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Soldat inconnu JGobert

Petite, je n’avais pas le droit d’y entrer. Située à l’étage, l’escalier dissimulé derrière une porte close, une pièce servant de débarras, un endroit où sont entreposés les restes d’antan, un capharnaüm rempli de souvenirs, un amoncellement de choses aimées, un tas d’amour en morceaux.

Après quelques tentatives non abouties, la porte s’ouvre enfin et les quelques marches qui conduisent au paradis se posent sous mes pieds. Enfin, je suis dans ce grenier si mystérieux où les grandes personnes rangent leurs secrets, leurs vieux trésors. 

Tout est là sous mes yeux, recouvert de poussière.  Mon imagination n’arrête pas d’étiqueter les objets présents. Je regarde et suis submergée de vieux souvenirs de mon enfance. Mes jouets me sautent d’abord aux yeux et au cœur et me replongent dans cette période si vite passée.

L’escalier de bois est sous une petite fenêtre donnant sur le ciel. La charpente est apparente et les poutres sont alignées, disposées avec précision.  A certains endroits, quelques tuiles sont cassées. Une faille dans cet espace intemporel qui donne sur l’imaginaire.

Ces objets si précieux s’étalent sur le vieux plancher vermoulu. Le fauteuil anglais de grand-père où j’aimais tant me balancer. Sa couleur verdâtre et son odeur de cuir me reviennent en mémoire. Ce grand-père que j’ai chéri si longtemps et qui est parti si vite.

Les lustres de grand-mère, un peu déglingués s’adossent au mur pour ne pas tomber. Les cuivres faits de vieux obus de la grande guerre que mamy a astiqués, frottés toute sa vie pour les faire briller. La vieille lampe à pétrole, reléguée dans un coin revête toute la misère du monde. Les étuis vides d’instrument de musique, éventrés et laissés à l’abandon.

Rassemblés dans ce désordre enchanté, les différentes générations d’objets cassés, abimés, non jetés, sont simplement posés là en souvenir.

Ce qui m’attire, ce sont ces caisses de carton pleines de livres, qui entassées les unes sur les autres étouffent.  A côté, un vieux coffre de vêtements, de dentelles, de vieux chapeaux, un trésor à lui seul. Curieuse, je glisse la main dans cette malle et en retire une petite boite en fer. Surprise, elle n’est pas vide. Et d’un coup, le grenier prend sa forme d’antan et me plonge dans le passé de cette boite.  Mon cœur se met à battre beaucoup plus vite et mon imagination s’allume, s’illumine.

Des lettres gardées précieusement dans des papiers de soie et pliées avec beaucoup de précision.  Des lettres d’un soldat que je ne sais situer dans la famille. Un inconnu qui s’adresse à une femme aimée, adorée. Une tendresse écrite avec des mots simples, faciles.

Des récits de guerre couverts de sang et d’horreur. Pataugeant dans la boue, dans ces tranchées immondes, partageant un quotidien féroce et entretenant l’espoir d’en sortir un jour avant qu’un obus ne vienne le faucher. Cet homme, avec ce bout de crayon, s’accroche  à la vie.

Après avoir lu quelques lettres, témoignages de ce temps disparu, je n’ai pas la possibilité de savoir si elles ont eu des réponses ou si d’autres sont retournées à l’expéditeur. Toujours pas de nom sur ces lettres. Le mystère du passé me côtoie.

Arrêtée dans l’inventaire de ce grenier, assisse sur ce sol poussiéreux,  je me remémore les histoires familiales que j’ai entendues. Je ne trouve aucun indice sur cette personne. Un étranger pour moi.

Le grenier a repris son apparence  et la boite en fer s’est refermée sur son secret. Au moment où j’allais partir, mon regard se pose sur une étagère un peu à l’écart. Un vieux carnet de notes enrubanné d’un bandeau qui a pris la couleur du lieu. Posé haut, il surplombe la pièce et n’est pas seul. Un cahier plus petit est à ses côtés, gris sans fantaisie, triste même.

Une chaise me sert à attraper ces trésors et je les emmène avec moi. J’emporte également cette boite aux lettres d’amour inconnues.  La nuit est tombée et un léger rayon de lune éclaire encore cette pièce que je ferme avec beaucoup de précaution. Je suis dans la maison de ma famille pour quelques jours.

Mes trésors dans les bras, je pars m’isoler pour mieux rejoindre le passé.

Dans cette habitation presque abandonnée, toutes les pièces respirent les senteurs d’hier. Un feu de cheminée et le vieux canapé, toujours accueillant, m’attendent.

A peine installée, j’ouvre le cahier gris qui est un livre de compte. Des dates, des montants se suivent durant des années. Ecrit à la plume, l’écriture est chancelante et ne recèle aucun indice qui pourrait m’éclairer. Les montants sont dérisoires mais constamment en augmentation.

L’autre carnet fermé par ce tissu me paraît plus intime, plus féminin peut-être. Des photos s’en échappent. Des photos de ce jeune soldat et je ne peux toujours pas mettre de nom sur ce visage.  Un jeune homme aux traits fins, une petite moustache et cet uniforme de soldat qui le rend si attachant.

Les récits sont ceux de mon aïeule et décrivent la vie de l’époque. Les saisons défilent, les récoltes, le travail, les arrivées et les départs. Toute une vie du début du siècle des lumières se révèle à moi.  La lecture est fascinante.

L’écriture change et devient plus légère, une autre personne continue le récit. Une femme a repris le discours ajoutant des descriptions, des portraits, des images de l’époque. Des noms enfin apparaissent et me situent dans le temps. Joseph, Hélène, Baptiste, Rose, et enfin Nicolas. Cet inconnu qui remplit des pages et qui suscite tant d’intérêts de mon arrière-grand-mère. Elle en parle chaque jour.  Je sens que ses sentiments pour lui sont forts, qu’elle s’inquiète, qu’elle craint, qu’elle pleure.   Je ne sais plus quoi penser de ces lettres et de ces confidences trouvées et lues sans autorisation.  Le secret a été bien gardé et jamais divulgué. Je me sens tout à coup étrangère à cette histoire de famille qui ne me concerne pas. Les heures passent et je reste songeuse. Tous ces souvenirs revenus d'outre-tombe me suivent et m'interrogent sur le sens de la vie et ses secrets.

Ce beau soldat qui n’a plus donné signe de vie, qui est mort dans les tranchées, qui aimait tant grand-mère.

Un fils qu’elle a eu hors mariage, un fils caché de tous qui fut son bonheur et son tourment.

 

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Commentaires

  • Bonjour Gil,

    Je n’ai jamais pensé non plus que la guerre était « ces » images de jeunes gens partant la fleur au fusil et un grand sourire aux lèvres.  Le sacrifice légitimé par la guerre non plus. Trop de misères, trop de vies détruites, trop de familles décimées pour des idéaux barbares. Que de morts dans toutes ces batailles  inutiles.

    J’ai néanmoins des souvenirs toujours racontés par des anciens, qui faisaient l’histoire, qui nous faisaient vivre avec eux des heures parfois peu glorieuses mais qu’ils arrangeaient pour avoir bonne conscience. Leurs souffrances transformées au fil du temps les ont libérés par cette parole salutaire que nous écoutions avec respect.

    Le patriotisme est dans la mémoire des hommes et non dans les faits de guerre des généraux, gouvernants, dictateurs et autres. Une vie est précieuse dans le cœur d’une mère et c’est la seule chose à retenir.

    Amitiés

    Josette

  • Bonjour Josette

    Que dire des générations d’avant nous sinon qu’elles ont eu affaire à tout ce qu’il y a de pire à savoir les guerres, des guerres sophistiquées comme jamais auparavant, tragiquement fautives de millions de morts, de destructions en tous genres, de tout ce que ça comporte de deuils, d’amours et de destins fracassés … Je considère que leurs histoires ont été trop ignorées, bafouées par une histoire officielle glorifiant pour l’essentiel un patriotisme sacrificiel, légitimant cette absurdité de tuer et de détruire pour des raisons inavouables ou opaques. De fait, cette histoire là infiniment caricaturale, mensongère et amnésique de bien des choses s’est retrouvée dans toutes les écoles de France jusque dans les années 1970 et qu’on le veuille ou pas, cette histoire là est encore en bien des têtes aujourd’hui.

    Très jeune, c’était quelques années après la seconde guerre mondiale, j’ai découvert qu’il y avait deux mondes, un monde qui se vantait d’avoir fait la guerre, qui aimait raconter ses exploits, qui aimait les médailles, un monde qui me renvoyait à mes billes, à mes livres et qui me disait bien fermement et sévèrement que tant que je n’aurais pas connu la guerre je n’aurais pas le droit de parler. C’était pour moi le monde des morts et du mensonge sur une grande quantité de martyres sans nom, sans voix. Et puis il y avait un autre monde et c’était pour moi le monde des vivants, c’était un monde qui voulait tourner la page, un monde qui refusait parler de la guerre, de ce grand malheur, de cette saloperie qu’est la guerre. Un temps, je me suis demandé ce qu’ils voulaient me cacher à tort ou à raison, mais au demeurant, ils n’ont fait que renforcer mon appétence pour l’histoire, pour une histoire qui dit la vérité sur le vécu des gens d’hier et d’aujourd’hui, et cette appétence là, je l’ai toujours dans mes études actuelles où ma préférence est pour l’histoire locale, pour les histoires des gens de ma région et de ceux qui y sont venus ou qui y viennent retrouver des morceaux de leur histoire personnelle.

    A tous les jeunes qui veulent comprendre l’histoire du siècle passé et mieux appréhender le monde d’aujourd’hui, je leur conseille souvent de lire la correspondance qu’ont eu les soldats et leurs familles et même si je sais que cette correspondance a été largement censurée, je considère qu’il y a dans cette correspondance comme vous l’évoquez ici des choses infiniment belles et émouvantes qui nous remettent du bon côté de notre humanité …

     

    Bonne journée. Amitiés. Gil

  • Bonsoir Rolande.

    Merci pour ton commentaire et la marque d'amitié que tu me concèdes. Difficile aussi de prendre du "tu"  à toutes les sauces parfois de personnes désinvoltes ou très jeunes. Les manières changent et le respect aussi.  Je vais voir pour ce sujet épineux.

    Très bonne soirée, bisous.

    Amitiés

    Josette 

  • Bonjour Chère Josette,

    Merci pour ton commentaire. Celui de Michel m'a émue. L'attitude de mon père était un rien similaire : pas de parades, refus des médailles etc. ...Participation aux réunions d'anciens oui ...

    N'aie crainte et, surtout , pense à me tutoyer. Je n'accorde pas facilement cette marque de confiance car c'en est une et je déteste les gens qui se jettent directement à votre cou sans même vous connaître et vous envoie du "tu" d'une manière désinvolte. Brrr. Or, c'est devenue monnaie courante chez beaucoup de personnes qui s'occupent des vieux. Surtout chez les "aides ménagères" .... Aïe , non, les "techniciennes de surface". Alors que nous en connaissons souvent bien plus qu'elles dans ce domaine. Surtout en prévision des périodes de nécessaires économies qui nous attendent. Jeunes, nous avions des cours "d'Economie Domestique" Ou comment gérer un ménage sans trop dépenser".

    Qui sait encore ce que cela veut dire  ? Pourrais-tu écrire quelque chose sur ce sujet devenu épineux ??

    Gros gros bisous et très bonne soirée. Rolande. 

  • Beau témoignage également Marie-Jo. Cette guerre a été terrible et je crois que ceux qui sont revenus ne voulaient plus en parler.

    Amitiés

    Josette

  • Superbe témoignage Michel. Que de secrets par amour par ces hommes de cœur.

    Amitiés

    Josette

  • Récit plein d'émotions, souvenirs et secrets de famille. Cela m'évoque aussi mon grand-père, qui m'a élevé avec grand-mère. J'ai appris le jour de son enterrement, après que le curé ait refusé les saints sacrements, qu'il était marié avant la guerre de 14, donc divorcé... Cinq ans sous les drapeaux, la guerre, les tranchées... Il refusait les honneurs, les défilés, les rassemblements d'anciens combattants... Il était doux et tranquille, ne parlait jamais de sa guerre... peu de sa Belgique, alors même qu'il n'a jamais voulu être naturalisé Français...

    L'amour n'est jamais uniforme.

    2966009888?profile=RESIZE_1024x1024Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, ils furent brisés.

    Amitiés,

    Michel

  • Jean-Daniel avec toute ma distraction.

    Amitiés

    josette

  • Difficile de se départir de ce patriotisme qui est néanmoins un ciment entre les personnes d’un même peuple.  Inventé ou pas, il existe et trop de gens sont morts pour lui.  Pour tuer, massacrer les gens, tous les mots sont  d’actualité, nationalisme, idéologie, croyance, dictature, tyrannie…Le choix du mot est facile.

    Amicalement Jean-François

    Josette

     

  • Bonne journée Marie-Jo.  J'ai été également bercée par les récits de ces guerres qui ont faits tant de mal. Et j'en garde aussi une peur depuis toujours. Rien n'a été facile.

    Amitiés

    Josette

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