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Quand Beckett se révolte contre l’innommable

Le roman « L’innommable » de Samuel Beckett a été écrit directement en français et publié en 1953. On a l'impression d'une insomnie, d'une éternelle insomnie. Des heures étales, qu'on n'entend même pas sonner, même pas ça, même pas tous les ans, juste un minuscule tintement de très très loin en très très loin, juste pour marquer le temps, est-ce donc tellement demander, être si gourmand, ce petit soulagement qui peut-être ne soulagerait pas? Mais ce serait à double tranchant, tout est à double tranchant, une face dément l'autre, on a beau considérer, scruter avec une pointilleuse et maniaque attention de myope ou d'obsédé (bien qu'on doute à vrai dire qu'une irréprochable attention soit possible), n'est-ce pas trop demander, trop fatiguant, au-delà des forces humaines, au-delà des forces de l'homme, qui sont inhumaines quand il s'agit de souffrir? Et même en admettant, puisqu'il faut se contenter d'hypothèses, une tapisserie de Pénélope d' hypothèses, on aurait beau considérer tantôt la bonne face et tantôt la mauvaise, en postulant qu'on puisse se permettre de qualifier la première bonne et la seconde de mauvaise, les considérer successivement, successivement et non simultanément, c'est là que le mal se niche: au lieu de comparer, soupeser et peser avec l' objectivité placide, sûre de soi d'un pharmacien, on n'a la latitude que de se contredire... Des heures étales, et aussi implacablement étale l'obscurité, qu'on la voie noire ou qu'on la voie grise ou qu'on y croie discerner de vagues lumières, c'est tout un. La paix serait le silence, ne plus avoir à parler, à parler, parler intarrissablement sans même sentir les mots couler de sa bouche, ne plus entendre cette voix, l'entendre sans même prêter l'oreille, sans même pouvoir inférer, de l'évidence de leur fonctionnement, que bouche et oreille il y a. Le silence, enfin éteinte la conscience, ce supplice à la chinoise, cette voix qui ne désempare ni ne désarme, bien qu'elle n'ait rien à dire, bien qu'elle ne sache rien. Maudite soit-elle, l'innommée. Maudite en deux cent cinquante pages tissées d'une seule toile, hachées au rythme d'une respiration brève, saccadée, haletante, deux cent cinquante pages qui retentissent comme un cri de révolte, le cri torturé et torturant de la plus intransigeante, la plus radicale des révoltes.

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