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Une aventure

 

Une aventure 

 

Il ne vivait pas encore avec Clotilde.

Clotilde, il l’avait rencontrée à l’Archiduc, un bar à la mode, où se pressaient les amateurs de musique de jazz. A partir de onze heures du soir, il était impossible d’y circuler. Pour se déplacer, il fallait se creuser un chemin parmi les consommateurs collés les uns aux autres en s’excusant pour la forme et en levant son verre au-dessus de la tête. Autant de balises liquides qui indiquaient que quelqu’un, homme ou femme, se trouvait en dessous. Face à face, corps contre corps. Ce soir là, c’était Clotilde et lui.

- Je vous offre un verre ?

- Si nous parvenons au comptoir, avec plaisir.

Quelques heures plus tard, ce fut Clotilde qui demanda :

- On va chez toi ou chez moi ?

Clotilde était divorcée. Elles sont nombreuses les femmes divorcées. Il arrive que les maris se séparent de leur épouse durant leur mariage sans qu’elles en soient averties. Lorsqu’elles le sont, à moins d’un arrangement de convenance, le couple divorce pour de vrai. Parfois, il le regrette.

Pierre et elle s’étaient revus les jours suivants. Elle avait demandé le premier jour :

- Tu veux revenir ce soir ?

Il ne savait pas ce qu’il devait répondre. Elle avait été ardente.

Elle avait fixé les règles.

- On couche mais on ne s’est rien promis.

Sans s’être rendu compte du temps qui passait, Pierre et elle vivaient pratiquement ensemble depuis trois ans. Parfois, lorsqu’il se taisait, elle craignait qu’il ne s’ennuie. Alors que le temps des confidences à cœur ouvert n’était pas encore venu.

Ils formaient, croyait-elle, une sorte de ménage incertain mais installé. Elle avait été séduite par ce garçon un peu plus jeune qu’elle qui ne demandait qu’à apprendre ces gestes que beaucoup de jeunes gens prétendaient connaitre de façon innée mais dont ils usaient maladroitement face à des jeunes femmes prêtes à toutes les découvertes.

Aux gestes mécaniques de l’amour, elle donnait un rythme qui les rendait différents en fonction d’une dramaturgie imperceptible qui variait selon l’heure ou les endroits. Clotilde faisait l’amour sans abandon véritable mais soucieuse du plaisir partagé.

Elle préservait sa liberté en n’appartenant à personne.

- Le jour où moi ou toi, on a envie d’être seul, il suffit de le dire.

C’était sa façon à elle, sans blesser son partenaire, de dire qu’ils n’étaient pas unis pour la vie. Ou que de temps à autre, une rencontre inattendue pouvait se produire sans qu’il s’agisse d’une rupture définitive. C’est ce qu’elle appelait : être de bons amis.

Elle avait eu quelques aventures. De celles qui naissent, et se défont tout aussi vite, à partir d’un regard plus appuyé, presque par lassitude, pour ne pas dire non ou parce qu’on a envie de dire oui à quelqu’un.

 Pierre était arrivé à un moment décisif mais elle doutait déjà du pouvoir qu’elle pouvait exercer sur un homme.

-Si nous allions à Paris ?

C’était en septembre, les jours étaient encore beaux. Elle avait rêvé pour elle et pour lui que ce soit comme le jour d’une première rencontre. De celles qui surviennent par hasard sans en connaitre la fin. Un instant épargné du temps.

C’était un week-end de Foires commerciales, la plupart des hôtels affichaient complet. Celui qu’elle avait retenu n’était pas très luxueux mais il était situé à proximité du Boulevard Saint-Germain et des brasseries aux terrasses illuminées. De plus en plus souvent elle cherchait des endroits animés. Elle avait parfois le sentiment que le silence risquait de les séparer.

- C’est tout ce que j’ai pu trouver. Tu n’es pas trop déçu ?

La chambre était petite, le lit en occupait la plus grande partie. Elle avait ôté sa blouse et sa jupe avant de défaire les valises. Elle se savait attirante. Ils étaient si proches l’un de l’autre qu’à chaque fois qu’elle passait près de lui, il sentait l’odeur de sa peau mêlée à celle de son parfum. Un parfum qu’il lui avait offert.

Il avait le ventre contracté. Peut-être était-ce l’atmosphère de cette chambre ? Les hôtels pour beaucoup, hommes ou femmes, suscitent la même sensation que celle que leur procure le sentiment de commettre un adultère.

Elle s’était tournée vers lui. Il la trouvait belle.

- Tu veux faire l’amour ?

Sa voix était claire. Elle posait la question de la même manière que si elle avait demandé s’il voulait un verre d’eau.

- Je crois que j’ai envie de toi.

- Tu crois que tu en as envie ou tu en as envie ?

Elle riait.

- Si nous voulons aller au restaurant, nous n’avons pas de temps à perdre, je vais prendre un bain.

Elle avait ouvert le robinet de la baignoire, et elle avait ôté sa culotte et son soutien-gorge. Elle était entrée dans l’eau pendant qu’il la regardait, troublé par ce corps si tranquille. Elle avait tendu la main.

- Tu veux prendre un bain avec moi ?

Lorsqu’ils étaient sortis de l’hôtel, il faisait déjà nuit.

Clotilde s’était accrochée à son bras, sa cuisse touchait la sienne comme si leurs corps se cherchaient encore. Ce sont ces attouchements là, si vite oubliés, qui marquent le corps des amants véritables.

- Est-ce que ce que tu connais le Harry’s bar ? C’est un endroit fantastique. Au sous-sol il y a un piano, et si tu le lui demandes, le pianiste te joue des airs d’autrefois.

- Non, je ne connais de bar que l’Archiduc.

Le bar était pratiquement vide. Toutes les lampes n’étaient pas encore allumées. Il était trop tôt.

Pour Clotilde, c’étaient des souvenirs qui lui étaient propres. Elle eut peur soudain des souvenirs qui appartenaient à Pierre. Certains d’entre eux probablement appartenaient aussi à une autre.

C’est à cette époque que Clotilde devint amoureuse de Pierre. A quoi reconnait-on qu’on devient amoureuse ? Clotilde s’efforçait de le savoir en femme rationnelle qu’elle était. Elle pensait que ce n’était pas lié au plaisir que lui procuraient ses caresses.

La présence de Pierre lui devenait indispensable. Pour qu’il ne s’en rende pas compte, à quelques reprises elle lui avait demandé de ne pas venir la voir. L’absence, se disait-elle, est un adjuvent à l’amour. L’absence ?

Ce jour-là, au téléphone, elle avait prétexté la venue inopinée d’un ami.

- Tu ne m’en veux pas ? C’est ce dont nous étions convenus. Un ami étranger vient me voir.

- Tu ne me dois pas d’explications, Clotilde. Nous sommes d’abord de bons amis, non ?  Tu me donneras un coup de fil après qu’il soit parti.

En revanche, une autre fois, toujours au téléphone cet intermédiaire sans visage, elle lui avait reproché de ne pas l’avoir prévenue.

- Tu ne m’as pas prévenue que tu ne viendrais pas.

- Je t’ai appelée cet après-midi.

- Tu aurais pu appeler hier soir. Je ne t’aurais pas attendu de toute la soirée. Peu importe avec qui tu étais, ne serait  ce que par courtoisie.

Elle faisait preuve de mauvaise foi mais c’était par amour. Clotilde se demandait avec qui elle vivait. Elle pensait qu’elle devrait rompre avant qu’il ne soit trop tard. Ses relations avec Pierre devenaient ridicules. Un soir, quelques mois auparavant, alors qu’elle ne lui demandait rien, il avait dit, dieu sait pour quelle raison, qu’elle ne devait rien attendre de lui.

- Je ne suis pas un homme équilibré. Je n’ai rien à offrir à une femme.

C’était une forme de dépression sans doute. De rejet de soi-même.

Clotilde avait besoin d’une rencontre. Ne serait-ce que pour son équilibre, pensait-elle. Et pour celui de Pierre en fin de compte. C’était en Italie qu’elle se produisit. Elle se trouvait dans une tout petite ville proche de  Florence. L’hôtel dans lequel elle logeait près de la Grand-Place ouvrait sous les arcades. Hôtel des Arcades. Elle devait rencontrer son fournisseur le lendemain.

D’habitude, elle logeait à Florence  mais ce jour là, moite de chaleur, elle n’avait pas eu le courage de prendre un bain, de se changer et de s’y rendre.

Elle décida de diner à l’hôtel dans une petite salle généralement vide qui donnait sur la cour arrière. La carte n’était pas fort riche mais ce n’est pas de manger dont elle avait envie.

Elle prit un bain et les cheveux encore humides serrés autour de son visage, elle s’installa au restaurant. La salle était vide. Le patron qui avait noué un tablier autour du ventre la servit en souriant.

- C’est pour moi, je vous l’offre.

Il avait apporté une carafe de Chianti qu’elle vida en attendant le repas. Le vin était bon, elle avait envie de boire.

Un peu plus tard, un homme était entré. Un client de l’hôtel, lui aussi probablement. Il avait scruté la salle. Il avait regardé Clotilde. Ils étaient deux désormais. Il eut un sourire et s’approcha de la table de Clotilde.

- Vous ne pensez pas que ce serait sinistre si nous mangions, seuls, chacun à un bout de la salle ?

- C’est vrai.

- Mon nom est Pierre Louvier.

Il s’assit en face d’elle. Il commanda une bouteille de vin florentin. Pétillant. Du Lambrusco.

- Vous verrez, il surprend au début.

Elle n’en avait jamais bu.

Il était français et comme elle, il achetait. Pour une chaine française.

- Moi ce sont des pulls.

Après le repas, elle était un peu ivre, elle dit qu’elle allait se coucher. Elle avait mis une chemise de nuit et rejeté les draps. Mais elle n’avait pas fermé la porte. Elle entendit frapper à la porte et elle alla ouvrir.

Le lendemain, Pierre Louvier avait quitté l’hôtel avant même qu’elle ne descende. Peut être qu’elle avait rêvé ?

Etrange phénomène que l’amour. Les peaux se conviennent, parfois les sentiments se conviennent également. On se sépare parce qu’on craint celui ou celle qu’on  deviendra. On se fuit. On fuit encore et on regrette le premier amour. Il rassure. C’est ça l’amour ? Une anxiété qui apaise ?

Lorsque Pierre avait appris que son oncle était mort, il avait décidé de se rendre à ses funérailles.

- Tu reviendras ?

Il n’avait jamais pensé que Clotilde lui poserait la question. C’est au lit, souvent, que les hommes ou les femmes posent les questions auxquelles il est difficile de répondre.  

Ce ne devait être qu’une aventure.

 

 

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