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Il y a bien peu de temps encore,- pour qui regarde les siècles d'un peu haut , comme d'un aérophane, c'était hier,- lorsque l'hiver étendait sur nous ,pauvres gens du Nord, sa main glacée , nous étions sa proie; impossible d'échapper à l'annuelle fatalité , à l'inévitable supplice du vent qui cingle, de la pluie qui fouette , de la glace , de la neige, des dégels, de la boue affreuse de la désolante obscurité. Comment fuir ? Pour les privilégiés de la Fortune voyageant en chaise poste , il fallait une semaine pour traverser la France du nord au sud ; pour les autres il en fallait deux , et dans quelles conditions !

Voitures non chauffées,avec vis disjointes, cachots terribles, fatigue affreuse. Après c'était les Alpes à franchir par dessus les neiges éternelles, au risque de s'y engloutir ; ou bien alors, la mer  ! La mer encore redoutable aujourd'hui ,comme un fauve apprivoisé dont on craint les retours de sauvagerie, mais à laquelle on se confie pourtant volontiers ; alors, c'était l'épouvante , l'inconnu, l'abandon aux vents contraires , l'incertitude : arriverait-on jamais ? Et si l'on arrivait , quand arriverait-on?

 

La mer c'était l'inconnu , arriverait-on jamais , à travers les tempêtes, à travers le calme, plus redoutable encore ?

Un célébre capitaine qui eut son heure de célébrité: Michel Pacha,le créateur de Tamaris près de Toulon m'a dit être resté quinze jours en vue d'un port sans y entrer !

Plus que la tempête on craignait le calme, ce calme actuellement si bienfaisant, si voluptueux ...alors c'était l'immobilité , cela pouvait être la mort par la faim, par la soif ...(...)

 

Aujourd'hui, quel changement ! On part le soir , et le lendemain matin on s'éveille au milieu des oliviers dont les troncs capricieux et le feuillage argenté réjouissent le regard; si la mauvaise chance ne vous fait pas rencontrer le trop fameux mistral, une température déjà plus douce vous détend les nerfs et la gaieté de Marseille, achève de vous mettre de bonne humeur; vous montez sur un beau navire , vingt-quatre heures après vous débarquez à Alger; et c'est le soleil, la verdure , les fleurs , la vie !

Ah! Il ne faudrait pas trop vous monter l'imagination . Depuis le temps où j'esquissais à Saint-Eugéne le 3e acte de Samson -,il y aura bientôt quarante ans,- Alger a bien changé;Ce n'est plus l'Alger de la Suite Algérienne; On aurait pu en faire la plus délicieuse des villes orientales , tout en la rendant habitable aux Européens :on ne l'a pas voulu.

On a détruit les parcs, les palais arabes;et d'affreuses bastilles ont surgi partout , subtituant à l'art musulman une désolante barbarie , alors qu'on s'imaginait porter la civilisation ....

Maintenant une heureuse réaction s'opère; de belles constructions s'élèvent , on revient même dans les villas élégantes ,au style arabe si riche et si pittoresque. Mais les arbres disparaissent de plus en plus, on bâtit encore , on bâtit toujours.

(...)

Mais il ne faut pas rester à la ville si l'on veut goûter le charme de l'Algérie. Il faut prendre la ligne d'Alger à Oran et voir la campagne. Alors tout en songeant que chez nous les arbres n'ont plus de feuilles, la terre plus de fleurs, le ciel plus de soleil et plus d'étoiles, on se baigne dans la volupté d'une nature enchantée. Un ciel d'un bleu clair et transparent,d'un bleu que nous ne connaissons pas, surprend et ravit le regard ; parfois s'y montre une tache éblouissante , comme si quelques pinceaux trempés de lumière l'avait  touchée. De tous côtes surgissent les orangers surchargés de leurs fruits d'or, les blés , les vignes couvrent d'immenses étendues, tout respire la vie, l'abondance, la fertilité d'une terre puissamment nourricière.

C'est en suivant ce chemin que je suis arrivé dans les montagnes, dans les bois où l'on a trouvé quelquefois des panthéres, à l'ombre d'un volcan éteint depuis des milliers d'années et qui distille encore des eaux presque bouillantes connues des Romains qui savaient en profiter, eaux bienfaisantes où je suis venu me tremper ...

Séjour enchanteur où l'on jouit du silence absolu, si précieux pour le repos et le travail. C'est là que j'ai écrit entre autres choses, sur des vers délicieux et incompréhensibles de Banville la mélodie " aimons-nous".

Que la nature est belle ! Le sol fourmille de plantes inconnues chez nous, et d'autres qui sont de simples variantes de celles que nous connaissons. L'acanthe, l'illustre acanthe elle-même s'y trouve à l'aise, les arums ,aux feuilles en fer de lance,y fourmillent, les uns, petits, aux fleurs gentiment striées de violet, les autres ,plus grands aux fleurs blanches, de place en place, paraît un bouquet de feuilles tressées,d'un beau vert foncé, elles sortent d'un oignon énorme, ce sont des scilles, qui plus tard montreront une touffe de jolies fleurs bleues

(...)

Nous n'aurions pas tout dit sur la campagne d'Algérie, si nous passions sous silence son plus grand charme : son parfum. de quel côté que vous alliez dans cette campagne, un parfum pénétrant, exquis, spécial à ce pays et qui ne se rencontre nulle part, même sous les tropiques où s'ouvrent tant de fleurs embaumées, vous enveloppe et vous grise.

D'où vient ce parfum ? Il ne m'a jamais été possible de le comprendre. Lui seul suffirait à faire aimer cette terre d'élection.

 

Extrait des notes et souvenirs de Saint Saëns, tome  du manuscrit du Musée de Dieppe( Rassemblés par Jean Bonnerot).

L'intégral du texte a été publié dans ' L'écho de Paris' 24 décembre 1911.

 

 

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