"Sido" est un recueil de souvenirs de Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette (1873-1954), publié à Paris chez Ferenczi et fils en 1930. Une première version, plus courte, avait été publiée chez Kra en 1929, sous le titre Sido ou les Points cardinaux.
Dans le prolongement de la Maison de Claudine et de la Naissance du jour, Sido est consacré à l'évocation de l'enfance de Colette. L'ouvrage, placé par son titre sous les auspices maternels, rend hommage à Sidonie, la mère de l'auteur. Dans le cadre tutélaire de la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye, Colette met en scène la vie de sa famille, pittoresque et attachante.
Première partie. «Sido». Colette dresse le portrait de sa mère, femme intelligente et sensible, dont la largeur d'esprit fait fi des préjugés. Amie des plantes et des bêtes, Sido perçoit les rythmes secrets de la nature et en transmet le respect à sa fille.
Deuxième partie. «Le Capitaine». Portrait du père de Colette, dont les exploits militaires se sont soldés par la perte d'une jambe. Profondément épris de sa femme, et timide à l'égard de ses enfants, il reste un personnage un peu lointain, mais tendrement chéri, que sa fille regrette de ne pas avoir connu davantage.
Troisième partie. «Les Sauvages». Ce titre désigne les enfants de Sido et du Capitaine: la demi-soeur aînée, Juliette, accablée par le poids d'une monstrueuse chevelure et inaccessible car abîmée dans l'univers imaginaire de ses incessantes lectures; l'«aîné sans rivaux», Achille, beau, gai, inventif et que son métier de médecin épuisera; Léo, le second frère, «vieux sylphe» rêveur, inadapté, qui restera éternellement prisonnier de l'univers de son enfance; «Minet-Chéri» enfin, c'est-à-dire Colette elle-même, évoluant en plein bonheur dans le sillage de tous ces êtres hors du commun dont l'originalité, la subtilité et la tendresse ont durablement marqué son existence.
Oeuvre nostalgique et joyeuse en même temps, Sido fait revivre le paradis perdu de l'enfance. Remparts dressés contre le temps et la mort, le souvenir et l'écriture restituent un univers que son irrémédiable abolition a rendu idéal et intelligible: «Il faut du temps à l'absent pour prendre sa vraie forme en nous. Il meurt _ il mûrit, il se fixe. "C'est donc toi? Enfin... Je ne t'avais pas compris." Il n'est jamais trop tard, puisque j'ai pénétré ce que ma jeunesse me cachait autrefois.» L'entreprise littéraire, qui participe d'un «prurit de posséder les secrets d'un être à jamais dissous», répond à une volonté de reconstruction, de déchiffrement et de conquête de l'identité des autres et de soi-même: «J'épelle, en moi, ce qui est l'apport de mon père, ce qui est la part maternelle.» Ainsi, l'évocation des figures parentales permet à Colette de mieux saisir la singulière alchimie de sa propre personnalité: «Lyrisme paternel, humour, spontanéité maternels, mêlés, superposés, je suis assez sage à présent, assez fière pour les départager en moi, toute heureuse d'un délitage où je n'ai à rougir de personne ni de rien.»
Cet univers enchanté de l'enfance n'est pourtant pas sans comporter quelques failles inquiétantes que l'humour et la grâce du trait ne masquent pas tout à fait. La vie du cercle familial s'apparente à un conte merveilleux, mais la réalité reprend parfois ses droits pour manifester la part d'inadaptation au monde, voire de frustration, qui habite tous ces êtres. Ainsi, l'envers de la belle passion de Jules-Joseph Colette pour son épouse, c'est le renoncement à un rêve de gloire jamais accompli («Pour "Elle", il avait d'abord aimé briller, jusqu'au jour où, l'amour grandissant, mon père quitta jusqu'à l'envie d'éblouir "Sido"») dont il réserve le secret à ses anciens compagnons d'armes. Quelque chose de poignant se cache derrière la belle voix du Capitaine qui chante volontiers ou entonne son «fredon défensif»: «Sauf cette mélodie qui s'élevait de lui, l'ai-je vu gai? Il allait, précédé, protégé par son chant.» Quant aux enfants, ils ont, chacun à leur manière, d'évidentes difficultés à s'adapter à la vie: la soeur aînée vit totalement dans le monde imaginaire de ses lectures et fera un mariage malheureux; le passe-temps favori du petit Léo est de parsemer le jardin d'épitaphes pour le transformer en cimetière et, devenu adulte, il a pour métier une «modeste besogne de scribe»: «Tout le reste de lui, libre, [...] revole à la rencontre du petit garçon de six ans [...]. Il parcourt un domaine mental où tout est à la guise et à la mesure d'un enfant qui dure victorieusement depuis soixante années.» Mais cette victoire n'est pas sans revers: «Il n'est pas _ quel dommage!... _ d'enfant invulnérable. Celui-ci, pour vouloir confronter son rêve exact à une réalité infidèle, m'en revient déchiré, parfois.» Seule Colette semble avoir réussi à sortir sans trop d'encombres de l'éden enfantin pour parvenir à vivre. Grâce à la littérature, elle a su conserver et dépasser la merveille originelle de l'enfance.
Tout cela, l'écrivain le suggère mais ne l'explique pas, car Sido n'est pas un essai. A la fois sobre et lyrique, dépouillé et pittoresque, mélancolique et humoristique, pudique et libre, nostalgique et tendre, ce recueil de souvenirs mêle descriptions, portraits, dialogues, analyses et anecdotes avec une magistrale maîtrise. Tout l'art de Colette se révèle dans cette oeuvre concise et émouvante.
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