scène, j’ai envie que le Rideau puisse accompagner sur la durée des artistes porteurs de projets pour les amener vers l’autonomie, qu’il y ait un échange de savoirs, une transmission de part et d’autre de connaissances car nous aussi au Rideau on apprend et ces porteurs de projets avec leurs pratiques personnelles, nous pouvons leur mettre à disposition une équipe hyper compétente pour les amener à développer leurs propres structures, à gérer leurs propres productions, pour qu’ils aient la liberté  totale de leur calendrier de production, qu’il y ait cette souplesse-là. La fidélité se retrouve plutôt dans ce que j’ai appelé « le collectif associé » constitué de l’équipe permanente et d’une série de personnalités associées, artistes ou non, mais d’une manière ou d’une autre liées au monde de la culture. Nous organisons trois AG d’une journée articulée en deux temps. La première partie de la journée est consacrée à l’échange, aux critiques sur les grandes orientations de la maison, et la deuxième partie de la journée est un atelier pratique où il s’agit de produire de la pensée, du texte, artistique ou non, qui parle de théâtre, qui soit du théâtre et trouver comment mettre en œuvre l’échange d’idées de la matinée. Un exemple très concret : comment mettre en œuvre la diversité, un terme qui l’on met à toutes les sauces aujourd’hui. La première partie de la matinée a été consacrée à l’utilisation de ce mot, Au sein de l’AG, on va déconstruire toutes les formules toutes faites « diversité sur scène » « offrir la diversité » ... On n’offre pas la diversité, on la garantit tout au plus. Durant l’après-midi, on va se demander comment mettre en œuvre tout cela. C’est tout bête mais avec la crise sanitaire nous n’avons pu faire que deux AG et pas complètement en présentiel. Lors d’une AG, on a conçu l’acte le plus concret qui soit : un comité des fêtes. Pour ouvrir le théâtre au quartier, le rendre accessible, moins impressionnant, le meilleur moyen, c’est la fête.

 

Tu es aussi fidèle à l’héritage du Rideau de promouvoir de nouvelles formes d’écriture ..

 

Cathy : Je suis fidèle à l’héritage de Claude Etienne de la découverte des auteurs émergents, des écritures nouvelles. Nous avons un beau projet pour lequel on est en partenariat avec le Jean Vilar. J’ai créé un festival qui s’appelle « Dis-moi tout », dont la première édition est prévue cette saison et dont on vient de lancer l’appel à textes : des textes en cours de finition, qui n’ont fait l’objet d’aucune lecture publique, d’aucune édition, ni mise en scène, d’aucun accompagnement professionnel. Nous en sélectionnerons quatre qui seront pris en charge par des metteuses ou metteurs en voie un peu plus aguerris dans des formes ludiques, engagées, nouvelles. Ces textes seront interprétés par une troupe de dix comédiens fraichement issus des écoles. Avec l’idée de faire connaitre ces écritures dans des formes différentes puis d’octroyer une bourse d’écriture à l’un des quatre, la « bourse Claude Etienne » puisque c’est le Rideau qui l’octroie et plus tard, mais on n’en est pas encore là, de porter à la production et à la scène car le but d’un théâtre n’est pas juste de promouvoir l’écriture mais d’aller au bout du processus de représentation. Le festival dure une semaine, les textes sont lus en alternance à Bruxelles et à Louvain la Neuve et en parallèle, il y aura une série d’activités liées à l’écriture quelle qu’elle soit pourvu qu’elle soit destinée à être entendue, lue, dite, via les Midis de la poésie, les Lundis en coulisses, la scène slam, les concerts... et une grosse fête !

 

Propos recueillis par Palmina Di Meo 

 

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« Une maison de poupée » de Henrik Ibsen

Au théâtre Royal du Parc jusqu'au 30 juin.

https://www.theatreduparc.be/une-maison-de-poupee/

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Crée en 1879 sur base de l’histoire vraie de Laura Petersen, une écrivaine amie des Ibsen « Une maison de poupée » produit encore aujourd’hui un effet révélateur. Jouée pour la première fois en langue française au Parc dans une version censurée, la pièce retrouve ses lettres de noblesse avec les revendications féministes de Nora. Car c’est bien de théâtre politique dont on parle avec cette pièce qui fut scandale à l’époque obligeant Ibsen à réécrire une fin où Nora vient s’excuser d’avoir abandonné sa famille.

 

Nora, très éprise de son mari, Torvald, n’a pas hésité pour le sauver d’une maladie grave à imiter la signature de son père réalisant un faux en écriture. Grâce à cet acte illicite dont elle ne mesure pas la gravité (une femme ne pouvait emprunter d’argent sans être chapeautée par un homme), le couple a pu réaliser le voyage en Italie conseillé par le médecin de famille.

Mais voilà que son usurier réapparait. Dévoré d’ambition, ayant appris que le mari de Nora est nommé directeur de banque, il se livre à un chantage : pour prix de son silence, il exige de Nora qu’elle le fasse embaucher pour pouvoir se hisser aux plus hautes fonctions en dépit de sa réputation douteuse. Nora va alors vivre l’enfer.

 

Si Laura Petersen fut enfermée dans un asile par son mari, Nora, elle, sera sauvée in extremis mais le mépris de son mari à son égard lorsqu’il apprend ce qu’elle a fait, lui ouvre les yeux sur sa condition d’épouse ‘modèle’ ou plutôt de poupée divertissante, rôle qu’elle a tenu à la perfection jusqu’alors.

 

De retour au Parc après « Kennedy » en 2016, Ladislas Chollat (plusieurs Molières) retrouve Anouchka Vingtier, fragile à souhait, pour évoquer le personnage enfantin de Marilyn, Revêtue de son costume « emballage cadeau », Nora prend consciente de sa condition de « jouet » d’abord pour son père ensuite aux yeux de son mari (« mon alouette qui gazouille », « mon écureuil qui frétille », « ma joueuse a encore trouvé le moyen de gaspiller un tas d’argent») ainsi que de sa responsabilité dans l’éducation de ses propres filles.

 

Le décor de Thibaut De Coster et Charly Kleinermann contribue à la progression de l’intrigue. Il « respire » au rythme des angoisses de Nora. Les murs rétrécissent, se dilatent, le plateau tourne comme sur un index, la maison entière éclate comme une bulle lors de la prise de conscience de Nora pour se réduire à une miniature, une peau de chagrin, entre les mains de Torvald quand sa femme, son « divertissement », le quitte.

 

Plus de 140 ans après sa publication, la pièce d’Ibsen ravit encore le public malgré certains aspects caricaturaux et garde un souffle de modernité dans la défense du droit de tout être humain à l’épanouissement et à la liberté.

 Palmina Di Meo

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MUZUNGU, souvenirs d’enfance et d’Afrique

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C’est par le biais de quelques bobines de films retrouvées dans la maison familiale que Vincent Marganne tente de reconstituer le théâtre de son enfance vécue dans une certaine insouciance alors que des événements tragiques vont tracer son destin.

 

La pièce s’ouvre sur l’évocation de souvenirs collectifs des golden sixties, le téléphone à cordon, l’euphorie des voyages et l’émission « Visa pour le monde » dans un décor de Boeing au son des tam-tams... Et puis cet avion filmé en Super 8 qui ramène une famille en Belgique.

Vincent a alors 7 ans. Son père, professeur de mathématiques au Collège jésuite du Saint-Esprit à Bujumbura, fuit le chaos des premiers massacres hutus en 1972.

Vincent n’a jamais su exactement ce qui s’était passé. Aujourd’hui les anecdotes filmées par son père questionnent en lui un passé nébuleux avec une image forte qui surgit, celle de corps massacrés sur le bord d’une route...

 

Avec un interlocuteur, Edson Anibal, qui se glisse avec aisance dans la peau de divers personnages pour titiller ce « Muzungu », cet homme blanc d’Afrique qui a été servi par des « boys », Marganne tisse des liens entre les perceptions sensorielles que les images suscitent en lui et les souvenirs éphémères d’une époque dont il se sent en partie étranger. Que signifie colonialisme pour lui ? Sa famille partie dans le cadre de la coopération au développement a vécu une tranche d’histoire traumatisante et son père avec l’aide de sa hiérarchie a contribué à aider des hutus à fuir les persécutions tutsies.

 

L’émotion est palpable à chaque instant de ce récit introspectif qui se déroule comme un long poème d’où émergent des odeurs, des sons, des effluves de paradis perdu.

 

Dans une mise en scène sobre de Serge Demoulin, les images défilent derrière une porte fenêtre, dans un décor daté qui contraste avec la fraîcheur des sensations retrouvées.

 

Palmina Di Meo

https://www.rideaudebruxelles.be/projects/muzungu-2020-2021/

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Elle est heureuse Carine Bielen, d’un bonheur qui se satisfait de menus plaisirs, de rêveries. Depuis qu’elle a Logan, ce bébé qu’elle a conçu elle ne sait pas trop comment, sa vie a un sens.

Mais voilà que ce bonheur risque de lui être retiré à jamais. Tout cela à cause d’un stupide moment de lassitude alors qu’elle sait bien qu’elle ne peut se permettre aucune erreur. Car sa vie est dirigée, depuis toujours, par des chiffres et des évaluations.

 

On découvre son histoire au fil d’un monologue criant de sincérité, de clairvoyance et d’humilité. Sans complaisance, elle est bien capable de se juger elle-même, Carine Bielen, cataloguée arriérée et mis sous tutelle. « En tous cas, je veux pas que Logan y revive ça, moi je veux qu’il aille dans une école NORMALE ». Et elle est prête à se battre pour Logan, pour qu’il ait sa chance.

 

Avec un texte bouleversant, qui vous renvoie à vos propres angoisses vis-à-vis de vos enfants, Celine Delbecq dresse le procès d’une société trop prompte à cataloguer et à juger sans apporter de solutions constructives. Une société qui casse au lieu de réparer. Toute l’œuvre de Céline Delbecq questionne la place de l’individu dans la société. Elle réussit ici à toucher la corde sensible de l’amour maternel et des limites de l’individu face à un déterminisme ancré de longue date. Peut-on s’en sortir alors que la collectivité a brisé en vous toute possibilité d’estime propre ?

 

Véronique Dumont, la comédienne, impose une présence presque féline, elle réussit à porter le texte à son paroxysme émotionnel avec un débit et une innocence dénués de toute séduction. Elle EST en dépit de son discours auto-dénigrant. Et elle vous force à prendre parti, à vous interroger sur le sens du mot « justice ».

 

« À cheval sur le dos des oiseaux », un des meilleurs textes de théâtre auquel vous êtes conviés à assister. À l’affiche du Rideau de Bruxelles jusqu’au 15 mai en extérieur.

 

INTERVIEW DE CELINE BELBECQ, AUTRICE DE « A CHEVAL SUR LE DOS DES OISEAUX »

 

La pièce est ancrée dans un contexte d’isolement, de solitude. Le confinement que nous avons vécu et vivons encore est-il à la source de ton inspiration ?

 

Celine Delbecq: J’ai commencé à écrire juste avant le premier confinement. Cela s’est fait en plusieurs étapes. Il était d’abord question d’un accident, c’était même plus qu’un accident. Dans la première étape de l’écriture, Carine Bielen tue son enfant en s’endormant dessus et au fil de son histoire, je me suis dit: « Cette femme ne peut pas tuer son enfant, cela va la stigmatiser encore plus, je vais moi-même la stigmatiser ». C’est comme ça, qu’elle lui casse un bras. Mais c’était le squelette de la chose. En allant plus en profondeur, je suis tombée sur une article de Alice Romainville de l’Observatoire des inégalités qui disait que 80% des élèves en écoles spécialisées étaient issus de milieux précaires. Cela fait partie des choses qui ont alimenté ce récit qui parle notamment des tests QI, de l’orientation scolaire dans l’enseignement spécialisé via des tests QI, tests qui par ailleurs ne sont pas adaptés à des personnes issues de milieux précaires mais qui sont plutôt des tests cognitifs. J’ai entamé le travail d’écriture à la Chartreuse mais le 16 mars j’ai dû quitté suite aux premières mesures de confinement vu que les frontières fermaient. Le premier confinement, je l’ai passé seule chez moi, enfermée, et bien sûr, il reste beaucoup de cette solitude et de cet enfermement dans le texte parce que Carine Bielen et très seule finalement même si elle a plein de gens qui l’entoure - et elle leur en est très reconnaissante - mais elle est aussi très seule dans sa bataille.

 

Vous avez touché la frontière entre ce qui est jugé comme normal et le borderline, le fil rouge que Carine a tendance à franchir dans ses angoisses.

 

Céline: Je crois que ce serait une personne totalement censée si la société ne lui avait pas constamment renvoyé l’image d’une personne débile, incapable, arriérée, pas à la hauteur, sous tutelle... « Tu n’es pas capable, on va te le prendre ». Je crois qu’elle a intégré ce discours de la société et qu’elle se confond avec ce qu’on lui renvoie. Mais là où elle ne confond plus rien c’est pour Logan. Elle dit : « Je ne veux pas que Logan revive ça ». Elle ne va pas se battre pour elle-même car elle pense que la société a raison, qu’elle-même ne voudrait pas d’une fille qui n’a rien, qui est toute de travers et qui est sous tutelle et qui vit sous les allocations familiales.

 

En même temps on retrouve les angoisses de toute jeune mère à laquelle on peut s’identifier..,

 

Céline:  Ce qui la diffère d’une autre mère, c’est qu’une autre à droit à l’erreur alors qu’elle n’y a pas droit car elle est sous tutelle, sous surveillance et sous observation et elle le sait cela, même si elle ne peut pas le formuler avec des mots, elle le sens dans son corps qu’elle n’a pas droit à l’erreur ! Contrairement à n’importe quelle mère ! D’ailleurs, l’accident est arrivé, oui - et c’est un accident grave, c’est indéniable - mais il serait arrivé à une autre mère, personne n’en aurait rien su... Là, c’est parce qu’elle est sous surveillance, qu’elle subit cette intrusion du normatif. Elle vit dans un logement social qui est le logement de la société donc même chez elle, quelque part, elle n’est pas chez elle. Et tout cela elle ne l’ignore pas.

 

Les spectateurs sont touchés par le portrait de cette femme, c’est évident.

 

Céline: D’après les retours des gens après le spectacle, c’est l’injustice de la situation qui les touche. On a envie qu’on lui rende son enfant et paradoxalement, ce qui est arrivé n’est pas anodin. Je ne jette pas la pierre aux services sociaux. Je pense que ce sont des gens formidables et qui ne sont pas assez payés pour le travail qu’ils font.

 

Celine Bielen, le personnage, subit le carcan social mais d’un autre côté peut-on se permettre des faiblesses vis-à-vis d’un enfant ?


Céline: Moi-même je n’ai pas la réponse. Faut-il lui rendre son fils ?  J’ai bien sûr un avis mais je n’ai pas la réponse. J’aurais envie qu’on lui rende son enfant. Mais ce n’est pas mon métier et si c’était mon métier, je ne suis pas sûre que je lui rendrais son enfant. Je ne sais pas... Mais c’est pour cela que cela m’intéressait de soulever cette question. C’est la complexité de tout cela. À un moment donné, chaque personne a une histoire. Faut-il prendre en considération l’histoire de la personne ou simplement suivre des protocoles et remplir des grilles d’évaluation et mettre des chiffres. Est-ce que ce sont les mots qui comptent ou les chiffres ? C’est la question de tous mes spectacles : l’histoire d’une personne, cela compte ou pas ?

 

Le plus terrible, c’est qu’à la fin on lui demande de prendre une décision qu’elle ne veut pas prendre...

 

Céline: On ne lui ne demande pas vraiment, on lui demande de relire son dossier. Elle dit : « Moi je crois qu’il faut me le rendre. Après c’est vous qui décidez comme d’habitude ».

 

On lui demande signer quand même...

 

Céline: Oui, d’ailleurs pour moi elle est dans le bureau du directeur général des droits de l’enfance mais elle pourrait aussi être dans un commissariat on ne sait pas très bien. La dernière scène, on l’a travaillée comme dans un tribunal. Elle est debout face aux gens comme dans un tribunal. On avait envie de garder l’ambigüité et quand on lui demande de signer et elle dit : « C’est mon dossier ça ? ». On sent qu’il est fameux... Il y a toutes ces petites couches qui font que ce n’est pas évident de répondre à la question : peut-on lui rendre son enfant ? Mais ce qui est évident, c’est qu’elle aime cet enfant et qu’elle a envie de se batailler pour qu’il ne revive pas ce qu’elle a vécu, qu’il ne vive pas ce cycle de la précarité et du handicap. Déjà çà, c’est une belle transmission. Après oui, c’est avec toutes ses failles et toutes les failles que la société lui a imposées car elle n’a pas choisi de les avoir ces failles-là, c’est tout un système qui est derrière.

 

Il y a un déterminisme social ?

 

Céline: Pour elle oui elle ne se battra pas pour elle-même mais elle va se battre pour Logan. Car elle se dit que c’est un intellectuel.  Elle a parfaitement intégré, compris dans son corps que quand on va dans une école spécialisée, on ne peut pas devenir docteur. Elle va batailler pour éviter cela à Logan. Elle dira qu’il faut qu’il ait sa chance comme tout le monde.

 

Au niveau de l’écriture, la langue est parfaite, on est dans un langage acquise dans un parcours particulier.

 

Céline: J’ai écrit pour Véronique Dumont. Je l’ai vue jouer plein de fois, je connais son souffle, sa voix. Donc j’ai écrit rapidement. Mais au moment de l’édition, je me suis dit : « Il faut que je réécrive en bon français de France ». Et c’est là que cela m’a fait horreur. Je me suis rendu compte que je la mettais à l’endroit qui l’exclu car c’est cette langue-là, normative - la langue française est une langue de pouvoir, de domination et peut-être que toutes les langues le sont - mais le français est une langue d’académiciens. Et cette langue fait partie du pouvoir qui l’exclu. J’ai voulu à tout prix lui éviter cette langue-là qui fait partie du système, une langue qu’elle n’arrive pas à parler et dont elle subit les injustices. Sinon, la pièce s’est écrite assez facilement. Je pensais beaucoup à Véro. Ce dont j’ai envie, c’est que toute personne ayant entendu son histoire se dise : « Il faut lui rendre son enfant. Il y a une injustice. Ce qui est arrivé n’est pas arrivé pour rien. Elle n’est pas la seule responsable, toute la société est responsable de cet accident car la société ne l’a jamais aidée, ne lui a jamais laissé sa chance ».

 

On ne peut pas non plus réécrire le parcours biaisé de quelqu’un...

 

Céline: Et c’est là que le théâtre intervient en mettant des mots sur les protocoles. Il faut dire qu’avoir un enfant, pour elle c’est avoir un rôle, elle n’a jamais eu aucun rôle, aucune place et c’est peut-être cela qui fait la fusion entre elle et son enfant - moi, je trouve cela monstrueux la fusion maternelle - mais elle, elle a aussi un rôle pour elle-même et elle dit : « Depuis
que j’ai Logan, je ne bois plus, j’arrive à me lever, je n’ai plus les idées noires. » Alors même s’il y a beaucoup d’erreurs et de maladresses, il y a aussi beaucoup d’amour et n’est-ce pas suffisant ?

 

Propos recueillis par Palmina Di MEO

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À défaut de pouvoir présenter au public une pièce prête à être jouée, Le Rideau de Bruxelles a permis à un public restreint de découvrir la dernière mise en scène de Robert Bouvier.

Fruit de la collaboration entre la Compagnie du passage et le Rideau, « Kvetch » de l’auteur britannique Steven Berkoff est une fresque jubilatoire de nos frustrations les plus animales. Elle est servie par une palette de comédiens à la hauteur du défi.

Robert Bouvier ne s’est pas trompé en choisissant cette pièce de Berkoff car les « kvetches » en yiddish, ce sont ces moments de rupture, de doutes générateurs d’angoisse qui nous font perdent les pédales et passer à côté des choses authentiques de la vie, ce que Berkoff appelle « le dialogue à l’arrière de nos têtes ».

Qui n’a pas été submergé par des pensées parasites lors d’un diner, d’un entretien ou d’une rencontre, qui n’a pas éprouvé cette sensation traumatisante d’avoir été nul, ridicule au regard de l’autre, d’avoir mis les pieds dans le plat, d’avoir manqué de répartie.
Ce sont ces failles où l’éprit s’emballe et déforme la réalité que Robert Bouvier choisit d’explorer avec cinq comédiens rigoureusement sélectionnés pour nous offrir un spectacle où les émotions les plus inavouables se chevauchent, filent en montagnes russes prenant le pas sur la bienséance et la retenue. Cinq comédiens qui nous livrent ici une performance où le mental s’empare du physique pour délivrer ces démons qui naissent de l’angoisse. Car ils sont mis à rude épreuve ces interprètes de nos fantasmes intimes. Si les pensées se bousculent dans la tête, les acteurs en épousent le tempo dans une course effrénée à la recherche de soi.

On est de suite emporté dans les délires de ce monde petit-bourgeois où les convenances annihilent les vraies rencontres. Entre l’épouse frustrée voulant se montrer parfaite, le mari fier de l’ascendant qu’il a toujours eu sur sa femme mais envieux d’un collègue qui de son côté n’assume pas sa virilité, et la belle-mère pétomane, l’hystérie retombe comme un soufflé sous un choc thermique et on se retrouve prisonnier de la fragilité, de la vérité de ces êtres qui s’effritent à force de vouloir se dépasser.
Une pièce qui touche au plus profond de notre essence et de la conscience de soi, un voyage dans l’univers de nos peurs où désir de plaire et libération des tabous s’affrontent de façon abrupte. Une occasion de rire de nous-mêmes car il s’agit bien d’une comédie avec toutes les ficelles du genre. Et Robert Bouvier réussit son pari de nous attendrir des faiblesses et des incohérences de ces personnes trop ordinaires prisonnières de leur quotidien. Il est d’ailleurs familier de mises en scène où le dialogue intérieur s’exprime sur scène, n’oubliant pas que le mot « théâtre » vient du grec « theatron », le lieu où l’on voit. C‘est donc naturellement qu’il aime à explorer les pensées intimes d’un personnage pour les intégrer dans l’espce scénique, jouant sur les métaphores, les transformations de lieux, les rythmes et les variations de tonalités, alternant scènes burlesques et moments de sincérité et de mises à nu.

De ce cocktail nait un spectacle subtil entre tragédie et comédie qui nous tient en haleine de bout en bout.

À savourer dans un proche avenir. On l’espère tous...

Palmina Di Meo
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UNE INTERVIEW DE ROBERT BOUVIER

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Rencontre avec Robert Bouvier metteur en scène, comédien, à l’occasion de la présentation par Le Rideau de « Kvetch », la pièce que Steven Berkoff a dédiée à tous ceux et celles qui ont peur.

Robert Bouvier, qu’est-ce qui vous a séduit dans la pièce de Steven Berkoff et vous a donné envie de la monter avec la Compagnie du Passage ?

Robert : Étant comédien, j’ai trouvé que c’est une pièce cadeau pour des comédiens. Les personnages sont comme des comédiens ayant toujours ce besoin de répondre au désir de l’autre, c’est maladif chez Berkoff ! On devient des personnages pour un metteur en scène et peut-être les choisit-on parce que ces personnages nous attirent ou nous touchent. Personnellement, j’ai toujours une part de projection dans les personnages quand j’ai envie de jouer. Dans cette pièce les personnages se sentent toujours observés comme des acteurs obsédés par le regard du metteur en scène et qui se répètent : « Je n’aurais pas dû faire ça comme cela »... Ils se contrôlent, ils ont l’impression de ne pas être à leur place, de ne pas correspondre au désir de l’autre. Cela m’émeut parce que ces personnages deviennent inconsistants à force d’espérer être autrement. Cela requière un travail profond d’apprendre à devenir soi-même et plus peut-être pour un comédien de s’accepter, d’accepter sa singularité, sa différence, sa folie car ces personnages ne cessent de se censurer, ils ont des lapsus, ils font des gaffes tout simplement parce qu’ils ont peur. Moi, cela m’arrive souvent de dire un mot pour un autre, de faire des gaffes et plus je le redoute, plus cela devient un cercle vicieux.
Mais il s’agit aussi d’une réflexion sur les rapports entre les êtres. Dans la vie sociale, par exemple. Au cours d’un repas, on aimerait être drôle, avoir davantage les projecteurs braqués sur soi, on aimerait avoir dit ce que l’autre a dit... Au lieu d’écouter l’autre, on pense à ce qu’on voudrait dire et donc on oublie d’être dans le rapport avec l’autre. Dans la vie intime, la scène de ce couple qui fait l’amour mais où chacun fantasme sur quelqu’un d’autre est terrible. Dans la vie professionnelle, le protagoniste doit plaire à la personne à qui il doit vendre un produit et s’il est humilié, il n’ose pas réagir parce que cela ne se fait pas mais aussi parce qu’il y a des enjeux économiques. On ne se permet pas de dire à l’autre ce qu’on pense.

Vit-on dans une société autocensurée selon vous ?

Robert : Je pense que le problème vient du rapport de soi à soi, de nos éducations. Quand j’étais petit, j’entendais comme recommandations d’être « doux », « poli », « modeste », « charmant ». On est pris dans des sortes de carcans. Comme si la vie se joue en trois étapes : d’abord découvrir qui on est, puis accepter qui on est et enfin faire accepter qui on est. Pour certains, cela se résout très vite, d’autres vont mettre un temps fou à s'accepter eux-mêmes. Dans cette pièce, il est question de psychanalyse, Berkoff se moque beaucoup de lui-même et de ses proches. Mais je n’ai pas voulu m’axer sur les juifs new-yorkais, même s’il fait une sorte de portrait à la Woody Allen de ces gens qui sont tout le temps en analyse avec des questionnements récurrents sur l’argent, le sexe. Ce qui me touche beaucoup plus, c’est leur vulnérabilité car ils sont tous très touchants. Que peut-on dire d’une femme qui se sent obligée d’être toujours parfaite. Il y a des traits misogynes chez ces hommes assez lourds et la femme se croit obligée d’obéir à certains stéréotypes. Il y a hélas encore beaucoup de femmes dont l’univers se réduit parce qu’elles sont obsédées par l’idée de la ménagère idéale, par la perfection du repas à préparer, etc. Ces personnages m’attendrissent parce que même imbuvables parfois, on a envie de les prendre par la main, de leur dire : « Calme toi, tout va bien ! ».

La mise en scène expressionniste, c’est un choix personnel ?

Robert : J’aime beaucoup ces cinq comédiens parce qu’ils sont très vrais et simples. Contrairement à vous, je trouve qu’il y a plein de moments chez eux de jeu très cinéma. Je les trouve d’une justesse énorme. Or la vis comica exige d’aller à fond dans la peinture de ces diables qui sont en nous, de ces fantasmes qui nous habitent. Le comique vient des contrastes, des ruptures, de ces moments qu’on appelle « kvetch ». Ainsi quand Frank a envie de tuer sa belle-mère, il s’agit de vraiment montrer qu’il va lui arracher son cœur, le bouffer et le déchirer et devenir monstrueux et ridicule. A un autre moment, Hal dans son rêve se met à sauter, il devient un enfant, il est comme un chien qu’on libère. Donc oui, il y a de l’expressionisme contrastant avec plein de moments de grande vérité. Une scène comme celle de la femme qui, avant de se mettre au lit, demande à son mari : « Embrasse-moi, j’ai l’impression que je n’existe pas »... Je la trouve hyper touchante.

Les comédiens viennent d’univers, de pays différents. Comment les avez-vous choisis et avez-vous travaillé notamment avec les deux comédiennes qui sont belges ?

Robert : J’ai eu la chance de rencontrer une quarantaine de comédiennes en Belgique. D’ailleurs j’ai trouvé que le niveau ici est excellent. On a fait un gros travail sur l’intériorité, la sincérité. J’ai eu envie lors de ces auditions de faire des improvisations. Je voulais être très ému, découvrir chez les comédiennes un univers et aussi une réelle disponibilité, une humilité à accepter de se montrer tel qu’on est. Par exemple, dans la pièce, il y a une belle-mère qui doit roter et péter. Pour moi c’était un traitement difficile parce que je trouvais vulgaire de simplement montrer cela alors on a ajouté quelqu’un avec un micro qui amplifiait le son des rots et des pets (et vous avez raison il s’agit alors là d’un geste expressionniste) parce que si à table quelqu’un malencontreusement fait un rot, on a l’impression de l’entendre à travers un haut-parleur, de n’entendre plus que cela. C’est cette théâtralité-là que je cherchais mais en même temps la comédienne doit oser jouer ce personnage, être là et dire : « J’ai besoin de faire caca ». Quand je parle d’humilité, il s’agit de cette simplicité de dire : « Je joue quelqu’un qui est parfois grotesque et parfois touchant ». Quand Donna dit qu’elle n’a plus qu’un seul sein et qu’elle a peur de ne plus être aimée, quand elle se met à fantasmer sur la manière dont elle voudrait qu’on embrasse son sein, c’est presque un moment d’onanisme. Il faut que la comédienne soit à la hauteur d’elle-même. Il était essentiel d’être ludiques, joueurs, complices. C’est de la dentelle. Chaque regard est important. Il n’y a pas de décor, on doit tout suggérer avec les mots. Il y a aussi un travail d’éclairage à souligner, c’est un artiste belge qui l’a réalisé, Benoît Théron, il a aussi conçu la scénographie. Le travail sur l’écoute a été important. Il faut inventer les mots au moment où on les dit, imaginer ce qui peut amener des lapsus, il faut qu’on sente qu’ils ont des révélations où moment où ils parlent, quand les mots leur échappent Dès que nous avons trouvé une grande vérité entre nous, nous avons pu chercher une dimension théâtrale, aller vers l’excès, la folie, la démesure.

Ce sont les exercices d’improvisation qui ont permis d’arriver à ce résultat ?

Robert : On a fait quelques impros lors des auditions pour imaginer par exemple le quotidien de Donna, que fait-elle si son mari s’endort sans la regarder et puis on a improvisé pendant les répétitions pour la scène qu’on appelle « le chœur des peurs » où tous les personnages disent leur peur en même temps. On est parti du principe qu’on peut avoir peur quand on est dans une fête où tout le monde doit danser, où on est dans la joie et où paradoxalement on se dit : « Je me sens mal », on a envie d’éclater en sanglots, de ne pas être là, on se sent à côté. On a donc cherché comment cette peur se traduit. Un rideau qui se lève devient une toile d’araignée, quelqu’un qui monte sur une chaise se voit sauter du 17ème étage...
La scène du restaurant avec l’univers du match de foot qu’on entend à la radio dans la cuisine, c’est notre invention. Une trouvaille que j’aime, c’est l’idée de la vie professionnelle qui envahit le lit du protagoniste. On a cherché d’abord à montrer un couple dans un lit en les montrant debout derrière un drap qui se transforme ensuite en tissu de gabardine que le protagoniste doit vendre. En l’absence de décor, tout devient virtuel, mental. On peut être en train de s’endormir et déjà se projeter dans l’angoisse de la vente du lendemain alors que cela naît de votre lit. J’aime ces glissements où sans cesse on a l’impression que l’imaginaire génère l’après.

En quoi cette pièce d’actualité selon vous ?

Robert : Pour moi, ce qui est important c’est d’être dans un rapport vrai, authentique, mais il y a parfois des vérités cruelles à dire à l’autre. Ce couple en train de se déliter aurait pu aller mieux s’il y avait eu de la communication. S’ils avaient essayé de retrouver le contact avec l’autre et d’être à l’endroit juste. Souvent, on cherche à correspondre à l’image qu’on imagine que l’autre se fait de nous. On se dit que face à l’autre il faut être comme ci ou comme ça alors que ce n’est que projection. Très souvent notre esprit divague, l’objectif c’est aussi de rire de notre esprit qui va à cent à l’heure.

La pièce est effectivement drôle. Avez-vous pousser la mise en scène en ce sens ?

Robert : J’ai essayé que ce soit une tragi-comédie. Que l’on puisse rire et en même temps qu’on ait envie de protéger ces personnages, qu’on ait envie de les prendre par la main car ils sont pathétiques. Cela fait rire bien sûr de voir les autre souffrir. Le type qui est invité et qui se dit qu’à son tour il doit rendre la pareille... Mais s’il invite, où manger ? À la cuisine ou au salon ? Il se fait une montagne au point de vouloir en finir avec la vie alors qu’il pourrait simplement jouir du moment. Comment jouer cette liberté sinon comme un enfant avec un côté histrion ?

Le jeu est aussi physique car on passe par plusieurs genres : pantomime, comédie musicale...

Robert : J’avais envie de quelque chose de moderne dans le jeu. La grande tentation, c’était la vidéo. Montrer que quand on parle, dans notre tête, il y a d’autres images, Mais c’était trop simple. Donc je demandais par exemple tantôt à un des comédiens d’évoquer par sa position tel tableau de Egon Schiele. Et cela peut illustrer une projection mentale. Dans la scène du restaurant, on est dans un registre proche de la commedia dell’arte. Il fallait un jeu très physique chez le garçon. Pour signifier les moments de pensées intérieures, on n’a jamais été systématique, on ne s’est pas contenté d’une bascule de lumière. Pour raconter chaque « kvetch » et pour chaque situation, il fallait trouver une solution spécifique, c’est précis, nerveux, et il faut être attentif. Que font les acteurs pendant que s’exprime la pensée intérieure d’un personnage ? Les autres doivent rester vivants. J’ai vu une mise en scène où les comédiens étaient paralysés, gelés pendant que l’un d’eux parlait en pensée intérieure, puis ils reprenaient vie quand ils parlaient à leur tour. Je voulais quelque chose de plus fluide. Je voulais créer des vertiges chez les spectateurs. Au début de la pièce, on joue avec l’ambigüité, on ne sait pas si un personnage parle aux autres ou si c’est intérieur.

Avez-vous d’autres projets, dans cette veine peut-être ?

Robert : Je vais retravailler sur ce thème avec une pièce comprenant une dizaine de personnages, de la musique de la danse... L’idée de départ s’interroge sur ce qui est se passe dans la tête d’un comédien avant son entrée en scène. Nous sommes dans une écriture de plateau mais j’ai déjà bien travaillé le scénario. Il y a des scènes de Ruy Blas, une fanfare, c’est un projet farfelu...
Je joue aussi dans un spectacle qui s’appelle « Nous l’Europe, banquet des peuples » qu’on a joué dans le IN d’Avignon et qui va être repris.
Et en Suisse, je répète actuellement une pièce de Dürrenmatt pour les cent ans de sa naissance, « Nous roulons sur des rails donc ce tunnel doit conduire quelque part » où un train fonce à vive allure sans conducteur. C’est une métaphore de notre société qui va allègrement droit dans le mur.

Propos recueillis par Palmina Di Meo

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Clarissa vit avec son mari, Henry Hailshaw-Brown du ministère des Affaires étrangères, et Pippa, la fille du premier mariage de celui-ci, dans une belle demeure à la campagne. Pour tromper son ennui, la jeune femme à l’imagination fertile aime recevoir des amis et leur raconter des histoires intrigantes de possibles meurtres ou cambriolages. Elle compte parmi sa cour son tuteur, sir Rowland Delahaye, le juge Birch et Jeremy Warrender, un jeune soupirant. Voilà que débarque au milieu de ce beau monde l’affreux Costello, venu réclamer la garde de Pippa au nom de sa mère qu’il a épousé. Clarissa l’éconduit mais regagnant le salon, elle trébuche sur le cadavre de Costello au moment même où la police sonne à la porte...

Agatha Christie a écrit près de 70 romans et une vingtaine de pièces de théâtre très peu traduites en français. Gérald Sibleyras et Sylvie Perez se sont récemment mis à la traduction de huit de ses pièces. La toile d’araignée, écrite en 1954, à la demande de la comédienne Margaret Lockwood avec un rôle espiègle pour la fille de 14 ans de celle-ci (interprétée ici par Sybille Van Bellinghen), présente la singularité d’être une vraie comédie policière. Il y règne une atmosphère de légèreté et d’insouciance qui contraste avec une scène de crime. Impossible de résister au charme de cette société britannique avec son esprit de clan et de galanterie. Ici, le crime est d’autant plus incongru qu’il survient dans un contexte d’affabulations où la vérité se dilue au milieu des mensonges. La tâche sera plutôt malaisée pour l’inspecteur Lord (Daniel Hanssens), d’autant que les membres de cette maisonnée sont bien farfelus ! Conformes à la technique de Christie, les pistes vont être brouillées à souhait dans cette atmosphère bon enfant qui cache bien des secrets.

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Est-ce parce que la pièce a été écrite pour une amie ? Clarissa (c’était le prénom de la mère d’Agatha Christie) présente des similitudes psychologiques avec Agatha elle-même qui était une enfant dotée d’une fantaisie débordante. Celle qui a publié un roman tous les ans à Noël, la reine du huis-clos, maîtrise l’art de la dramaturgie et de la comédie en typant ses personnages sans verser dans la caricature. Ils sont rendus avec finesse et bonne humeur par les comédiens de la troupe des Galeries. Il faut saluer la distribution impeccable, le décor élégant et la mise en scène respectueuse du style franc et enlevé d’Agatha Christie.

Le spectacle est bien divertissant même si on est loin des meilleures intrigues de la championne du suspens.

https://trg.be/

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Palmina Di Meo

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http://varia.be/ariane-euphonie-soundscape-of-a-refugees-greek-camp/

Le noir, puis dans la pénombre, une voile ondule, gonflée par le vent d’une tempête, se transforme en étendard, aigle nazi ou appel de détresse. Et toujours un vacarme, un sorte de grondement, un déchaînement des forces de la nature.

Soudain une clarté presque aveuglante, un paysage d’une netteté clinique. Apparition d’une femme tout oreille qui vient coller avec soin des dessins d’enfants sur un container, seul résultat tangible de cette institutrice presque exsangue qui tente d’enseigner le grec aux enfants des migrants. Nous sommes sur les rivages de la Grèce d’aujourd’hui où les champs sont contaminés et où le miel a désormais la couleur du pétrole…


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Issu de l’Insas, Pietro Marullo travaille depuis de nombreuses années sur les matières et les volumes. Avec une formation parallèle de plasticien, c’est ce qui bouge sur un plateau qui le motive bien plus les mots.
Le son, matière centrale du projet, suggère des signifiés aux tableaux mouvants qu’il crée sur la scène. Pour lui, notre oreille est « Créatrice d’altérité ». Le son, les bruits sont un langage en soi, capables de générer les émotions les plus fortes.

Dès sa création, la compagnie Insiemi irreali, s’est intéressée aux camps de réfugiés et aux effets de la politique européenne en matière de migrations ouvrant le questionnement sous un angle onirique. Des hotspots en Méditerranée, Marullo et ses artistes du voyage, nous invitent à suivre le fil d’Ariane au centre de la Crète dans le labyrinthe du Minotaure. Cette créature monstrueuse de Poséidon est née des amours de Pasiphaé, la femme du roi Minos et d’un taureau blanc que Poséidon avait demandé en sacrifice, animal fabuleux mi-homme mi- bête dominé par ses instincts.

Tout l’art de Pietro Marullo consiste à faire travailler les corps en fonction des matières pour créer de véritables fresques vivantes. De ces scénographies sophistiquées naissent des synchronicités inattendues et pertinentes.

Un spectacle pour les yeux et les oreilles, au goût amer teinté d’admiration pour l’impact qu’il réussit à avoir et les résonnances auxquelles il donne lieu. Objet théâtral à voir !

Palmina Di Meo

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DURAS PAR ISABELLE GYSELINX

Coup de cœur authentique pour la reconstitution du personnage de Marguerite Duras par Isabelle Gyselinx à l’Océan Nord. La pièce, simplement intitulée « Marguerite Duras » s’est pratiquement jouée à guichets fermés. Personnage public souvent controversé, Duras continue à fasciner le public vingt-deux ans après sa mort.

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Sur scène, 5 comédiens pour reformer le cercle intime de la femme de lettres. Isabelle Gyselinx fait le choix de ne pas intervenir dans la voix de Duras mais de monter des fragments de ses écrits pour cerner au plus près les facettes de la personnalité de celle qui est née Marguerite Donnadieu. Et c’est une jeune fille de quinze ans qui ouvre le jeu, chapeau rose et ballerines dorées telle qu’elle est évoquée dans l’ « Amant », première rencontre entre la féminité et le regard du désir.

Deux comédiennes relèvent le défi de rendre la vie à Duras, Sophia Leboutte dans la version adulte et mature du phénomène Duras, lunettes sombres, cigarettes et alcool à portée de main et Alice Tahon, version juvénile, plus spontanée.

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Impossible d’évoquer Duras sans rencontrer la femme engagée, la résistante, la « mitterandienne ». Pour illustrer les épisodes marquants de cette vie aux mille facettes, Fabrice Schillaci et Thierry Devillers écrèment les textes majeurs de l’écrivaine (« La douleur », « La vie matérielle », « Un barrage contre la Pacifique, « C’est tout »…) et recréent ses interventions les plus médiatisées. Ferdinand Despy se glisse dans la peau de Yann, un fan inconditionnel qu’elle rebaptise Andréa Steiner, son dernier compagnon de trente-huit ans son cadet, homosexuel, confident et secrétaire particulier. Le spectacle excelle par les dons d’imitateurs des acteurs qui évoquent Bernard Pivot, Jean-Luc Godard, Madeleine Renaud et d’autres, nous replongeant dans une époque et une société inoubliable en questionnement de valeurs.

L’amour, grande préoccupation de celle qui a dit : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer », constitue le fil rouge du spectacle monté sur le mode d’écriture de Duras, en déconstruction de la narration, des personnages, de l’action et du temps. La pièce progresse par des flashs extraits de l’œuvre et de la vie de Duras, encourageant un mystère quant au caractère fictionnel ou réel des scènes.

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« Écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. ». Celle pour qui les silences avaient une signification primordiale, la femme publique au débit si particulier nous est restituée par l’interprétation de Sophia Laboutte qui incarne toute la puissance séductrice de Duras.

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Isabelle Gyselinx réussit ici son projet de communiquer l’amour de la vie qui transcende cette œuvre personnelle, inépuisable, aujourd’hui encore source d’inspiration de nombre d’artistes, construite sur des décalages. Elle n’hésite pas à emprunter à l’œuvre cinématographique de Duras les plans fixes, les discordances entre images et textes, le récit musical grâce aux compositions et aux interprétations en live de Michel Kozuck. Et cela, avec un point fort, celui de divertir par des clins d’œil et un final sur un numéro en forme de music-hall.

Palmina Di Meo

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Danse : ALLEIN ! Nouvelle création de Erika Zueneli.

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C’est en 2008 qu’Erika Zueneli installe à Bruxelles sa compagnie « Tant’amati ». Prix de la critique du meilleur spectacle de Danse en 2014 pour son travail sur le couple, elle tente une approche de recherche de langage différente avec « Allein », une performance soutenue par trois interprètes : elle-même, chorégraphe-danseuse, Jean Fürst, chanteur-performeur et Rodolphe Coster, compositeur-musicien. Aidé par Laurence Halloy aux effets lumière, ils se livrent à un jeu de conjonctions ouvrant à des interprétations hypothétiques, un jeu d’inspirations et d’hésitations sur une page blanche à remplir. Présenté au festival de danse Fais d’Hiver début 2018, ce spectacle sobre et envoutant a occupé la scène des Brigittines avant d’arriver au Varia.

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Les artistes ont participé à un bord de scène après la représentation du 12 décembre au petit Varia dont voici les grandes lignes.

Rodolphe, comment avez-vous composé cette musique ?

Rodolpe Coster (Sabam award 2016 en composition musicale pour les arts de la scène) : Je suis musicien de formation, violoniste classique. J’aime essayer l’expérimental. Ici, on fait avec peu de moyens. Je me suis aussi récemment lancé dans la création musicale pour la danse. (Il a composé la musique du spectacle Stroke, duo interprété et créé par Louise Michel Jackson). Lors de la préparation de la création aux Brigittines, on avait écouté des morceaux de groupes anglais et aussi de Virginia Woolf pour faire un projet sur la réception de la musique.

Et l’idée du spectacle, comment est-elle venue ?

Erika Zueneli : Avec mes partenaires que je connais depuis longtemps, je voulais explorer d’autres pistes sur la perception musicale et visuelle et aussi sur la mémoire individuelle et collective.
Je voulais chercher autrement que d’habitude en vue de toucher quelque chose de frontal.

Rodolphe : On voulait créer à partir d’un concert. En termes de jeu, on a exploré les années 70 sans avoir envie de jouer sur les images de ces années-là. L’idée était d’avoir une voix, un chant, qui corresponde aux idées contemporaines plus le new wave des années 70 pour donner une force particulière à nos personnalités, à nos frottements.
Il y a aussi des sons pré-enregistrées (comme l’avion que l’on entend au début) et puis il y a des moments où le jeu est démultiplié comme un instrument de musique, les échos de la voix de Jean par exemple sont pitchés.

Et le titre, pourquoi « Allein » ?

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Erika : On a beaucoup cherché et on a bien eu dix titres différents.
« Allein » car dans une de nos premières résidences, on a travaillé sur une chanson de Nina Hagen : « Heute bin ich allein ». C’est aussi la question de la solitude du performeur.
Ce titre m’a semblé résumer pas mal de questions et laisser place à une certaine angoisse.

Le rapport avec le punk ?

Rodolphe : La musique punk est morte avec Lester Bangs qui avait aussi bien compris qu’il était seul. En tant que musicien, je n’aime pas les choses simples. J’aime ce qui est lié à la mort plus qu’à la vie. Même si la musique de Hagen en tant que musicien, ne m’inspire pas, elle a sa légitimité dans le spectacle.

Avez-vous recherché un style ?

Rodolphe : La musique, à mon niveau, ce n’est pas du maniérisme. Cette musique-là me ressemble. J’ai écouté beaucoup de baroque, le classique m’interpelle aussi. On n’est pas ici pour proposer une esthétique. J’ai un groupe et notre musique ressemble à la celle de la fin du spectacle.
Nous sommes restés vrais et honnêtes. C’est la première fois que je travaille dans une création en partage et en triangulation.

Comment avez-vous opéré les choix de fragments de textes du spectacle ?

Erika : On a cherché les sens et il y avait des mots qu’on avait envie d’insérer. On a voulu ouvrir des pistes plutôt que de recourir à des chansons précises. On a privilégié des bribes, des mots ouverts, universels. Et puis, on est passé par des textes dadaïstes. Quand on parle de punk, c’est plutôt d’une idéologie, inspirée du futurisme et du dadaïsme. Ces mots, on a voulu les utiliser à notre guise. Je me suis intéressée aux anarchistes italiens des années 80 que mes parents appréciaient et qui parlaient de liberté et on a replacé les mots dans un spectacle qui parle de présent et du futur.
J’aurais voulu faire un discours sur le futur mais comme je le dis à la fin, je n’ai rien à dire car le futur est une page blanche. Il est devant nous, à remplir.

La musique comme réflexion de départ a-t-elle aidé à positionner l’exercice global ?

Erika : Le spectacle aurait dû émerger de la vibration musicale mais cela ne s’est pas passé comme cela. Il s’est construit tout seul même s’il reste quelque chose de cette idée.

Combien de temps avez-vous travaillé sur cette création ?

Erika : On a mis beaucoup de temps. Nous avons commencé en 2016 et fini en 2018 mais nous avons travaillé sporadiquement selon les disponibilités de chacun. En continu, je dirais un mois et demi.

Erika, où situez-vous cette création dans votre parcours ?

Erika : J’ai derrière moi une dizaine de pièces et j’avais envie d’une cassure, de jouer autrement. Mais cela n’a pas été évident du tout. La scénographie n’est pas apparue d’emblée… Même s’il y a des prises d’espaces et des synchronies très écrites. Mais il y eu cet intérêt de la recherche de quelque chose de différent.

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Palmina Di Meo

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Je laisse couler l'eau,
en la fixant,
et j'ai envie de rire,
je ris mais pas un petit rire, un rire énorme,
Je ne sais même plus si je ris ou si je pleure,
Je sais que je reste seulement là à fixer l'eau,
à la humer,
la contempler...
Comme une conne.

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Journaliste d’investigation et mère de deux enfants (une fille, Vera, et un garçon, Ilia), Anna Politkovskaïa a dénoncé à plusieurs reprises les violations des droits de l'Homme par les forces fédérales russes en Tchétchénie ainsi que la dégradation des libertés publiques et la corruption.
2001 : Anna Politkovskaïa est détenue par les forces russes en Tchétchénie lors d’une enquête contre les conditions de détention pour avoir « enfreint les règlements en vigueur pour les journalistes ».Elle reçoit des menaces de vengeance de la part d’un officier qu’elle avait accusé d’avoir commis des atrocités contre les civils. Les charges sont abandonnées et elle se réfugie en Autriche. Elles seront reprises en 2005 et il sera condamné à 11 ans d’emprisonnement.
2002 : Elle participe aux négociations lors de la prise d’otages au théâtre de la rue Melnikov à Moscou

2004, elle est empoisonnée dans l’avion qui l’amenait pour négocier avec les preneurs d’otages de l’école de Beslan. Les analyses du poison sont détruites « par mégarde ».

« Douloureuse Russie », son dernier ouvrage parait en septembre 2006 aux éditions Buchet-Chastel.
7 octobre 2006, jour de l’anniversaire de Poutine, Anna Politkovskaïa est assassinée dans la cage d'escalier de son immeuble à Moscou au moyen une arme couramment utilisée par les forces de l'ordre. Elle avait été filée et mise sur écoute par le service fédéral de sécurité.

Dans une interview, elle se confiait sur le dédain dont elle était victime dans les milieux journalistiques russes : « Je suis journaliste, et ça m’est un peu égal, comment on m’appelle, et comment on me traite. Je dois raconter ce que j’ai vu. Mon problème est de faire comprendre à mon gouvernement ce qu’il se passe réellement en Tchétchénie, maintenant je ne sais pas par quel biais agir. Si par exemple à travers mes livres l’opinion publique occidentale et notamment les Français comprennent ce qui se joue là-bas et font des pressions sur Poutine que, paraît-il, le gouvernement français adore... Que grâce à cela Poutine comprenne ce qui se trame, eh bien je considérerais que ma mission est accomplie. Je ne me fâche pas facilement, je suis une personne adulte et endurcie, tout ça ne compte pas. Ce qui compte, c’est qu’il faut arrêter cette guerre. [...] Tôt ou tard, il y aura un avenir, les temps changeront, il y aura une révision des événements de la seconde guerre tchétchène et je pense que mon travail aura joué un rôle et sera respecté."

En 2007, Stefano Massini crée la pièce Donna non rieducabile. Memorandum teatrale su Anna Politkovskaïa (Femme non- rééducable) adaptée à l’écran en 2009 par Felipe Cappa.

Traduite par Pietro Pizzuti et créée au Marni en avril 2010 dans une mise en scène de Michel Bernard avec Angelo Bison en autres, la pièce et la personnalité d’Anna Politkovskaïa continuent de fasciner le public.

http://www.theatrepoeme.be/programmation/femme-non-reeducable-memorandum-theatral-a-propos-de-anna-politkovskaia/

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C’est une version à deux qui est proposée aujourd’hui avec Andrea Hannecart. La pièce se présente comme un récit ?

Angelo Bison : Il y a eu une première version avec beaucoup de monde. Mais en Belgique, cela devient difficile à vendre. Le Poème 2 est une salle de grande proximité qui convient particulièrement à ce texte. Il ne s’agit pas de militantisme. Il s’agit d’un exposé des faits.

Ce texte, vous le défendez depuis 2010, avec la même passion, qu’est-ce qui vous motive ?

Angelo : Au-delà de l’acte qu’Anna Politkovskaia a osé, celui de donner sa vie pour la liberté d’expression, c’est encore une femme, ne l’oublions pas ! Une femme qui bouge. Le mouvement Me Too, je trouve cela formidable. Anna Politkovkaia a donné sa vie pour défendre la liberté, notre liberté. Encore récemment, on a vu Jamal Khashoggi, un éditorialiste du Washington Post se faire dissoudre dans de l’acide au consulat saoudien à Istanbul où il se rendait pour des démarches en vue de son mariage avec une Turque. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’Anna Politkovskaia est Russe, pas Tchétchène et en étant Russe, elle ose dire que les Russes commettent des horreurs en Tchétchénie même si cela lui fait mal au cœur car c’est sa patrie.. Elle est considérée comme traître à sa patrie. Or, ce qu’elle dénonce, c’est le silence. Ce que je raconte dans ce spectacle, c’est le silence des politiques. Vous ne trouvez pas qu’en Arabie Saoudite après ce qui s’est passé, c‘est toujours le silence ? Vous avez vu Trump dire : «Maintenant, c’est terminé ! » ou la Belgique dire : « Nous ne leur vendrons plus jamais d’armes après l’acte qu’ils ont commis de dissoudre un journaliste » ? C’est de l’hypocrisie. Politkovskaia, elle dit : « Si nous acceptons cet état de choses, nous sommes complices ». Qui a dénoncé ce qui se passait en Tchétchénie ? Anna Politkovskaia. Et avez-vous vu des réactions de la part de l’Europe, de l’Italie de la Belgique, de la France ?

Une peur européenne des Russes ?

Angelo : Une peur européenne de ne plus faire des affaires avec les Russes, avec les Américains, avec l’Arabie Saoudite. Cela représente des millions et des centaines d’emplois et vous voulez qu’on supprime ces centaines d’emplois pour un journaliste qui a été dissout dans d’acide ?
J’ai envie de dire que ces gens qui se sont fait assassiner ont donné leur vie pour rien ! Car c’est un argument massue, les emplois. C’est le chantage abominable qu’on nous propose.
Je pense qu’il faut qu’il y ait des gens comme Anna Politkovskaia. Je suis pour une vraie révolution de la pensée, de notre façon d’agir et d’être au monde. Et les choses inacceptables, il ne faut jamais les accepter même au nom de la realpolitik.


Elle est journaliste aussi…

Angelo: Oui mais elle peut aussi s’en laver les mains comme Ponce Pilate ! Ce qui se passe en Italie avec Salvini, on peut le voir un peu partout. On essaye de bâillonner la presse. La Repubblica en Italie, on essaye de la faire taire complètement parce que c’est une boite dissidente. Les journalistes italiens ont de plus en plus de mal à s’exprimer au sein même de l’Europe sans parler des pays de l’Est et même en Belgique attention, on ne peut pas dire n’importe quoi en Belgique. C’est le danger et c’est ce que nous dit ce spectacle. Anna Politkovskaia va jusqu’au bout, elle va jusqu’à mourir alors qu’elle a des enfants et qu’elle sait très bien qu’elle va laisser tout cela et moi personnellement, je suis admiratif. Si on oublie trop vite, alors on a tout perdu. J’ai travaillé beaucoup de textes d’Ascanio Celestini qui nous parle de la mémoire. C’est facile d’oublier…

Michel Bernard, le texte de Massini vous l’avez réadapté pour ce spectacle ?

Michel Bernard : C’est le texte tel quel de Massini, traduit par Pietro Pizzuti qui a aussi traduit Lehman Trilogy du même auteur. On a juste réorganisé quelques passages et surtout on a demandé l’avis d’Aude Merlin qui est une spécialiste du Caucase et de la politique post-Union soviétique et aussi professeur à L’ULB et traductrice d’Anna Politkovskaia dont elle était une amie. Comme elle parle le russe couramment, elle a contrôlé le texte et donc on peut affirmer que tout ce qui est dit ici est la vérité. On a supprimé certaines affirmations dont elle a dit : « Je pense que c’est exact mais ce n’est pas prouvé. Donc si vous voulez être rigoureux dans votre travail, il faut les supprimer. »

Il n’y a pas d’apports de Massini aux textes de Politkovskaia ?

Michel Bernard : La grande difficulté avec Massini, c’est qu’il a une écriture très poétique et singulière. Tout matériau (interviews, vidéos, articles concernant Anna Politkovskaia, ou la Tchétchénie) sera transfiguré par sa propre écriture. C’est un problème qui peut poser quelques droits d’auteur. On est face à une matière dont on peut prouver les sources mais portée par une langue, par une ligne d’écriture. Chaque fois qu’il construit des séquences, il y a un cadre qui déborde de son écriture. Il ne se borne pas à rester journaliste, il sait que pour pouvoir travailler une séquence, il va devoir apporter une forme théâtrale, un rythme. Il met en poésie ce qu’Anna Politkovskaia a relaté et qui a été confirmé par Aude Merlin.

Angelo Bison, vous aimez cette salle du Poème 2 et vous préparez déjà un prochain spectacle que vous jouerez ici…

Angelo Bison : Ce sera une petite bombe. Un spectacle sur André Baillon, un auteur belge, qui s’appelle « Un homme si simple ». Un texte où il raconte sa confession à la Salpetrière. Baillon est marié avec Jeanne mais elle ne suffit plus alors arrive Claire qui n’est pas sa maîtresse mais son amie, sa muse. Et donc, il vit avec Jeanne et Claire qui a une petite fille de quatre ans. Mais la petite va grandir et soudain Baillon a des pulsions. Mais il est intelligent. Il ne nie pas les pulsions. Mais pour ne pas les assouvir, il va se faire interner. Il a écrit cinq confessions d’une beauté et d’une drôlerie… C’est un personnage fascinant.

Propos recueillis par Palmina Di Meo

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http://theatre-martyrs.be/saison-2018-19/un-pied-dans-le-paradis/A1834563-117B-4922-E240-C33BA0373CFA/

C’est du vrai théâtre que nous offre Virginie Thirion, celui qui a un goût de nostalgie et de bonheur, où les situations les plus sombres se colorent, où le délire se rit de la morale.

Pas de tristesse mais un appétit féroce de vivre dans le quotidien tragique de ces trois sœurs qui se retrouvent après une longue séparation dans la maison familiale que Madeleine l’aînée, n’a jamais quittée. Immeuble vétuste, cet ancien cinéma de quartier n’a pas survécu au passage du temps.
La joie des retrouvailles et les souvenirs d’une enfance heureuse ne suffisent pas à calmer les estomacs qui grondent après plusieurs jours de jeune. D’autant que l’expropriation est désormais imminente.

Soudées, les trois combinardes vont imaginer mille petites escroqueries qui leur permettent à peine de s’offrir un ou deux repas par semaine. Sans intention de faire du mal à quiconque, elles inventent les stratagèmes de survie les plus incohérents qui vont les conduire au plus macabre, bouffer du cadavre ! Arnaqueuses arnaquées, la fin justifie les moyens. C’est justement la créativité et l’imagination des petits escrocs qui a inspiré le thème de cette comédie douce-amère à Virginie Thirion.

Une pièce sombre sauvée par la tendresse, immense, contagieuse, héritée d’un Charlie Chaplin ou d’un Totò lorsqu’il vend la fontaine de Trévise aux touristes américains. Si elles touchent le fond, le fantasque et l'imaginaire les préservent du sordide.

C’est surtout un moment magique que nous passons avec ce trio hors pair que forment France Bastoen, Delphine Bibet et Laurence Warin. Une plongée microcosmique dans un monde à la dérive, où la joie de l’instant présent se moque de la misère. Une interprétation touchante avec un vague à l’âme un peu rétro et des références cinématographiques qui ouvrent la porte au rêve.

Palmina Di Meo

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Art et cirque

"Faire chose de tout bois"


12273294285?profile=original Trois ans, c’est la période de gestation de « La Cosa » une performance acrobatique mettant en scène 4 acteurs et quelques 1600 bûches de bois à brûler.

Créé en 2015 aux Halles de Schaerbeek, cet « objet » théâtral a remporté depuis le prix de la critique du meilleur spectacle de cirque.

Véritable épreuve de force, la rencontre des corps et des objets adopte la forme d’une chorégraphie infernale virant à l’absurde. Entrechoquées, lancées, empilées, déchiquetées, ces buches génèrent un étrange ballet orchestré par quatre hurluberlus en costume-cravate.

Claudio Stellato, danseur, chorégraphe et plasticien, présentait déjà en 2012 « L’autre », résultat d’une première recherche sur la relation entre corps et objets, poussant l’exercice aux limites de la résistance humaine.
Ici, l’axe de l’expérimentation repose sur la cohésion des regards, la synchronisation indispensable des mouvements. Tour à tour inventeurs, chair à rouages, pièces de puzzle, les quatre « animateurs » en arrivent à une symbiose qui frise l’hystérie avec le matériau. Le contrôle musculaire et sensoriel renvoie à l’instinct animal. Mais le cadrage est d’une rigueur mathématique. Architectures précises dans les jeux de construction- déconstruction qui donnent la mesure de la technique indispensable à la sécurité des intervenants. C’est que le rythme est endiablé, accéléré, poussé aux points de rupture en une composition sonore sans artifices.

Claudio Stellato a conçu la performance « comme un lieu organique non narratif, un enchaînement de recherche d’une fluidité des mouvements. Le but n’est pas de donner des informations, chacun peut y tracer son propre chemin ». Certaines références et déclinaisons lexicales ne manqueront toutefois pas de vous sauter aux yeux.

Un show original, questionnant, une ligne droite... qui vous arrachera quelques cris de frayeur ou exclamations d’encouragement car le tour de force est spectaculaire. Avec à la fin de la représentation, une invitation à « tâter du bois » pour réaliser le poids de l’effort.
12273294087?profile=original Une installation qui tourne depuis 3 ans et emporte dans ses bagages les impressions que les spectateurs sont invités à coucher sur papier. Conçu comme un spectacle de rue, cette « bizarrerie » artistique, à son propre étonnement, charme aujourd'hui le public de la grande salle du Théâtre national.


Palmina Di Meo

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FOCUS AGENDA - 12ème édition du Festival Filem’On.
Du 24 octobre au 3 novembre

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Bruxelles aime le cinéma. En témoigne le nombre de festivals qui se succèdent tout au long de l’année. Celui-ci a la particularité de s’adresser aux jeunes de 2 à 16 ans.

Qui dit festival, dit compétition. Et Filem’On n’échappe pas à la règle sauf que les prix y sont décernés par des jurys d’enfants. Ils récompensent les meilleurs par les prix Bella Brussella, Au palmarès : le prix Kids, le prix Teens, le prix Mundy, un prix TV...)

Plus de 130 films d’une grande variété de formats et de genres seront projetés durant 10 jours dans 12 lieux à Bruxelles parmi lesquels le Palace, le Bozar, le cinéma des Galeries, l’Aventure, la Cinématek...

Grande ouverture le 24 octobre à 10h avec deux films projetés en parallèle : un film belge de la réalisatrice Dorothée van den Berghe « Rosie et Moussa » d’après le livre pour enfants de Michael de Cock et Judith Vanistendael et l’émouvant « Supa Modo » de Likarion Wainaima, l’histoire d’une petite fille condamnée qui tente de donner réalité à son rêve de devenir un super-héros. Les séances d’ouverture seront suivie à 15h par un concert baltique au Bozar.

Le grand thème du festival cette année : « Les mots » avec des workshops, des installations visuelles, des séances de Q&A...
Parmi les workshops, signalons « Cadavres exquis » avec réalisation d’un film à la Méliès dès 6 ans (30.10), un « How to » réaliser une vidéo (dès 6 ans) le 2.11 et le « Confiscopes » ou comment réaliser un film d’animation avec un pot de confiture (dès 5 ans le 30.10 au Nova).

En partenariat avec la Cinématek, le festival offre une belle occasion de revoir en famille de grands titres comme le « Young Frankenstein » de Mel brooks (1974), « Sa Majesté des mouches» de Peter Brook (1963) adapté de l’œuvre du prix Nobel William Golding, découvert lors de sa sélection pour la Palme d’or à Cannes et tourné aux Caraïbes avec de jeunes acteurs non professionnels et encore « Les voyages de Gulliver » de Dave Fleisher (1939) d’après Jonathan Swift. Toujours dans les classiques, « Zazie dans le métro » de Louis Malle et le sublime « Un sac de billes » de Jacques Douillon d’après les mémoires de Joseph Joffo, lui aussi interprété par des acteurs non professionnels.
Au Palace, une pépite à découvrir : « Alice comedies » ou les premiers Disney entièrement restaurés (28.10).

Rayon courts métrages, à ne pas rater : la séance « Belg’shorts » du 30 octobre avec les derniers nés des films d’animation.

Pour le programme complet, v. le site du festival :
https://filemon.be/en/filemon-festival-en-2017/

Vous pouvez aussi suivre Filem’On toute l’année. Tous les derniers samedi et vendredi du mois, leur ciné-club invite les enfants à partir de 4 ans au Wiels à se retrouver pour un programme trié sur le volet de films anciens ou récents suivis d’un workshop.

Palmina DI MEO

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JE CROIS QUE DEHORS C’EST LE PRINTEMPS - UNE ADAPTATION DE GAIA SAITTA ET GIORGIO BARBERIO CORSETTI - INTERVIEW DE GAIA SAÏTTA.

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La pièce est une adaptation d’un roman, lui-même tiré des faits réels. Pourriez-vous retracer la genèse de l’histoire ?

GAIA : C’est tiré d’un fait divers qui s’est passé en Italie en 2011. Brièvement : Irina Lucidi, avocate, était mariée à un avocat. Ils avaient des jumelles âgées de six ans quand Irina demande le divorce. En réaction, l’homme enlève les deux petites. Il part en voyage pendant cinq jours et ils disparaissent définitivement. Il a simplement envoyé un message à sa femme qui disait : « Les petites n’ont pas souffert. Tu ne les verras plus jamais ». On n’a jamais trouvé trace des petites filles. L’histoire a profondément touché les gens en Italie. Pendant un an, il y a eu plein d’émissions de recherche de ces fillettes... En vain car l’enquête s’est déroulée dans un petit village de Suisse et la police a rapidement clôturé pour éviter le scandale.
Après un an de recherches, Irina est partie en voyage et à son retour, elle décide de délivrer un témoignage auprès de Concita De Gregorio, une écrivaine et journaliste italienne. De ce témoignage est né un roman « Mi sa che fuori è primavera » (Je crois que dehors c’est le printemps).
La raison pour laquelle je ressens l’urgence de raconter tout cela à mon tour ne réside pas dans le drame du fait divers, qui est certes horrible, mais ce qui me touche, c’est la lumière qui se dégage du témoignage, la force, l’envie de vivre. C’est la revendication du droit au bonheur et la lutte que cela demande.
J’ai rencontré Irina car je devais lui demander la permission de partager son expérience de la manière la plus délicate possible. Et la rencontre a été incroyable ! Irina est pour moi comme une cathédrale. Elle contemple les choses d’une manière plus vaste que l’horizon de notre quotidien. Quand on affronte les limites de la douleur, on perçoit le monde de manière plus consciente. Et sa lumière est contagieuse. Elle n’est nullement enragée comme on pourrait s’y attendre. Elle porte en elle de l’amour, de l’espoir et elle envisage sa vie « d’après ». Lors de son voyage, elle a rencontré un homme, un Espagnol, à l’occasion d’une visite dans un centre pour enfants en Indonésie. Ils se sont juste échangé leur adresse mail. Puis ils se sont écrit et elle dit : « La chose la plus inconcevable m’est arrivée. Je suis tombée amoureuse ». Car on ne se donne pas le droit d’éprouver de la joie après un tel drame et la société ne te permet pas non plus de quitter ton deuil. Elle dit : « Je ne pouvais le confier à moi-même, à ma famille, à mes amis. Je me rendais compte que j’étais vivante», alors qu’après une telle douleur, on est destiné à devoir souffrir éternellement. C’est là le combat de cette femme, c’est qu’il faut être heureux. Et c’est pour cela que je raconte son histoire.

La pièce a touché le public non seulement par son thème mais aussi par la manière dont vous l’avez mise en scène.

GAIA : Le premier souci était de raconter un fait actuel. On ne pouvait se placer dans un dispositif classique, ce n’est pas un Tchékhov.
Comment dire que cette femme pouvait aussi bien être moi que vous ? Je me suis dit qu’il ne fallait surtout pas mettre en scène un spectacle mais plutôt mettre en place des conditions pour que les personnes présentes réfléchissent ensemble à la violence et à la manière de la combattre. Je voulais une sorte de table ronde où chacun s’engage. C’est pour cela que je demande au public de m’accompagner. Oui mais participer dans un thème aussi difficile, ce n’est pas forcément chouette. Je me disais que personne n’en aurait envie. Et comment faire en sorte que ce soit délicat ?
Alors j’ai décidé de répéter constamment avec d’autres gens. Je n’avais pas le droit de faire les erreurs que j’aurais pu faire seule. Toutes les répétitions se sont déroulées avec un groupe que Gregorio et moi invitions, des amis et progressivement des inconnus. C’était pour tester et mettre en place un système où les participants volontaires ne se sentiraient jamais gênés. Car tout ce que je demande, ce sont des plans d’écoute rapprochés. Il y a six intervenants. Je distribue les rôles (la meilleure amie, le juge, le Procureur général...). Il s’agit de prêter son visage et normalement je choisis des personnes qui ne collent pas au rôle pour éviter la confusion entre personnage et personne. Cela devient une histoire qui nous appartient, pour laquelle on se bat différemment. Ce qui m’émeut, c’est que les gens participent de manière très généreuse. Et chaque soir c’est différent car les visages sont des paysages sur les écrans. Ils sont les éléments les plus importants du spectacle. Leurs réactions constituent le cadre de l’action.

Votre jeu tient-il compte des émotions sur les visages de gens ? En jouez-vous ?

GAIA : L’unique chose que je ne peux faire, c’est de faire mon métier. À ce niveau-là, je ne peux pas jouer. Il est obligatoire que je renonce à me défendre. On partage l’histoire et face aux émotions, je réagis comme je le ferais dans la vie. Je suis complètement désarmée. Avant de passer en scène, je me prépare pendant six heures environ par de la méditation, du yoga, des techniques de relaxation car je ne dois surtout pas « pousser ». Je dois juste être à l’écoute et ne rien faire... Ce qui est très compliqué car on a envie de contrôler alors que les personnes réagissent de manière imprévisible. Mais chaque soir, j’ai l’impression d’avoir une troupe avec moi, qui me soutient dans ce plaidoyer contre la violence.
Ce qui est génial, c’est que lors de la distribution des rôles, les personnes qui ont accepté, commencent à réagir comme le rôle le requiert et c’est magnifique. Tout se met en place de manière presque organique.
http://www.halles.be/fr/completeprogram/944/Gaia-Saitta--Giorgio-Barberio-Corsetti

Propos recueillis par Palmina Di Meo.

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La vie de Paul Léautaud, écrivain et critique théâtral est un roman, celui d’un nouveau-né abandonné par sa mère qu’il voudra connaître à tout prix à l’âge adulte.
De quelques rencontres entre une femme d’âge mûr encore très séduisante et un jeune homme transi d’amour pour celle qu’il a désiré depuis l’enfance naîtra une correspondance passionnée, souvent ambigüe, où les mots tendres et les serments de dévouement donneront rapidement prétexte à des coups de griffes acérées, jusqu’à la rupture brutale, cassante.
Cette correspondance à profondément ému Bruno Emsens qui confronte les deux « aspirants à l’amour », dans leurs échanges maladroits et revendicatifs. Sous les chassés croisés de sentiments, les élans et les démentis, transparaît la peur de dépasser les limites, la fuite des responsabilités et le devoir de « sauver les apparences ». Chantage affectif, considérations matérialistes, l’idylle dont rêve le jeune Paul se transforme en réquisitoire.
Bruno Emsens parvient à nous tenir en haleine avec cette saga familiale où les échanges épistolaires sont si vivants et rapides qu’ils semblent dits dans l’instant, « entre quatre yeux ». On se laisse émouvoir par le jeu à fleur de peau de Nicolas Poels, auquel Florence Hebbelynck répond avec la fougue et l’intransigeance de la femme inaccessible.
Bruno Emsens a choisi de mettre en scène les « Lettres à ma mère » parce qu’il estime urgent aujourd’hui de rendre la parole aux êtres libres, et Paul Léautaud le fut dans tous les sens du terme. Notre société actuelle en revient à des impératifs d’autocensure et parler un peu trop librement de sentiments intimes deviendrait honteux.
La troublante attirance de Paul pour les jupons de sa mère, sa quête amoureuse, nous fascine et rappelle « Les liaisons dangereuses » dans un registre moins sulfureux mais tout aussi cruel.

Palmina Di Meo

Sur le blog de Deashelle

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/au-boson-amour-s-avec-florence-hebbelynck-c-line-peret-et-nicolas

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Isabelle Jonniaux présente à l’Atelier 210 « J’accuse », 5 monologues « coup de poing » interprété avec fougue et virtuosité par Annie Darisse, Jessica Fanhan, Muriel Legrand, Sarah Lefèvre et Isabelle elle-même qui conjugue pour la première fois les rôles de metteuse en scène et comédienne. Un régal de mots et 5 performances de comédiennes.

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Comment est né ce projet, pourquoi ces 5 plaidoyers et pourquoi ces 5 femmes-là ?    

Isabelle Jonniaux : Annick Lefebvre est une autrice québécoise qui voulait donner la parole à 5 femmes de sa génération en révolte dans une société qui les emprisonne. Et c’est vrai que ces femmes, ces filles - elles ont entre 20 et 40 ans - sont face à des difficultés mais des difficultés de la vie. Annick Lefebvre avait envie de parler de leur révolte mais aussi de la société d’aujourd’hui. Le texte a été écrit au Québec, planté à Montréal. J’ai découvert cette écriture magnifique, extrêmement juste, incisive, engagée, très poétique et en même temps très réaliste. J’ai eu un vrai coup de foudre et je lui ai proposé de venir en Belgique pour ausculter notre environnement belge et transposer son écriture à des femmes d’ici. Je lui donc fait découvrir Bruxelles, la Belgique, ce petit pays au cœur de l’Europe. Elle s’est imprégnée pendant plusieurs semaines de toutes nos rencontres, de nos récits et elle a réécrit la pièce en la plantant ici, à Bruxelles.

Ces femmes, qui sont-elles ?

Isabelle Jonniaux : Ce sont 5 citoyennes tout à fait ordinaires et ce sont avant tout des personnes qui parlent de leur point de vue mais elles ne sont à priori fermées d’esprit, elles ont une vision subjective, comme nous tous. On parle à partir de qui on est, de notre histoire, du lieu où on a grandi, de notre milieu social, de notre éducation, de notre quartier... Et chacune de ces femmes a cette authenticité-là. Donc, on a une caissière qui vient de Liège, c’est une vendeuse qui n’est pas diplômée et elle vient à Bruxelles travailler au cœur de l‘Europe où elle est confrontée à des femmes surdiplômées, à ce milieu bruxellois et européen. C’est évidemment un texte critique mais elles ne sont pas là pour dire que tout va bien, elles sont là justement pour dire ce qui ne va pas. Il y a cette perspective d’une fille qui vient de l’extérieur et qui se trouve face à des femmes qui la jugent sur son apparence. Elle, elle revendique son droit à exister dans ses petits combats en tant que vendeuse. Ensuite, on a une entrepreneuse qui essaye de monter sa boîte, qui ne s’en sort pas ce qui la rend très aigrie, très amère et qui en vient à faire exploser sa haine sur ce qu’elle considère comme un obstacle à la croissance du pays. Elle est donc radicalement raciste, nationaliste, extrémiste et on plonge dans cette pensée -là, qui fait peur car politiquement très incorrecte. En même temps, elle agite un peu les consciences.

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Son discours peut être dérangeant, on peut le ressentir comme tel.

Isabelle Jonniaux : Oui mais c’est ce que j’aime aussi. C’est le rôle du théâtre de remuer. Ce qui m’intéresse, c’est de mettre au plateau des choses qui bousculent. J’aime aussi bien sûr voir des choses qui m’amusent mais le théâtre que je pratique et que j’aime est à l’endroit de l’intime. Et ces femmes parlent de l’intime. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles ne sont pas là pour provoquer mais comme leur temps de parole est assez long, on a le loisir d’entrer dans le processus de pensée de chacune d’elles. Et on évite le jugement même sur les pensées les moins avouables comme celles de cette femme qui pense extrême droite. Parce qu’après elle, vient justement une émigrée et que toutes, elles dénoncent des aprioris qu’on pourrait projeter sur elles. Les monologues commencent toujours par une série de « C’est pas vrai que ci », « C’est pas vrai que ça », c’est pas vrai, c’est pas vrai... On casse des aprioris même sur des personnes que l’on déconsidère, que l’on juge pourries ou mal pensantes, et je trouve que c’est essentiel dans notre société. Qu’est-ce qu’il y a derrière, comment on en vient à penser comme cela ? Il est essentiel de prendre le temps de se demander comment on en vient à être si haineux par exemple car si on ne fait pas cet effort-là, je pense qu’on loupe quelque chose sur la compréhension de certaines dérives nationalistes, je dirais, que l’on ressent dans notre société. Et donc, parmi les personnages, il y a la fille qui est intègre, une immigrée, et qui prend la parole au nom de tous ces gens qui sont stigmatisés, tous les étrangers ; et elle nous donne une énorme leçon sur la problématique de l’identité culturelle en renvoyant la Belgique à son propre paradoxe, la Belgique où l’identité est tellement divisée entre les Flamands et les Francophones ou à Bruxelles, où, comme elle dit, il y a 163 nationalités. Comment peut-on s’intégrer dans ce pluralisme ? On a également la parole d’une fan absolue d’une chanteuse populaire, Lara Fabian. C’est une groupie qui, à nouveau, renvoie à la question « Pourquoi me critique-t ‘on ? » Où est le mal ? Je suis fan, j’ai plein de poster de l’artiste autour de moi et je ne suis pas plus nulle ni plus pathétique qu’une autre. N’ai-je pas le droit d’être comme tout le monde ? Et puis le dernier personnage, c’est un peu la parole de l’auteure, c’est la parole des poètes, des écrivains qui conservent le monde. Sa revendication c’est le manque d’amour. C’est une femme qui sur-aime et qui aurait comme projet politique de créer des postes d’anges gardiens pour chaque personne dans la société.

Pourquoi cette scénographie-là ? Des projections insolites au plafond, des photos hachurées ?

Isabelle Jonniaux : Les paroles sont concentrées et le contexte est riche. Cela ne permet pas la surcharge. Les mots sont dits et puis l’imaginaire se met en route. Mais ces femmes sont plantées à Bruxelles bien qu’elles viennent d’endroits différents en Belgique. Et le texte fait référence à l’espace urbain. Je voulais ouvrir des fenêtres sur cet espace avec des images de bâtiments mais qui sont en soi symboliques, les façades vitrées des bureaux européens, une construction anguleuse pour la fille intègre, des avions, des ciels, des réverbères, une cheminée mais ponctuée de lumières pop électro et toutes ces images sont au-dessus de nos têtes. Pour moi, cela raconte l’endroit à partir duquel on parle. Ce qu’on regarde tous les jours conditionne méchamment ce que l’on pense et la manière dont on appréhende le monde et je l’ai mis au plafond parce que c’est un peu ce qui nous pèse, ce qui pèse sur nos têtes. Et puis cette scénographie est venue de la gare centrale parce que ce sont des personnages que l’on croise dans la rue, que l’on n’entend pas, à qui on ne donne pas la parole. Et nous, nous avons trainé dans les gares, dans la gare centrale justement pour essayer de les repérer - « Tiens, qui serait la fille qui agresse ? » - juste sur l’apparence, avec de gros préjugés - là, c’est la fille qui agresse, celle-là c’est la fille qui encaisse. On a pris plaisir au jeu des préjugés et de l’apriori. Cette gare, c’est aussi l’endroit où les gens se croient, se rencontrent et ne se regardent pas. J’avais envie de repartir de ces fameux couloirs du métro dans la gare où il y a toutes ces lumières...

Jamais eu l’idée de placer un homme dans ce gynécée ?

Isabelle Jonniaux : Non ! C’est un parti pris et c’est surement dû à Annick Lefebvre qui voulait vraiment donner la parole aux femmes. Mais ce n’est pas un spectacle proprement féministe.

Il y a quand même un humour bien féminin ?

Isabelle Jonniaux : Oui et pourtant les hommes ne font pas la différence parmi le public. Ils ne se disent pas : « Tiens c’est un humour féminin’, parce que les femmes parlent de la société, des hommes, des femmes, de la politique, des incompétences. Mais l’autrice étant femme, elle dit : « Je ne peux pas me mettre à la place d’un homme. Donc je regarde la société avec mon regard de femme bien que cela parle de tout et à tout le monde ». Une des cinq a une pulsion et dit : « Il faudrait abattre tous les monuments austères de Bruxelles, ces chevaliers Albert, Léopold etc... Il n’y a qu’une maigre statue d’Élisabeth, toute minable, faisons d’elle une héroïne comme les hommes ! ». Mais la pièce pose un regard glacial sur la société et l’acte de vouloir remplir la ville de statues de femmes, c’est parce que réellement dans tous les métiers, dans tous les arts, le rôle des femmes est moindre. C‘est aussi pourquoi l’autrice avait envie de donner de beaux rôles de théâtre à des femmes, qu’on les entende dans toute leur complexité et leurs paradoxes. Et ce qui est peut-être très féminin, c’est que ces femmes assument complètement leurs paradoxes internes même si leur parcours n’est pas linéaire, elles sont pleines d’ambivalences, de mauvaise foi mais l’assument totalement parce que c’est tellement humain...

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Propos recueillis par Palmina Di Meo

 

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