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Un suicide ordinaire


Lorsqu’Hélène est morte, il avait dit à René de qu’il ne souhaitait pas que ses amis assistent aux funérailles. Ni recevoir de lettres de condoléances. A l’exception de l’un d’entre eux, Gilbert, dont la femme était morte d’un cancer quinze jours auparavant, et incinérée deux jours plus tard. Ce matin là, Pierre avait eu le sentiment d’assister à la répétition générale d’une pièce dans laquelle il ne tarderait pas à jouer un rôle. Il avait pleuré.

Depuis, il avait appris que trois mois plus tard Gilbert avait épousé sa secrétaire. Elle était sa maitresse depuis longtemps.

La cérémonie d’incinération fut courte. Debout, seul dans le funérarium, Pierre fixait le cercueil qui s’engouffrait dans une bouche de flammes aux sons d’une marche funèbre. Cette fois, il avait les yeux secs.

- Vous voulez assister à la dispersion des cendres ?  

Une heure plus tard, le desservant  lui avait remis un galet qu’il ajouta à leur anneau de mariage, à un collier d’ambre qu’elle aimait, et au morceau de pièce d’identité qui lui avait été remis la veille. Il voulait les conserver pour que, au delà du souvenir, il puisse rester une trace matérielle de leur union.  

Revenu chez lui, il s’était étendu tout habillé sur le lit. Il voulait mourir. Il y avait dans l’armoire à pharmacie un grand nombre de médicaments sous forme de pastilles à avaler. En avaler une poignée d’un seul coup, lui avait-on dit un jour, pouvait assommer un bœuf. Mais tuer un homme ?

Il était resté trois jours dans cette position larvaire sans se laver, sans se raser, sans se peigner. Au bout de trois jours, il avait ressenti un élancement à l’estomac mais ce n’était pas le symptôme de la mort, c’était celui de la faim. 

Il avait pris dans le frigo un morceau de pain, il l’avait décongelé, et il l’avait mangé. Puis il s’était levé, il avait pris un bain, il s’était rasé soigneusement, et il était allé au supermarché pour acheter de quoi se nourrir.

Il avait aussi acheté un livre donc le titre était explicite : suicide, mode d’emploi, d’un certain Gillon. Vous avaliez un tube complet de barbituriques, et il était probable que vous ne vous réveilliez plus. C’est le mot « probable » qui l’avait arrêté.

Il le constatait, il est plus simple de mourir à la suite d’une maladie incurable ou lors d’un grave accident.  Alors même que vous est laissé le choix du moment et de l’environnement, mourir de sa propre main était singulièrement difficile. Bien plus qu’on ne l’imagine dans les ténèbres de sa détresse.

Une autoroute passait à proximité de la maison sous le viaduc qu’il empruntait depuis des années. Juste après un virage en épingle à cheveux assez mal conçu à son sentiment. Il le répétait souvent, il fallait faire attention, et ne pas rouler trop vite. Un moment d’inattention, une vitesse excessive, et vous pouviez franchir d’un bond le monticule sous lequel se trouvait le viaduc. Et vous retrouver sur l’autoroute, mais en quel état !

Il ne faut pas trop trainer lorsqu’on à l’intention de se suicider. C’était la faute à Julie s’il n’avait pas mis son projet à exécution.

Julie était une de leurs amies. Elle avait perdu son mari, un charmant garçon, lors d’un accident de chemin de fer. Il y avait eu trois morts, la presse n’en avait pas fait sa première page parce que c’était au moment des élections présidentielles américaines, mais l’un d’eux était Albert, son mari.

Elle avait téléphoné le lendemain de l’incinération d’Hélène. Elle avait dit qu’elle avait compris, Pierre ne savait pas encore ce qu’elle avait compris, mais elle souhaitait le voir. Il ne pouvait pas le lui refuser.

Julie était de ces femmes que leur mari comblait  souvent, c’était criant, mais moins souvent qu’au temps de leurs premières années de mariage. Elle l’avait confié à son amie Hélène.

Pierre avait souvent pensé à Julie lorsque sa femme était vivante. Depuis qu’elle était morte, il avait cessé d’y penser. C’est Julie qui s’était rappelée à lui

L’idée de son suicide se ramena quelques jours plus tard à une idée dont on débat avec sa conscience mais sans s’efforcer de la matérialiser. Et dont très vite, on ne débat plus : la vie continue.

Ce livre qu’il avait laissé ouvert à la page qui recommandait d’avaler un tube de barbiturique, il l’avait fermé et  rangé dans un tiroir. Ce virage à proximité de la maison dont le dessin lui semblait aussi tranchant et dangereux qu’une lame, il suffisait de faire preuve d’un peu de prudence avant de l’aborder. D’ailleurs, il l’empruntait depuis plus de dix ans, quelque soit l’état de la route, et sans y penser.

Suicide ? Il fallait être stoïque et courageux. Accepter sans fléchir le sort que le sort vous réserve. Vivre, soit.

Le soir même, après le coup de téléphone de Julie, il avait pris un bain, il s’était légèrement parfumé, il avait mis une tenue dont il savait qu’elle l’avantageait. Il s’était offert un double whisky pour se donner un coup de fouet. La nuit était tombée lorsqu’il était monté en voiture et s’était rué sur la route, la tête en feu.

Une heure plus tard, il était dans le lit de Julie. Peut être n’y a-t-il pas de justice immanente ? Dieu doit détourner la tête.

C’est en rentrant chez lui aux premières lueurs de l’aube qu’il avait manqué le virage, et qu’il s’était écrasé sur l’autoroute.

 

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Commentaires

  • Merci Nicole ! J'ai connu un De Bodt/ grands magasins ?

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