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Richard Guino : Le nom effacé

Il s’appelait Ricard Guino, et des images de femmes bondissaient de ses mains, pétries ou arrachées à la matière. Des femmes belles et pulsantes de vie, de sensualité, d’érotisme aussi. Des femmes sur les courbes desquelles se lovait le soleil. Des femmes pour le regard et le toucher de l’homme, pour le confort de leurs enfants, pour leur propre triomphe. Il était un tel magicien que le grand Maillol, alors déjà un maître de la sculpture qui n’avait plus à faire ses preuves, l’a voulu pour assistant.

 

Et c’est ainsi que Ricard a quitté sa Catalogne natale, son quartier, le goût fabuleux de son quotidien sous le soleil pour Montparnasse. Il a posé sa valise et son coeur, et amené ses espoirs rue Daguerre, cette rue Daguerre qui encore aujourd’hui a gardé des relents de peuple, avec l’odeur du bon café, les gens qui se hèlent, rient, ou s’engueulent, les moineaux intrépides pépiant sur le trottoir malmené, les artistes des ateliers avec leurs routines et leur itinéraire immuable. Il devint Richard Guino. Et il se mit au travail avec la passion fourmillant au bout des doigts, une chanson de chez lui bien au chaud dans les souvenirs, et un avenir où se bousculaient les promesses. Sculptures et croquis magnifiques sortaient de son atelier comme un cantique céleste, splendides et puissants.

 

Ailleurs, bien ailleurs, il y avait un génie de la toile vieillissant, ses mains s’éteignant sous l’emprise de l’arthrite rhumatoïde. Recroquevillées comme des serres, enveloppées de bandages pour qu’elles ne lui lacèrent pas les paumes, objet de chagrin et d’impuissance. Car Auguste Renoir avait encore des choses à dire, mais ses mains le faisaient taire. Il avait réalisé autrefois une sculpture, un médaillon représentant son fils Coco (Claude) à six ans. Pourquoi ne pas sculpter, maintenant, avait-il songé. Et il chercha des mains, comme un aveugle cherche un guide. Maillol et lui avaient le même marchand d’Art, Ambroise Vollard, et c’est par lui que le miracle Renoir et Guino eut lieu.


J’ai trouvé vos mains, annonça-t-il à Renoir. Je ferai votre fortune, promit-il au jeune Guino.

 

Une communion étrange fondit les deux hommes en une seule vibration de l’esprit, un même sens des formes, de la femme, du passage de la vie dans la matière. Ils se comprenaient d’un mot, d’un regard, et Guino ne fut pas que les mains, il fut la force, l’inspiration, la passion créative de Renoir. Il plongea entièrement dans l’âme du vieillard passionné. De 1913 à 1918 ils firent ensemble 37 sculptures dans la propriété de Renoir, Les Collettes à Cagnes-sur-mer. Dans le bel atelier vitré du fond du jardin habité par des oliviers centenaires, au chant des cigales ou dans le silence de la saison froide, le jeune Catalan habité par la vision artistique de ce vieil homme que très vite il ressentit comme un ami, faisait, seul, les croquis et les sculptures. Au premier étage de la grande maison le peintre qui désormais marchait à peine continuait de peindre comme il le pouvait, les pinceaux attachés aux mains, et regardait par la fenêtre ses vieux arbres tordus et forts, et la belle ferme ancienne de la propriété. Rassuré. Là en bas, ce jeune homme dont les doigts parlaient d’amour et de vie ne trahirait pas son idée. Lorsqu’une sculpture était terminée, il le savait : il y découperait un morceau d’argile pour le lui apporter, et lui y  inscrirait alors son nom. Que Richard retournerait insérer sur la sculpture. Leur osmose était totale, miraculeuse, au point que Renoir pleura en voyant « Maternité », représentant sa femme Aline morte depuis peu.

 

Vollard pourtant, loin de lui apporter la fortune, veilla à la sienne : sachant que Renoir se vendrait mieux si on pensait que Guino n’était qu’un assistant parmi d’autres, c’est la rumeur qu’il laissa errer. Il ne parla même pas de ce mystérieux épisode dans sa biographie.

 

Renoir mourut en 1919 et Guino, très amer, chercha la reconnaissance avec son nom seul. Ivoires, céramiques, majoliques, verres, bronzes, terres cuites, dessins et peintures disent encore aujourd’hui quel artiste exceptionnel il fut. Et les sculptures qu’il a faites pour Renoir se trouvent dans les plus grands musées : Le Tate, l’institut Courtauld, le musée d’Orsay, le Louvre. Ces mêmes sculptures qui, dans les années ’60, permettaient aux enfants et petits-enfants d’Auguste Renoir de contrôler de nouvelles éditions de bronze et d’en recevoir les profits des ventes. Poussé par son fils Michel – sculpteur de renommée lui aussi -, il attaqua en 1969 la famille Renoir pour être reconnu comme co-auteur. Rien d’agressif, juste une mise au point. Il était personnellement ami avec l’acteur Pierre Renoir et son frère Jean, le cinéaste, qui lui dit alors : « Faites comme vous voulez, je le sais que vous avez travaillé avec mon père, et je vous souhaite bonne chance ». Il voulait simplement que son nom et son travail soient reconnus, le travail de ses vingt ans, quatre ans de sa vie passés à donner le soleil de ses mains aux formes que le vieil artiste voulait encore donner à l’Art.

 

En 1971 sa qualité de co-auteur fut reconnue  après une longue enquête : témoignages, lecture de lettres, analyses de documents etc… et ce n’est que 9 mois après sa mort, en 1973, qu’elle a été définitivement établie par la cour de Cassation.

 

C’est peu après que j’ai eu le bonheur de rencontrer Michel et sa famille dans l’atelier de Richard, et d’être enveloppée de toute la simplicité et la générosité qui survivait là. Des artistes par amour, et pas par glamour. Des artistes parce que c’est ce qu’ils font : de l’Art, de la vie, et ses drames et joies. Merci cher Michel pour avoir dit au monde que ce beau garçon de Catalogne a donné à Monsieur Renoir ses dernières mains, et toute sa confiance, pour lui permettre de sortir cette ode ultime à la femme.

 

Oui vraiment, merci Michel Guino. C'est un honneur de te connaître et d'avoir mangé à votre table !


Photos ici

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Commentaires

  • Jacques GINEPRO
    Expert Sculptures 19 et 20èmes siècles

    GUINO Richard (1890-1973)
    C’est en Catalogne espagnole, à Gerone, que naît Richard GUINO, dans une modeste famille dont le père est artisan menuisier. Il étudie la sculpture à l’Ecole des Beaux—Arts de sa jolie cité. En 1906, il présente ses premières sculptures qui obtiennent un vif succès. En 1910, il expose à Barcelone. Au cours de cette manifestation, MAILLOL, également catalan, découvre GUINO ; le grand maître l’invite à venir travailler en France, dans ses ateliers de Paris et de Marly—le—Roi. De 1910 à 1913, Richard est son praticien et son élève.

    En 1913, MAILLOL présente son jeune protégé au grand marchand VOLLARD, qui s occupe de RENOIR. Il veut que le célèbre peintre fasse de la sculpture, or le génial "impressionniste" est déjà impotent. Auguste, dont la gloire est venue avec la vieillesse et l’infirmité, peint sans relâche ; à ses doigts tordus et paralysés par des rhumatismes déformants, on a attaché des pinceaux qu’il utilise avec le talent que seul le génie peut insuffler. L’illustre vieillard aurait aimé sculpter, mais cette discipline qui exige non seulement l’habileté manuelle mais la force physique, lui est désormais interdite. A moins.., qu’on lui trouve “les mains” qui sculpteraient les figures issues de son imagination. VOLLARD a trouvé ces “mains” ! Sur le conseil de MAILLOL, il présente GUINO à Auguste. C’est en 1913, à Essoyes, dans l’Aube, où RENOIR a sa maison de campagne et son atelier, que débute la fructueuse collaboration de ces deux artistes exceptionnels. Au cours de séjours à Essoyes ou à Cagnes, dans la maison des Collettes, GUINO sculpte de véritables chefs-d’œuvre La petite Vénus debout, Le Jugement de Paris, La Vénus victorieuse, La Grande Laveuse, Le Forgeron, La Maternité.

    L’entente entre les deux hommes est parfaite. Une véritable symbiose naît. Le peintre dessine de charmantes figures qui prennent vie dans l’argile, sous les doigts virtuoses du sculpteur. Tout en devenant un RENOIR, l’œuvre reste également de GUINO. Le jeune artiste se confond avec l' esprit même du Maître. Parallèlement Richard trouve le temps d’exécuter des oeuvres strictement personnelles qu’il expose à la Galerie HEBRARD, en 1919, 1922 et 1923. Le 2 février 1973, Richard GUINO s’éteint après une longue et douloureuse maladie. Ses héritiers continuent l’édition de ses œuvres originales numérotées.

    En 1971, la 3ème Chambre Civile du Tribunal de Paris reconnaît Richard GUINO co-auteur de l’essentiel de l’oeuvre sculpté de RENOIR, jugement confirmé en Appel et en Cassation.

  • Je viens de revoir l'amie qui est la petite fille de ce magnifique sculpteur et cela m'a redonné envie de revoir la beauté des sculptures de l'artiste enfin bien reconnu depuis et dont le nom s'affiche de concert avec celui d'Auguste Renoir.

    Contente de trouver cette large illustration des belles sculptures de Richard Guino, lui qui fut "les mains d'Auguste Renoir à la fin de sa vie et lui créa toute cette beauté. 

    Car si elles furent des commandes et idées du grand maître, néanmoins elles sont les créations authentiques  réalisées par les mains et dans le style propre de l'artiste, Richard Guino.

    Son fils Michel Guino, également sculpteur passa une grande partie de sa vie à lutter pour obtenir la réhabilitation du nom effacé de son père. Et mon amie Isabelle Guino a grandi dans cette ambiance là dans l'atelier du grand père. Tous les enfants, petits enfants et arrières petits enfants sont bourrés de talent.


    richard guino sculpteur voir images

  • Coucou Edmée, je t'ai déjà commenté sur FB, ainsi que tu le sais, mais je te redis ici mon appréciation. 

  • C'est bien vrai ça ! Je la connais un peu et l'apprécie beaucoup !
    Le monde est petit. Elle a connu le père de mon amie Isabelle Guinot, la petite fille du peinte, vue récemment.à Paris, femme de mon vieil amie Jacques Dallé. Mais cette réhabilitation a beaucoup chamboulé la famille.

  • Ah oui, qu'est-ce qu'elle écrit bien Suzanne Dejaert !!!

    Un talent fou !

  • Les mains d'Auguste Renoir  !

  • C'est vrai Edmée, il est si beau avec ses photos

    qu'il mérite une autre mise en valeur à part entière  avec un titre Journal d'Auxerre etc,

    il me semble car on peut passer à côté de la vision de ses oeuvres.

    Merci pour tout ce travail.

    Michel Guinot sera content.

  • L'autre article se trouve à la fin, avec photos "ici"... Peut-être pas assez visible :-(

  • Voilà, je suis contente pour cette mise en valeur et reconnaissance.

    Depuis que mon amie Isabelle Guinot, sa petite fille me vantait ses travaux et la lutte de son père Michel, que tu connais pour complètement le réhabiliter à sa juste place ce  qui avait déjà commencé.

    J'ai admiré il y a trois ans ... ou plus ? - ses travaux au Musée de Montreux dans une exposition dans les jardins nommée du double nom : Renoir-Guinot.

    J'aime aussi ton autre article, pour plus tard ?

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