Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

12272761886?profile=originalIl s’agit d’un essai autobiographique de Marcel Jouhandeau (1888-1979), publié à Paris chez Gallimard en 1947.

 

C'est une entreprise étrange - voire inouïe - à laquelle se livra Marcel Jouhandeau en composant (peut-être sur la suggestion de Jean Paulhan, à qui l'ouvrage est dédié) cet Essai sur moi-même.

L'égotisme empruntait d'ordinaire la voie du journal, des Mémoires ou de l'autobiographie plus ou moins romancée. Pour la première fois, un écrivain recourait pour se dire à une démarche analytique et non historique.

 

Neuf chapitres se succèdent, suivis d'un Épilogue. Les trois premiers sont consacrés à la «genèse de l'oeuvre»: il s'agit d'abord des modèles vivants dont part le conteur (les gens de Guéret, alias Chaminadour; sa famille) et la constitution à partir de ces éléments de personnages types (chap. 1); on en vient ensuite aux circonstances qui firent de Jouhandeau un écrivain, aux ouvrages détruits et à ceux conservés, puis publiés (2); ainsi l'oeuvre s'est édifiée autour de trois figures, qui reflètent le créateur: Théophile, M. Godeau, Juste Binche, et chacun de ces personnages a entraîné avec lui un «cycle». Il est vrai que cette littérature n'est pas innocente, que l'auteur s'approche, avec ses créatures, du mal, au risque de s'y perdre, et fait dans ses livres la roue à la manière d'un «paon infernal» (3). Cela nous conduit à la théologie: commentaire très original et très narcissique de la Genèse (4), évocation des rapports singuliers de l'écrivain avec Dieu (5). Nous revenons ensuite à l'humanité. Les autres: jeunes, pauvres ou riches (6), les enfants auxquels Jouhandeau enseigne dans son collège le français et le latin (7). Les rêves du créateur, emplis de fantastique et de grotesque attestent son profond déséquilibre, dont se nourrissent ses fictions. Trois «garde-fous»: le métier de professeur, la correspondance quotidienne avec sa mère, le mariage (8). Enfin, une série de considérations sur le style et le métier d'écrivain, qui ressemble à une montée au calvaire terrible et souhaitée à la fois (9). L'Épilogue est constitué d'un «carnet de l'amateur de visages», réflexions sur les corps apperçus, les visages, la nuque, la «place de l'âme».

 

Chaque chapitre est composé, à la manière des Caractères de La Bruyère, d'une suite de fragments, dont le rapport n'est pas toujours évident. Il faut le chercher comme il faut méditer sur la composition générale: elle signifie clairement qu'aux yeux de Jouhandeau l'essentiel de sa vie et de sa personnalité est l'acte d'écrire. La réalité qui inspire, les circonstances qui aident ou entravent l'oeuvre, son organisation autour de la figure démultipliée de l'écrivain lui-même, ses secrets mystiques, ses rapports difficiles avec les autres, en particulier avec ses élèves, tout cela conduit à l'essentiel: les rêves et le style. Au centre, Dieu comme le tronc de l'arbre (métaphore familière à Jouhandeau). Avant, l'anecdotique et l'historique. Ensuite, les âmes. Enfin, leur présence et leurs métamorphoses dans les rêves et dans l'écriture proprement dite. Itinéraire original, qui signifie que Dieu est l'intermédiaire imposé, qui transfigure le réel en obsessions et en oeuvres d'art.

 

Les historiens de la littérature, les biographes de Jouhandeau peuvent assurément chercher dans cet essai toute une moisson de confidences et de documents, qui éclairent sa vie et sa vocation. Trois éléments se discernent, plus ou moins bien conciliés: un réalisme absolu, l'attention à tous les détails, à toutes les petitesses de la vie; un mysticisme très étrange, où se mêlent une totale fidélité à la lettre des Écritures et à la tradition cléricale, et une absolue hétérodoxie, limitrophe souvent du satanisme; enfin une fièvre narcissique bien au-delà de ce qu'on peut baptiser la complaisance ou l'orgueil. La folie n'est pas toujours bien loin; le sadisme s'unit à la charité; le dégoût de soi-même à la pure forfanterie; l'abnégation au luciférisme. Faut-il ne voir dans ces contradictions que des échos d'un drame fort simple et ici inavoué - l'homosexualité dans un milieu catholique? N'est-il pas plus enrichissant d'apprécier l'extrême sincérité (non dénuée d'humour) avec laquelle Jouhandeau présente les insolubles difficultés où il se débat, indispensables peut-être à la création littéraire en laquelle elles s'annulent comme dans une transcendance?

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles