Inferno est un récit d'Augustst Strindberg (Suède, 1849-1912), publié à Paris au Mercure de France en 1898. Cette édition, rédigée directement en français et révisée par le poète Marcel Réja, sortit cependant après la traduction suédoise, parue en 1897.
Entre l'automne 1894 et novembre 1896, à Paris, à Dieppe, puis en Autriche et en Suède, Strindberg traverse une crise psychologique grave. Dans un état d'agitation extrême, il croit percevoir une multitude de signes provenant de ce qu'il nomme les "puissances", l'"invisible", la "Providence". Il y voit des avertissements ou des invitations à poursuivre des recherches biologiques et chimiques. Celles-ci le conduisent à étudier l'immortalité, la composition chimique des âmes, ou à réaliser "un or minéralisé d'une beauté parfaite". Mais dans le monde extérieur dont l'hostilité devient obsédante, le narrateur croit discerner "un complot dont tous sont complices". Soigné dans un asile d'aliénés, recueilli par des amis puis par sa famille, il s'apaise enfin, dans la petite ville suédoise de Lund. Mais à ses yeux, l'expérience qu'il a traversée - éclairée rétrospectivement par la lecture de Swedenborg - ne relève pas de la maladie: "J'en garde la conviction inébranlable que l'enfer existe, mais ici, sur la terre, et que je viens d'en passer par là."
Il est exceptionnel qu'un texte aille aussi loin dans l'exploration de la folie. Strindberg se livre ici à une méticuleuse et épuisante exégèse du réel dont chaque parcelle acquiert une valeur de présage ou d'injonction. Une promenade dans Paris devient un parcours initiatique balisé par le nom de chaque rue: "Je m'arrête au coin de la rue Alibert. Pourquoi Alibert? Qui est-ce? Est-ce que le graphite trouvé par le chimiste dans mon soufre ne se nommait pas le graphite Alibert? Que conclure de là?" Les réflexions les moins rationnelles semblent rejoindre et relancer les travaux du chimiste. Dans cet univers complexe où se mêlent inextricablement coïncidences et recoupements, des chapitres au titre angoissant ("la Main de l'invisible", "Extrait du journal d'un damné", "l'Enfer déchaîné") marquent les étapes d'un itinéraire qui va du pressentiment d'une malédiction individuelle à l'acceptation de la nature infernale du monde d'ici-bas. Le terme de l'ouvrage n'est donc pas une mise à distance de la folie, mais une vision hallucinée de l'humanité, livrée à la malveillance des dieux "qui rient aux éclats quand nous pleurons à chaudes larmes".
Ce qu'on appelle ordinairement la "crise d'Inferno" marque une rupture assez nette dans l'oeuvre de Strindberg, qui renonce désormais au réalisme social. Légendes, que l'auteur commença en français mais acheva en suédois (et qui ne parut finalement qu'en Suède, en 1897), est la suite d'Inferno.
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