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Une chatte nommée Cléo.

 

Cléo nous est arrivée une après-midi de Juillet enfermée dans un petit panier au bras de Nicole. Gilles les accompagnait. En ce temps là, Gilles était le petit ami de Nicou. Petit ami qui faisait sourire lorsque ce doux barbu de un mètre quatre-vingt cinq marchait auprès du mètre cinquante-cinq de notre fille sans qu’on puisse deviner lequel des deux entraînait l’autre.

Marie avait une idée de femme à ce sujet. Elle prétendait :

- Au début, que le mâle soit grand ou petit, gros ou maigre, c’est toujours la fille qui est le poisson-pilote.

Gilles était photographe. Pas de ces photographes qui vous demandent de sourire devant une boite. Gilles photographiait les cimetières et les grilles de fer forgé. Qui, je vous le demande, a déjà vu sourire une grille ou une croix de pierre dans un cimetière ?

- C’est tout le mystère de l’Art.

- Et peut-être celui de l’origine des Religions.

Nicole avait l’air de comprendre mais elle comprenait tout le monde pourvu qu’il portât des Jean’s et une barbe.

Gilles avait travaillé durant quatre mois en tant que troisième assistant - réalisateur à la Télévision. Il déplaçait les chaises et il avait en charge la maman de Cléo. Travail harassant comme le sont toutes les tâches de début de carrière. A chaque fois qu’il fallait recommencer une prise, il devait rattraper la maman de Cléo et la convaincre de reprendre son rôle

- Viens ; disait Gilles en tendant une soucoupe de lait, et la maman de Cléo traversait le champ avec autant de naturel qu’une nominée à l’Oscar.

Je ne sais pas si vous êtes comme moi ? J’ai toujours été fasciné par les coulisses du spectacle. Par ce qui se passe avant que les choses n’apparaissent aux yeux du public. A mon avis, même Dieu avant de créer le monde en six jours, ce qui est relativement court, a dû procéder à un grand nombre de répétitions, de retouches, etc…Une répétition de plus, je le dis sans reproche, n’aurait peut-être pas été superflue. 

- Pourquoi le réalisateur n’a-t-il pas remplacé l’actrice ?

- Et le contexte affectif ?

-Le contexte affectif, mon œil. Ils couchaient ensemble, oui !

Marie qui a toujours été pudique, elle a fait ses études chez les Ursulines, a demandé hypocritement :

- Vous croyez ?

A la réflexion, je reconnais que c’est naturel. Le sexe occupe une place importante dans la vie des gens. Déjà lorsqu’au début de ma vie professionnelle je travaillais dans les Grands Magasins, je m’étais aperçu de certaines relations équivoques entre Directeurs et Secrétaires, entre Chefs de rayon et Première –vendeuse, entre Magasiniers et Réassortiseuses. 

C’est vrai que le temps consacré au travail est plus long que celui que l’on passe chez soi et que c’est durant le jour que les pulsions sexuelles sont les plus puissantes. Comment expliquer, sinon, que dès qu’ils sont rentrés chez eux, le soir en général, les maris se montrent peu empressés, et les épouses atteintes de migraine ?

C’est du moins ce que m’a confié une dame de mes connaissances qui se demandait s’il ne valait pas mieux inverser l’ordre des activités professionnelles et du repos.

- C’est durant le jour que se commettent la plupart des adultères.

Mais elle concluait avec bon sens :

- L’essentiel pour la paix des ménages, c’est qu’on soit discret et qu’il n’y ait pas d’accident.

Hélas !, un accident, cela arrive même aux plus sages, un instant de distraction suffit, la maman de Cléo en était un exemple navrant. Cléo est née durant le tournage d’une série familiale destinée au grand public, parfaitement honorable.

 Marie s’est levée et a préparé une boite à chaussures en y glissant un morceau de tissu à fleur.

- Demain, je lui achèterai un panier, dit-elle.

Et Cléo fut adoptée autour d’une tasse de lait coupé d’eau.

Le lendemain, j’ai trouvé Cléo endormie à côté de sa boite, et la tasse de lait avait été renversée.

- Elle a du s’agiter durant la nuit, la pauvre petite n’a pas pu regagner son lit.

Marie donna à Cléo une tasse de lait frais et une ration de poulet coupé en dés.

-Tu vas la gâter.

Marie qui conservait la candeur de sa jeunesse m’expliqua :

- Il faut être gentil envers les gens et les animaux. En retour ils seront gentils avec toi.

Quant à Cléo, indifférente à ces propos quasi bibliques, elle a fait le tour du salon lentement, le ventre à ras de terre, inspectant chaque centimètre du tapis.

- Tu vois, elle fait le tour du propriétaire. Dès demain, j’en suis sûre, elle se sentira chez elle.

Je ne sais pas si c’était un pressentiment mais je n’étais pas aussi à l’aise que Marie.

- Je me demande si elle s’entendra avec les autres chats, et surtout avec Bibig ?

Bibig était un teckel à poils durs parfaitement sociable mais sa présence parmi nos chats avait créé quelques remous dans notre voisinage.

Je reconnais que la nature de Bibig était complexe. Depuis sa naissance, il avait toujours vécu parmi des chats et des êtres humains. Bébé, il allait se nicher auprès de Nabu, le plus ancien de nos chats, dont il recherchait la chaleur. Plus tard, lors de ses premières pulsions sexuelles, c’est le derrière de Pupuce, une petite chatte timide, qu’il reniflait. A mon avis, Bibig ne savait pas qu’il était un chien.  Il se contentait d’aimer tout et tout le monde. Gens, bêtes, plantes et tentures, à tous et à tout, il manifestait de l’amitié sous forme de frottis-frottas ou de petits pipis. S’il avait pu se frotter à la lumière du jour, il l’aurait fait.

 Regarde comme elle est mignonne. Je vais faire les présentations.

Elle a pris Cléo dans ses bras et nous sommes allés à la cuisine où nous nous retrouvions tous la plupart du temps. Pupuce, qui depuis la mort de Charlot notre premier teckel avait déserté le haut de l’armoire où elle se réfugiait, s’y trouvait à nouveau.

- Viens Pupuce, viens voir ta petite sœur.

Pupuce ne bougeait pas. Ses yeux dont on ne voyait généralement que des fentes étroites avaient l’apparence de petits globes de marbre vert. Elle était littéralement tétanisée.

Un jour dans une chambre d’hôpital, j’avais vu la même expression dans le regard d’une vieille dame à qui un jeune médecin, faussement enjoué, annonçait avant de sortir :

- Ne vous inquiétez pas, je vais vous faire administrer une prémédication.

Elle a déposé Cléo dans le salon et a fermé la porte. J’ai eu le sentiment que le doute l’avait saisie elle aussi.

Le surlendemain, à nouveau, Cléo dormait à côté de sa boite et la tasse de lait avait été renversée une fois de plus. Au moment où je m’approchais pour la remettre dans sa boite elle ouvrit un œil, un seul, et grogna sous ses moustaches. Aplatie sur le tissu à fleurs, le regard métallique, le poil hérissé, la griffe tendue, Cléo me regardait avec cette fixité propre, paraît-il, aux schizophrènes, aux directeurs excédés que l’on dérange, et à certaines stars du cinéma.

- Cléo !

Un sifflement hargneux fusa entre ses dents.

Dieu, me dis-je, quel drôle de numéro. Lorsqu’elle est arrivée, on lui aurait donné le bon dieu sans confession comme on dit. Aujourd’hui à peine adoptée, elle révèle un curieux caractère. Le lendemain de leur mariage, parfois, des maris éprouvent une surprise similaire. Du moins, c’est ce que je me suis laissé dire sans que je puisse le garantir.

Je l’ai regardé dans les yeux pour l’impressionner mais son regard ne cilla pas.

J’ai appelé Nicole.

- Elle est zinzin, c’est tout. Et alors, il y en a d’autres, non ?

- Mais enfin ce n’est pas normal.

Elle m’a regardé avec cette commisération qu’elle manifeste parfois lorsqu’ elle s’adresse à moi et, à ce qu’on m’a dit, que d’autres adolescents expriment également lorsqu’ils répondent à leur père qui les interroge sur un détail de leur vêtement.

- Toi, et ce qui est normal                                                                                                                                                         Ce qui est normal pour toi ne l’est pas nécessairement pour d’autres. Ce qui n’était pas normal hier le devient aujourd’hui. Il faut évoluer avec son temps.

A cause de son aspect, j’attribuais à Cléo des traits de caractères que, du haut de ma propre perception des choses, je trouvais mauvais. Nous sommes nombreux, hélas !, à être aussi légers dans nos jugements.

Nicole avait raison. Cette dame avait raison. Cléo était zinzin, voilà tout. Mais incontestablement normale. Et pourvu que l’on ne se trouve pas à sa portée lorsque son humeur l’incitait à griffer ou à mordre, elle pourra devenir une chatte adorable. Autant que ces femmes aux réactions imprévisibles qui sont le sel de la vie de nombreux maris.

Le dirais-je ? J’ai connu le mari d’une femme de ce genre : il était parfaitement heureux. Lorsqu’il pressentait un orage conjugal, il faisait une halte au café avant de rentrer chez lui, et au bout de quelques années, il n’en aimait sa femme que davantage. Amoureux, il appréciait ses mamours. Sociable, il aimait l’atmosphère des cafés que la bière et les rires alimentent sans cesse. Il était comblé tout à la fois de son amour et de cette liberté de garçon qu’elle lui offrait inconsciemment.

- Ils s’aiment à leur manière ; disais-je à Marie. Elle n’est peut-être pas mauvaise. Lorsqu’il rentre un peu gai, les yeux brillants, les gestes tendres, peut-être qu’elle lui en est reconnaissante ?

- C’est vrai que toi, tu pourrais avoir des gestes tendres un peu plus souvent.

J’avais raconté à Nicou ce que j’avais dit à sa mère et ce qu’elle m’avait répondu. J’avais ajouté en riant :

- Les femmes sont étranges, tu ne trouves pas ? Je ne les comprendrai jamais. Elle sait que je l’aime, non ?

- Elle sait, elle sait…De temps en temps, tu pourrais faire comme si elle ne le savait pas. Les hommes ne sont pas normaux, je ne les comprendrai jamais.

Elle a pris Cléo dans ses bras et elle lui a caressé le museau.

 

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