VOYAGE AU CENTRE DE LA PARÉIDOLIE : L’ŒUVRE DE JOËL JABBOUR
Du 08-10 au 31-10-21, l’ESPACE ART GALLERY a plaisir de vous inviter à une exposition consacrée au photographe belge, Monsieur JOËL JABBOUR, intitulée : ART DÉCO ET ART DÉCALÉ.
JOËL JABBOUR, répondant à sa précédente exposition de septembre 2019, intitulée : FRESQUES ET FRASQUES, renoue avec sa thématique initiale, à savoir l’architecture revue (et corrigée!) par l’objectif de sa caméra (celle de son gsm!). Les édifices recréés témoignent d’une variation sur le grand angle, en ce sens qu’elles sont sujettes à de distorsions rarement atteintes dans le résultat obtenu. Si, dans l’exposition précédente, la parole était à la fantaisie, l’exposition actuelle redouble d’intensité imaginative. Le discours esthétique demeure le même, néanmoins, l’on remarque un renouvellement esthétique dans l’élaboration plastique du sujet. Celui-ci virevolte et se démultiplie jusqu’à se perdre dans un lointain que l’œil ne perçoit plus. Le discours photographique de l’artiste se développe globalement sur deux temps. Ces deux temps sont matérialisés par deux clichés superposés. A’ partir d’un thème central, l’artiste le développe en deux moments distincts.
- un cliché laissant le visiteur deviner de quel édifice il s’agit.
- un cliché du même édifice complètement transformé.
Si les deux clichés témoignent de sa vive fantaisie, chacun d’eux se distingue de l’autre par une dilatation de la forme à l’intérieur de l’espace, jusqu’à ce que celle-ci devienne tentaculaire dans ses distorsions.
ATOMIUM (60 x 40 cm)
Ce cliché explicite parfaitement cette définition stylistique. Le cliché inférieur nous offre une vision volontairement confuse de l’édifice. L’ATOMIUM est représenté dilaté, à l’horizontale, « masqué » par des fragments vaporeux, à l’instar de nuages. Ceux-ci se trouvant devant les boules de l’édifice, sont formés à partir de jets d’eau de la fontaine placée devant le monument, donnent l’image d’une constellation atomisée. La construction s’inscrit sur le fond bleu du ciel. Ce qui contribue à son identification parfaite. Le cliché supérieur, est lui, l’objet d’une distorsion conçue à outrance. Cette distorsion est techniquement obtenue en bougeant frénétiquement le gsm, afin de rendre le rendu photographique flou et donner ainsi l’impression visuelle que les boules de l’édifice sont flasques.
La gestion de l’espace n’est plus la même. Si l’édifice du cliché inférieur occupe l’essentiel de l’image, se délinéant sur un fond bleu, le cliché supérieur présente, en réalité deux ATOMIUMS, réalisés sur deux extrémités du même espace. La composition se détache d’un arrière-plan blanc-opaque. L’artiste renoue également avec un autre thème envisagé lors de son exposition précédente, celui de l’élément végétal associé à l’appareil architectural. Le contraste entre le blanc de l’édifice et le vert de la végétation teinté de noir et de brun, offre un très bel effet chromatique.
HOTEL SOLVAY (60 x 40 cm)
Cette œuvre donne à l’artiste l’opportunité première de recréer l’architecture filmée selon sa fantaisie et sensibilité. Nous assistons ici à une transformation de la forme. A’ partir d’une façade appartenant à « l’Art nouveau », l’artiste, profitant de la dimension torsadée des balcons en fer forgé, fait de cette façade une œuvre digne de l’architecte Antoni Gaudi. Pensons à certains aspects plastiques de la SAGRADA FAMILIA (Barcelone) et la comparaison sautera aux yeux.
L’art de JOËL JABBOUR se révèle être, avant tout, un discours critique. Cela se vérifie avec CONSILIUM (60 x 40 cm) Cette œuvre prend pour mire les institutions européennes. Le côté humoristique est, néanmoins, tempéré par une certaine déception concernant l’accueil qu’il a reçu auprès de celles-ci, à propos de ses clichés, lesquels ne furent pas, selon l’artiste, appréciés à leur juste valeur. Le côté, aussi ironique que bon enfant, contrastant avec la dimension politique et architecturale imposante de l’édifice, s’affirme dans les moustaches grotesques que l’artiste a posées sur ce qui ressemble à un visage.
PARLEMENT EUROPÉEN (60 x 40 cm)
De par sa riche végétation, cette photographie fait écho à l’œuvre du photographe qui dans son désir de totalité, assemble l’élément végétal au béton.
BRUXELLES-JUSTICE (60 x 40 cm)
Ces deux photographies participent également de ce même discours. Le cliché de gauche met en scène l’appareil judiciaire recouvert d’échafaudages, qu’il faut considérer comme des béquilles pour soutenir l’institution. Le cliché de droite insiste sur la petitesse de l’individu, écrasé par l’appareil judiciaire.
FLAGEY (60 x 40 cm)
L'édifice devient un ensemble de spirales virevoltant dans un circuit d’entrelacs vertigineux, sur lesquels l’on peut encore distinguer quelques attributs (tels que le nom du bâtiment) attestant de son identité et de sa fonction. L’édifice est, pour ainsi dire, « découpé » en fines lamelles qu’une myriade de torsions rend méconnaissable. A’ l’instar de œuvres précédentes, le ciel sert d’arrière-plan (cliché supérieur), ce qui unit le sujet à l’espace environnant.
DE FRÉ (60 x 40 cm)
Avec le traitement de l’Eglise Orthodoxe, située à l’Avenue De Fré (Uccle), l’artiste nous offre un moment de divertissement dans son interprétation de la façade. Si le cliché supérieur (la façade prise à l’horizontale) peut, dans sa partie inférieure, faire apparaître l’esquisse d’un regard, le cliché d’en bas, présenté dans une distorsion verticale, nous dévoile deux yeux cernés par des volutes (les fenêtres en œil de bœuf) avec, dans le bas de ce carré minuscule une fenêtre plus petite, évoquant l’image d’une bouche. Une fois encore, l’élément végétal se présente à l’avant-plan (cfr. le cliché supérieur) reléguant l’église conçue en blanc, au second plan. Le cliché inférieur nous offre un très beau contraste entre le gris de la bâtisse et le blanc de l’arrière-plan dans lequel elle s’inscrit. Dans notre article précédent consacré à l’artiste, nous insistions sur son passé de cinéaste.
BEAUX ARTS (60 x 40 cm)/HOTEL BEETHOVEN (60 x 40 cm)
Cela se perçoit dans cette vue, en plongée, prise dans la Salle Henri Leboeuf, aux Beaux Arts de Bruxelles, vide. Au fond de cette image, faisant penser aux prises de vues du cinéma fantastique et psychédélique des années ’60, gît le piano solitaire que le cadrage rend minuscule. Ces deux clichés sont symboliquement reliés par un dénominateur commun, à savoir la musique classique : la prise de vue supérieure représente une vision de la façade de l’Hôtel Beethoven, recréée sur des variations serpentines de courbes et d’entrelacs. Si nous employons le terme « vision », c’est parce que celui-ci nous ramène, par-delà la photographie, à la peinture dans une série de variations abstraites.
PORTE DE HALLE (60 x 40 cm)
Dans le précédent article concernant la première exposition de l’artiste à l’EAG, nous évoquions son côté « dadaïste ». A’ quoi peuvent bien faire penser ces « deux » caméras braquées sur le visiteur et reliées entre elles, à partir de deux axes en forme de « V » ? L’interprétation revient de droit au visiteur.
LA FORME EN « V » La forme en « V », même si on ne la perçoit pas toujours du premier coup d’œil, demeure le pivot de chacune de ses compositions.
Car elle souligne l’empreinte d’un rabattement interne, celui opéré par la superposition du côté droit sur le côté gauche de l’image. Dès lors, par ce rabattement interne, l’image se dédouble et chaque élément en est démultiplié. Par conséquent, les « deux » caméras scrutant jusqu’au tréfonds le visiteur, présentes dans PORTE DE HALLE (mentionné plus haut), n’est donc qu’un seul élément replié sur lui-même dont l’existence se définit dans sa dualité. Le cadrage de ce plan est d’une importance capitale. A’ partir de cette contre plongée, il ne peut être ni trop haut ni trop bas. Il est juste parfait pour que les yeux scrutant entrent en contact avec ceux du visiteur. Nous retrouvons là le talent du cinéaste évoqué plus haut. PORTE DE HALLE présentant, comme nous le constatons, cette forme en « V », celle-ci a été prise au zoom. Cette technique est selon l’artiste, la possibilité de raconter une histoire en une seule image.
Et, en s’immergeant dans l’univers de MONNAIE (60 x 40 cm), l’on s’aperçoit que l’utilisation du zoom démultiplie un même plan à l’infini. Il a été obtenu en avançant et en reculant, jouant ainsi sur la longueur focale.
HET BOOTJE (LE PETIT BATEAU) (Anvers-maison Art Nouveau) (60 x 40 cm)
Nous retrouvons ce « V » catalyseur de la forme sur le haut de la façade dans sa fonction de rattachement des deux parties de la même image.
BRUXELLES-JUSTICE (cité plus haut), la forme en « V » se manifeste dans la conception des échafaudages (cliché de gauche). Remarquons, à propos du rabattement interne, la colonne (redoublée) du cliché de droite, censée de par sa hauteur imposante, représenter la Justice écrasante face à l’individu démuni. Les « deux » colonnes portantes deviennent, par conséquent, les piliers de la Justice.
Une différence, flagrante par rapport à la première exposition de l’artiste à l’EAG, consiste dans le fait que l’exposition précédente était plus centrée sur la réalité. Celle-ci en est plus lointaine. Auparavant (comme spécifié plus haut), l’édifice photographié se présentait d’emblée transformé, recréé. A’ présent, il se présente de façon carrément « explicative », sur deux clichés : une vue dans laquelle le sujet est reconnaissable et une autre où il est totalement absorbé dans une dimension abstraite. Même si le dénominateur commun entre les deux expositions demeure la vision personnelle d’un Art déco (et décalé), celle-ci en présente une variation, somme toute, plus abstraite par rapport à la première.
L’artiste pense poursuivre son itinéraire créateur dans cette voie, à savoir un réexamen urbanistique et sociétal fondé sur une grammaire à l’abstraction picturale et cinématographique, placée dans rapport essentiellement critique. Au cours du vernissage de son exposition, l’artiste fut accosté par un visiteur qui lui fit une remarque fort intéressante, à savoir que son œuvre est psychologiquement comparable à la « paréidolie » ou si l’on préfère, à l’ « aperception », c'est-à-dire la capacité qu’a notre cerveau de former, notamment, des visages en observant intensément, par exemple, des nuages. Comme lorsque nous étions enfants. JOËL JABBOUR, sous cet aspect des choses, n’est pas le premier artiste à s’essayer à cet exercice. Il a, dans l’Histoire de l’Art, un fameux prédécesseur, en la personne du peintre italien du 16ème siècle, ARCIMBOLDO, qui à partir d’éléments végétaux, créait des visages.
JOËL JABBOUR n’est pas en reste! Sa démarche créatrice demeure la même : à partir d’une donnée formelle, il engage un tournant démiurgique qui la retransforme en lui conférant une identité plastique et psychologique nouvelle.
L'artiste JOEL JABBOUR et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
Exposition des oeuvres de l'artiste JOEL JABBOUR à l'ESPACE ART GALLERY
Commentaires
J’ose dire que c’est grâce à l’expérience qu’il a acquis de son job de cinéaste qu’a éclot en Joël Jabbour l’idée d’envisager et de penser la ville autrement. C’est-à-dire bien au-delà de l’urbanisme-correcte. Donc, et au-delà de l’envie de créer, le photographe Joël Jabbour offre au visiteur de son art «ART DÉCO ET ART DÉCALÉ », une cité qu’il lui plait de (re)modeler l’aspect urbain de sa ville Auderghem qu’il connait si bien. Pour ce faire, Joël Jabbour n’a nul besoin du « T » de l’architecte, mais seulement de l’œilleton de sa caméra qu’il promène au gré de ses fantasmes qui consiste à redessiner la ville. Peut-être bien que le citoyen de demain lui devra un jour l’innovation d’une ville où chacun y trouvera la joie d’y être et de vivre. Ceci dit, il ne pourra faire que le bonheur de Bruxelles et des Belges qui y habitent et que je salue. Merci toutefois au critique d’art François Speranza qui m’a convié à faire le « VOYAGE AU CENTRE DE LA PAREIDOLIE : L'OEUVRE DE JOEL JABBOUR ». Je vous souhaite une agréable journée. Alger, Louhal Nourreddine, le 29 Octobre 2021.
L’artiste belge Joël Jabbour a exposé ses œuvres dans la galerie en 2021. Et son billet d’art du critique d’art François Speranza sera publié dans le « Recueil n° 10 de 2021 » par « Les Éditions d’art EAG » dans la Collection « États d’âmes d’artistes » en 2022.
Lien vers la vidéo lors du vernissage de son exposition dans la galerie :
https://youtu.be/_ymJWTpRiPU