Pourquoi le conjoint les parents, les amis et tous les proches sont-ils les derniers à avoir envie de lire un livre même lorsqu’il leur est offert par l’auteur ? On pourrait penser que c’est pour éviter d’avoir à donner leurs impressions ou parce qu’ils craignent que l’auteur parle d’eux et qu’ils découvrent comment ils les voit. Il y a peut-être un peu de tout ceci, mais les principales raisons sont à chercher ailleurs. Entre nous tous et le livre il y a une il histoire, une culture et malgré les technologies de pointe, le livre papier n’est pas près de disparaître.
Depuis notre plus tendre enfance, les auteurs que nous lisons sont des personnes que nous ne connaissons pas. Ils sont célèbres et presque tous ceux que nous étudions en classe sont morts depuis longtemps. "Les paroles s’envolent les écrits restent " dit le proverbe. Un écrivain célèbre est donc une personne dont l’œuvre appartient à l’histoire, au patrimoine culturel de l’humanité ; C’est donc quelqu’un d’important, un notable, une référence que l’on peut citer. Tenir un livre d’un tel auteur entre ses mains à quelque chose de solennel, d’intimidant et parfois de rébarbatif, surtout pour des gens qui maîtrisent mal la lecture ou lorsque le prof de lettres impose de le lire alors que d’autres livres nous parlent plus. Que sait-on de ces auteurs du passé ? Ce que les biographes ont bien voulu nous dire.
Pour apprécier plus leurs œuvres, est-il indispensable d’avoir diné en tête à tête avec Victor Hugo, d’avoir eu Pascal comme professeur, de pouvoir se disputer avec des internautes sur le blog de Voltaire, d'avoir fait de la figuration dans une pièce mise en scène par Molière, d’avoir été l' une des maîtresses d’Albert Camus , de s’être coltiné Céline pour voisin de pallier, ou encore d’avoir été la femme de ménage de Marguerite Duras ou le psychiatre d’Althusser ? L’auteur d’un livre, c’est donc à priori quelqu’un que l’on ne connaît pas. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui incite à lire l'ouvrage. Le livre reste extérieur au lecteur qui se puise ou pas dans le texte ce qui lui semble important.
De façon plus contemporaine, les auteurs nous semblent plus familiers car ils s’expriment à la télé sur des sujets qui n’ont parfois rien à voir avec leur livre, ils prennent position sur tout et sur n'importe quoi, ils tiennent parfois des blogs, soutiennent des candidats aux élections dédicacent leurs livres dans les salons.
Comme ils semblent plus accessibles, grande est la tentation de vouloir rejoindre la petite élite qui a la chance de vivre de ses livres. Tous les auteurs connus n'ont pas loin s'en faut un style justifiant leur succès Certains parlent de cul dans une bonne partie de leurs livres. L’auteur aujourd'hui semble si désacralisé que bien des gens se disent : " S’il est connu avec ça, pourquoi pas moi ?" C’est oublier que les auteurs les plus en vue qui font rêver les gens qui aiment écrire sont célèbres, ce qui met automatiquement une distance et rétablit la hiérarchie entre le notable et l’écrivain lambda. Une personne célèbre devient automatiquement un mystère car derrière la façade médiatique cache son jardin secret.
Si les proches de l’écrivain célèbre ne lisent pas ses livres ce dernier s’en fiche. Il a son public et c’est précisément parce qu’il a une notoriété que ses proches sont flattés de le lire et ne se permettraient pas le moindre jugement négatif envers son œuvre.
Un auteur connu ne gagne pas grand chose à batifoler avec les internautes dans la cour de récré des blogs. Ceux qui s’y sont essayé n’ont pas trop insisté.
Á trop vouloir abolir la distance, un auteur réputé cesse d’être respecté. Tout ceci explique qu’il est difficile de compter sur les proches pour bâtir une première assise autour d’un livre.
Lorsque l’on connaît trop l’auteur, le livre cesse d’être mystérieux. L'entourage est tenté de se dire qu'il connaît déjà ce qui est écrit dans le livre qui est déjà consommé avant même d'avoir été ouvert . Pour ne pas vexer l’auteur, il peut faire l’effort de le parcourir, peut-être même de le lire mais dans ce cas le désir fait place à la contrainte.
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