Au cours d’une soirée animée entre amis, l’un d’eux me demande si je veux jouer. Jouer à un jeu étrange. Jouer à téléphoner à une petite fille qui vivait en moi et qui accompagnait mon enfance. Drôle d’idée d’appeler cette fillette et de ranimer ainsi un passé révolu, accompli, avec des souvenirs douloureux, désagréables peut-être.
Remuer l’enfance dans les bonheurs et dans les tristesses. Un coup de fil et je replonge dans cette vie que j’essaie d’oublier, d’effacer depuis que j’ai le statut d’adulte.
Cette enfance mal digérée, pénible qu’il a fallu tirer, traîner chaque jour comme un malheur et qui m’a laissé un goût plus qu’amer.
Le jeu est ainsi fait et pourquoi pas. Je ne me sens pas particulièrement rassurée de cet exercice devant des amis mais bon, c’est un jeu. Inquiète, je prends le téléphone et le serre à l’écraser.
Allo, bonjour…
La fillette est surprise et hésite à répondre. C’est à peine si elle reconnaît sa voix. D’emblée, elle me parle de sa mère qui ne va pas bien. Des misères que sa mère subit et des pleurs qu’elle entend chaque jour. Non, rien n’a changé, les sentiments, les perceptions sont toujours les mêmes. J’ai envie de me boucher les oreilles. Ne pas revivre cela. L'incompréhension est toujours présente. Elle est seule et sa vie est triste. Voir ce gâchis autour d’elle. Les jours passent sans saveur et s’égrainent tristement.
Je ne veux pas en entendre plus mais j’ai soudain le remord de laisser cet enfant dans cette angoisse. Je prends sur moi de la réconforter, la rassurer et lui dire que la vie n’est pas cela. Que sa solitude cessera un jour. Elle aura des images de bonheur et connaîtra la joie d’aimer. Elle doit tenir sans se détruire le cœur, ni l'âme. Tout protéger du mieux qu’elle peut. Boucher ses oreilles pour ne pas entendre et réconforter sa mère plus que tout.
D’ailleurs, je veux parler à sa mère. Je veux lui parler mais dans ce deal, ce n’est pas possible. Le téléphone ne veut pas. Je n’arrive plus à raccrocher. Je l’entends, fragile, perdue, seule, se débattre dans cette vie où tout est douleur, crainte et angoisse. Elle ne dit plus rien un instant. Elle doit penser que ma vie est plus légère depuis mon départ.
C’est moi qui prends de ses nouvelles et pas le contraire. Je reste là à l’écouter raconter ce que je connais trop bien. Je sais que tout va finir mais je ne veux pas entrer dans cet avenir qui m’appartient et qu’elle ne connait pas encore. Elle doit être forte. Je sais qu’elle a une force peu commune et qu’elle tiendra.
Personne ne lira jamais sur son visage sa tristesse, ni dans son cœur son désarroi. Elle sera un roc, muette, secrète. Elle ne pardonnera pas. Elle n’oubliera rien. Même blessée à vie, elle portera ses blessures fièrement et au fil du temps acceptera cette situation, ce passé.
Mes amis se rappellent à moi. Je suis épuisée de cette conversation. C’est à regret que je l’abandonne dans ce monde révolu. J’attends avec impatience le coup de téléphone suivant pour pouvoir calmer ce cœur démonté. En vain.
Cette fois c’est à Pierre de jouer. Appeler le petit garçon qu’il était dans son enfance. Prendre des nouvelles de son père aimant. Il hésite. Pas fier, il bafouille, balbutie et n’y arrive pas. Il s’effondre en larmes, pleurant tout ce bonheur enfui. Trop de souvenirs heureux, tendres lui reviennent en mémoire et après quelques phrases ânonnées, bredouillées, il raccroche le cœur toujours dans ce chagrin qui ne s’efface pas.
Ce n’est jamais facile d’appeler son passé.
Commentaires
Bonjour Gil,
Notre vie se compose d’un passé, d’un présent et d’un avenir. Tous trois ne sont pas équilibrés et vivre une vie n’est jamais simple. Ce passé que l’on tire derrière soi, qu’il soit beau ou triste reste un fardeau extraordinaire qui forme, configure, aménage le présent. Rien de l’enfance n’est anodin, chaque épisode a une place primordiale dans notre vécu et il laisse des traces ineffaçables, impérissables, voire très profondes. Pouvoir l’accepter tel qu’il est, est un exercice extrêmement éprouvant, salutaire et en jouer prouve qu’il n’a pas été vécu sans raison.
Le présent que l’on rêve toujours meilleur est la réplique parfaite, rejouée de notre passé, transformée, modifiée par notre volonté et notre imagination mais tellement analogue, similaire qu’à force, il en devient un remake. Combien de fois n’essayons-nous pas de changer ? De nous convertir, de modifier notre façon de penser, de réfléchir, d’agir et finalement retomber dans ce qui est nous.
L’avenir reste l’épreuve à passer. Il nous réserve bien des surprises et je ne l’envisage qu’à longue échéance. Dans 10 ans, dans 15 ans ne voulant pas y arriver et laissant le temps faire son œuvre. Je n’aime pas penser à l’avenir immédiat pour ne pas l’altérer et en changer le cours. Un peu de lâcheté de ma part ou de peur. L’avenir ne nous demande pas notre avis et il sera lui aussi tributaire de notre passé.
J’adore le principe de dialoguer dans des situations étranges, dans l’antériorité, avec l’au-delà de ce que l’on ressent. Un peu cachée derrière un miroir, derrière l’insensé, le dément, avec un autre moi-même en engendrant, concevant des situations qui font croire à ce que je raconte. C’est le but de l’écriture.
Les personnages irréels, les fées, les lutins à décrire sont tellement fantastiques et agréables. J’aime les contes qui font rêver. C’est mon côté poète, rêveur qui s’installe.
Merci de votre partage. Gil.
Amicalement Josette
Bonjour Josette
Nous pouvons penser de façon simple que nous sommes trois temps : un passé, un présent, un futur, mais qu’en est-il de ses trois temps ? Pour ma part, je pense qu’on ne peut parler de futur qu’en pures spéculations, tant la vie est pleine de hasards, d’aléas, de surprises dans tous les sens. Cela ne signifie pas qu’il faudrait se résigner à vivre au jour le jour, surtout si c’est dans une vie pas du tout agréable. Je dirais volontiers qu’on ne peut parler de futur que comme un parieur avec quelques chances d’avoir raison et avec infiniment plus de chances de se tromper, pour le meilleur comme pour le pire. Pour le présent, j’envisage le mien singulier à nul autre pareil et que c’est la même chose pour chacun et chacune d’entre nous. Je le dis singulier à la fois par ce que je vis objectivement, du bon et du mauvais, par tous les ressentis subjectifs que j’ai de mon vécu, de ce que je connais du vécu de mes contemporains et aussi par ce que je garde d’espérances d’un monde meilleur qu’il ne l’est présentement. Pour le passé, comme pour le présent, je conçois le mien singulier à nul autre pareil et que c’est la même chose pour chacun et chacun. Mais je considère que ce passé est surtout une espèce de patchwork, un assemblage pas forcément organisé, réfléchi, de morceaux qu’on a gardés, de morceaux qu’on nous a donnés, des morceaux qu’on a refait, et il faut à mon sens envisager qu’il manque à ce patchwork bien des morceaux qu’on n’a pas, qu’on n’a plus, et puis des morceaux qu’on n’a pas forcément envie de montrer à qui que ce soit ou que l’on aime garder au secret.
L’idée d’un dialogue entre un vieux monsieur et l’enfant qu’il était fait partie de mes projets d’écriture, mais je ne sais vraiment pas si ce projet là aboutira et s’il aboutit, je ne sais si ce sera quelque chose qui valait la peine d’être écrit. En tout cas, je pense cet exercice comparable que vous évoquez ici infiniment perturbant comme vous l’indiquez.
Aragon a fait chanter Ferrat : Nul ne guérit jamais de son enfance, et du temps qui passe … qui nous vole, nous pille, et emporte tout quoiqu’on fasse … et aussi Tu aurais pu vivre encore un peu … ce chant là que j’adresse à tous ceux de mon enfance qui m’ont pris la main, qui m’ont mis sur les genoux, qui m’ont caressé la joue, qui m’ont fait monter sur des manèges enchantés, qui m’ont fait beau et radieux de leurs baisers en dentelle, qui m’ont prêté du génie d’un gros sou dans la poche de mes dimanches, d’un éclat de rire pour mes pitreries, à tous ceux qui ne sont plus mais qui me font toujours et encore parler à l’intemporel des amours premières …
Bonne journée. Amitiés. Gil
Joli. Merci Michel
Etrange écho d'un miroir qui frissonne.
Quand on a la possibilité de prendre le meilleur pour construire le présent et l’avenir. C’est que le passé a fait son travail correctement.
Amicalement Françoise.
Excellente fin de semaine.
Josette
Tout est lié, passé, présent, futur pour concéder à l’homme une destinée unique.
Excellente fin de semaine Adyne.
Amitiés.
Josette.
Merci de me donner la possibilité de te présenter mes vœux chaleureux pour l’année nouvelle.
Tous les souvenirs du passé ne sont pas forcément malheurs et heureusement. Ils sont aussi une part agréable de notre vie et nous pouvons y replonger quand la vie se fait moins belle.
Excellente journée Rolande.
A bientôt.
Amicalement
Josette
Je reprends vos mots Josette. On ne quitte jamais son passé. Mais on peu l'accepter et le reléguer dans un coin de sa mémoire ou de son coeur pour mieux vivre le présent et préparer le futur. Il y a toujours aussi de beaux souvenirs qui prennent le pas sur la tristesse. Ceux là préparent l'avenir.
Bonjour Josette,
Un passé qui vous forge pour le futur qui est peut-être moins beau que le passé!
Merci pour cette histoire pour le moins originale
Bonne fin de semaine
Amitiés
Adyne
Bonjour Chère Josette,
Heureuse de te retrouver à l'aube de cette nouvelle année que je te souhaite peine de joies et de bonheurs, au-delà des difficultés.
En ce qui me concerne, je retourne toujours avec bonheur dans mon enfance, rendue joyeuse et féconde grâce à ma grand-mère adorée et ce, au-delà de la guerre et de ses multiples problèmes.
Un pays de miel et de rires m'a ensuite accueillie. Il a fallu le quitter dans les larmes.
Il me reste des souvenirs merveilleux et c'est ceux-là que j'aime évoquer le plus souvent possible.
Il nous aident à vivre et affronter les difficultés d'une vieillesse heureuse, envers et contre tout.
Je t'embrasse bien affectueusement ! Rolande.
Merci pour tes jolies contes! A bientôt.