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La Femme Popote.


1. La confiture.

Les bulles bouillonnent en provoquant le tumulte sur toute la surface de la large marmite de cuivre. Frémissements, gémissements, jaillissements. La rage gronde au sein du liquide en fusion où l’éparpillement des morceaux de fruits le dispute à la dissolution des carrés de sucre. Tout se mélange avec colère, avec obstination, dans un grand désordre apparent. Et les bulles « bluppent » par-dessus la bataille qui se déroule dans les profondeurs infernales du chaudron. La fumée dégagée par le conflit souterrain monte droit, incolore encore, mais déjà parfumée par les derniers instants vécus par les premières victimes. La lutte s’amplifie, attisée par les flammes qui la cernent. Une écume rosâtre naît sur la surface agitée, fruit des fruits sacrifiés par l’holocauste.
Placide, je touille.


2. La chemise.

La vapeur éructée s’attaque agressivement aux poignets innocents de la chemise. Sous le choc de la chaleur et du liquide pulvérisé, les pauvres se froncent, se recroquevillent, mais ne peuvent échapper à la semelle bouillante du fer qui les discipline définitivement, sans recours.
Le col, maintenant, subit l’assaut implacable de l’acier. A plusieurs reprises, car il peut se montrer assez rétif et désobéissant. Il faut y passer et repasser pour réussir à le mater.
Le fer s’attaquera ensuite aux manches, puis aux épaules, puis au dos, puis aux deux devants, sans relâche, ni pitié, ni miséricorde : le moindre faux pli doit être éradiqué.
Et j’écoute le troisième acte de « Lucia de Lamermoor » avec ravissement.



3. L’ombre.

La fenêtre brille de mille feux sous les rayons lumineux qui peuvent maintenant la traverser sans retenue. L’eau, le détergent et le savoir faire ont parfaitement rempli leur rôle. La vitre luit au soleil du matin.
La vitre scintille du bonheur de se voir aussi belle et propre lorsque, soudain, elle fronce le nez. Quoi ? Qu’est-ce ? Dans le coin supérieur droit, une ombre s’est formée. Signe d’un lavage négligent ? D’un passage désinvolte de la raclette ? D’un oubli coupable de la peau de chamois ? L’ombre est discrète, peu apparente, presque invisible, mais sa présence à peine devinée suffit à gâcher toute la joie de la fenêtre. Le soleil file vite se réfugier derrière un gros nuage qui passait opportunément.
Moi, je suis plongée dans ma rêverie en retirant mes gants de plastique rose.


4. La chaussette.

Elle ne fut pas appariée à la sortie du séchoir. Elle fut mise soigneusement à l’écart, dans un endroit qu’elle n’avait pas l’habitude de fréquenter. Puis elle fut saisie sans ménagements, retournée et installée le talon vers le haut. La position lui parut indécente, mais elle n’eut pas le temps de s’en préoccuper car, sans prévenir, un œuf fut introduit brutalement par son ouverture. Un œuf de bois. Rouge. Obscène.
Elle put à peine faire « ouf !» qu’elle ressentit la première piqûre qui lui transperçait le corps. Suivie d’une deuxième, puis de tellement d’autres qu’elle dut en arrêter le compte. Chacune des pénétrations de l’aiguille était suivie du long défilement crissant d’un fil de laine interminable qui la faisait frissonner, de honte, de dégoût, de rejet. Elle était maintenue solidement, et toutes ses tentatives pour échapper au supplice furent vaines malgré ses tortillements et les secousses de son corps torturé. Elle dut endurer le martyre jusqu’au bout sans qu’aucune possibilité d’y échapper ne lui fût laissée.
J’étais plongée dans l’intégrale de Brel et je « Rosa, rosa, rosam-ais » devant ma porte ouverte sur l’été finissant.


5. Le plumeau.

Les grains de poussière dansent et virevoltent, crûment éclairés par les rayons du soleil qui traverse la porte vitrée. Petits rats occasionnels, ils multiplient les mouvements d’ensemble du ballet, avec un ensemble parfait qui les sépare puis les regroupe au gré de la chorégraphie. Sans que la musique change, apparaît le danseur étoile, sensé accorder ses pas aux leurs et participer à leur danse en mettant leur grâce en valeur.
Que nenni ! Le livret ne le prévoit pas ainsi ! Le plumeau entré en lice avec une certaine brutalité, a pour but de pourchasser les jeunes filles jusqu’aux moindres recoins de la scène et de les faire disparaître l’une après l’autre, jusqu’à l’extinction finale de leur danse maintenant affolée. Elles ont beau multiplier les entrechats, les sauts, les esquives, rien n’y fait. Le plumeau joue le rôle de l’ogre dans cette fable impitoyable et n’arrêtera son ballet qu’une fois tous les grains disparus. Puis il viendra saluer le public, seul sur le devant de la scène, pour bien montrer qui est la vedette du spectacle.
Le portable collé à l’oreille, j’échange les dernières nouvelles du jour avec ma meilleure amie.





6. L’oignon.

L’oignon pleure de honte et de rage sous la pointe du couteau qui le dénude peu à peu des derniers lambeaux masquant sa pudeur. Mis à nu, il ne peut que subir ce lent dévoilement de ses parties intimes, blanches, pures, vierges. Puis il rejoint ses congénères déjà exposés sur une planche de plastique, prêts pour l’ultime outrage. L’un d’eux, dans un vain souci d’y échapper, roule sur lui-même et se réfugie au fond de la cuvette de l’évier. Peine perdue ! Il est repris et replacé sur la planchette.
Le fil aiguisé du couteau luit sous le néon de la cuisine alors qu’il s’approche pour le sacrifice. Il siffle en découpant en larges tranches l’oignon qui laisse échapper de nouvelles larmes. Pas de pitié ! Le couteau tranche dans le vif sans états d’âme. Les rondelles suppliciées s’entassent, mêlées les unes aux autres. Puis s’en vont rejoindre des moignons de céleri au fond d’une haute marmite où, bientôt, le long cri silencieux des moules à l’agonie fera frémir le couvercle impuissant.
Je pleure de rire en écoutant pour la centième fois « J’suis pas un imbécile puisque j’suis douanier ».


7. Le clavier.

« Je suis sale, puant, maculé de partout. S’il n’y avait qu’un peu de poussière pour m’enlaidir, je serais ravi. Mais des taches d’origines diverses me défigurent hideusement. C’est la faute à tout ce que mon utilisatrice utilise en même temps qu’elle me tape dessus. C’est facile, pour elle, elle ne tape qu’à un doigt, le majeur de la main droite. Alors, les neuf autres sont disponibles pour le reste. Mon U garde les traces de ketchup d’un sandwich au poulet. Mon S est tout collé du soda qui a débordé d’une canette trop agitée. La queue de mon Q est irrémédiablement polluée par une goutte de vernis à ongles rouge vif. Ma touche « majuscule » est brûlée par une cendre de cigarette mal éteinte. Je n’ai plus aucun genre, je ne suis plus présentable, j’ai honte de me voir aussi moche. C’est pour quand, le grand nettoyage de printemps ? »
En tirant la langue, je commence à écrire la grande lettre qui va décider ou non de la réconciliation. « mon cher jac ue , … ».
8. Les cinq assiettes.

C’est reparti ! Les assiettes commencent à s’empiler les unes sur les autres au sortir de l’évier où elles se prélassaient dans une chaude savonnée. Cette manie de toujours faire des pyramides avec la vaisselle, comme s’il n’aurait pas été plus simple de l’essuyer au fur et à mesure. Mais non. Les assiettes sont déposées sur un plat à gratin qui surmonte lui-même un grand saladier qui recouvre les couverts mêlés à divers raviers.
Aie ! Ce n’est vraiment pas une bonne idée de mettre par-dessus le couvercle de la grosse marmite en fonte ! Les assiettes frémissent d’angoisse, elles le sentent mal, ce coup-là. On ne le leur avait jamais fait. Le couvercle pèse, incommode la dernière de la pile qui cherche à s’en décharger en glissant légèrement de travers, qui déséquilibre celle qui la précède, qui cherche à se rattraper où elle peut, mais qui, compromettant définitivement l’entassement, fait s’écrouler l’ensemble de la vaisselle. Les plats sont sauvés par un réflexe inouï mais les cinq assiettes s’écrasent au sol dans un ultime hurlement de panique. Avec le couvercle…
D’un autre côté, ce n’est pas une mauvaise chose ! Dès demain, je pourrai aller m’acheter ces merveilleuses assiettes rectangulaires, en verre légèrement bleuté, que j’avais trouvé tellement belles la semaine dernière.


9. Le lien.

Le lien fixé sous le sac poubelle gémit sous les manipulations de plus en plus fébriles qui le triturent. Il se tord, se plie en quatre, se dénoue, se serre, enserre, glisse, collette, ripe, ondule, se tend, se détend, gémit, roule, lace, délace, rien à faire ! Le sac poubelle résiste et ne se laisse pas prendre à toutes ses ruses.
Pourtant, son contenu a été bien tassé, écrasé, pilé. Son volume reste trop important pour accepter de subir un emprisonnement par le lien. Celui-ci va connaître la plus grande humiliation de toute sa carrière : être arraché et jeté parmi les détritus. Comme si c’était sa faute !
Puisque ça ne marche pas avec ce bête lien de plastique, je vais fermer le sac avec le large rouleau adhésif que j’ai utilisé pour sceller mes caisses lors du déménagement. Tant pis si c’est moins facile à transporter, mon mari n’aura qu’à se débrouiller…


10. Les moutons.

Le peuple des moutons est un peuple sage. Il croît et se multiplie avec lenteur, en prenant son temps, en laissant le temps au temps. Le peuple des moutons n’est pas nomade. Là où il naît, il vit, bien au chaud, en sécurité, sans esprit vain d’aventures hasardeuses. Le peuple des moutons forme une tribu où la vie est calme, harmonieuse, sereine.
Une fois par an, se prépare l’Aïd El Kebir. Alors, le peuple des moutons est rassemblé à grands coups de balai, énergiquement, mais sans brutalité excessive. Quand tous les individus sont réunis, apparaît le long tunnel scintillant chargé de les transporter vers le lieu du sacrifice. En grande pompe, avec musique ronronnante et souffle divin qui les aspire vers leur destin. Tous ensemble, sans exception. Et tout est bien, ainsi que le prévoit la fatalité prévue par les prophètes.
Ouf ! Je range l’aspirateur dans le placard avec un grand soupir de soulagement. Encore une chambre dont j’ai terminé le grand nettoyage. Mon dos est douloureux mais je suis satisfaite du résultat : plus rien ne traîne sous le lit.


11. La serpillière.

Les coins se sont mis en grève et leur mouvement de résistance prend de l’ampleur au fil des jours. Non mais ! Pourquoi faudrait-il toujours qu’on s’en prenne à eux, systématiquement, sans répit ? Les coins en ont tout simplement assez de se faire pourchasser par la serpillière.
Au début de leur contestation, ils semblent obtenir des résultats et leur ennemie jurée, maniée par une main masculine, les laisse désormais en paix. La serpillière lave à grande eau le centre de la pièce, mais ne vient plus les harceler de manière agressive. Alors, les coins en profitent, se vautrent dans les noirceurs qui les envahissent et en oublient peu à peu les affres du frottage et du récurage réguliers.
Après trois semaines de tranquillité béate, il leur faudra bien déchanter. La maniaque est de retour et la serpillière, reprise en main avec fermeté, les traque de plus belle.
Si c’est pas malheureux ! Trois semaines de maladie, et il fait tout de suite dégoûtant, ici ! Je ne peux compter que sur moi-même pour que le ménage soit propre et net !


12. La pelote.

La pelote jaune paille de laine layette, à tricoter avec des aiguilles 2½, est une petite chose fragile, délicate, à manier avec douceur et respect. Elle ne supporte pas les gestes brusques ou incompétents. Elle a en horreur les maladresses et les brutalités.
Dès les débuts de sa carrière de fil à tricoter, elle a été fortement traumatisée par l’intrusion dans les profondeurs de son intimité, d’un doigt nu qui la fouaillait sans pudeur pour trouver le bout d’entame du travail. Personne ne l’avait avertie d’une telle infamie à subir après son long sommeil dans un rayon bien protégé de sa mercerie natale. Et ce n’était que le début d’un véritable calvaire.
Son fil, au lieu de se dérouler lentement, avec componction, est tiré par brusques à-coups, lorsque l’avancement de l’ouvrage le nécessite. Sans prévenir, sans précaution. Alors, face à une telle ignominie, son sang ne fait qu’un tour et son fil aussi. Il se noue, s’emmêle et se tord en un nœud inextricable.
Ce n’est pas vrai ! Vite, mes ciseaux ! Voilà de nouveau cette s… de laine qui me joue des tours ! Maintenant, je ne chipote plus à essayer de la démêler. Cela me prendrait plus de temps que le tricot en lui-même ! J’en ai assez, je coupe !



13. L’araignée.

Petite, presque incolore et transparente, l’araignée tisse avec application, suivant les trames millénaires inscrites dans ses gènes. Elle s’est trouvé un coin bien tranquille, haut sous le plafond, pour ne pas être dérangée dans sa tâche. Et elle y déroule le fil de son piège mortel. Un coup à gauche, un coup à droite. Un coup en haut, un coup en bas. L’ouvrage prend forme et volume. Et commence à prendre vies : déjà deux mouchettes insouciantes se sont laissé engluer dans les fils à peine tissés.
Satisfaite de voir son garde-manger se garnir, l’araignée n’en continue pas moins son labeur avec acharnement. C’est qu’il s’agit de renforcer l’ouvrage, si elle veut y piéger de plus gros insectes, bien gras, tendres et savoureux. Elle en salive d’avance et se hâte de terminer sa toile.
Hélas ! Comme bien souvent, l’araignée propose et les dieux disposent. Une des Parques qui passait par là avisa la malheureuse et décida de trancher net le fil de son existence. Clac !
En repliant la tête de loup télescopique, je chantonne. Encore une p… de s…. de toile d’araignée débusquée ! C’est tous les jours qu’il faut être vigilante en cette saison !


14. Le frigo.

Le frigo est mal à l’aise. Il se sent sale. Pourtant, il luit et resplendit de toute sa blancheur soigneusement entretenue. Mais lui, il sait qu’il n’est pas propre partout.
Le frigo est dos au mur, ce qui est logique et bien pratique pour voir tout ce qui se passe dans la cuisine. Mais offre le gros inconvénient de cacher ses arrières. Qui échappent alors aux entretiens courants.
Pourtant, qu’il aime ça, quand on le gratouille, le chatouille, le papouille dans le dos ! Quand le crissement de l’éponge à récurer le parcourt du haut de l’échine jusqu’en bas, il frémit d’aise. Et quand l’eau tiède savonneuse le rince de toutes ses impuretés, il ne se sent plus de bonheur. Cette douce chaleur le venge de tout le froid sciemment entretenu dans son intérieur.
Aujourd’hui est le grand jour, il l’a compris. Il a été tiré vers le milieu de la pièce, a vu arriver le seau et la brosse, a senti les prémices du grand bain de dos avec excitation et impatience.
« Mais, non ! Ce n’est pas vrai ! Il faut me débrancher avant de mettre de l’eau ! Ouhou ! Au secours ! Enlevez la prise électrique ! »
Merde, merde, merde ! Voilà le troisième frigo que je bousille en dix ans ! Et j’ai failli me faire court juter par les étincelles ! Ca aurait peut-être mieux valu, car qu’est-ce que je vais entendre ce soir quand ma douce moitié va rentrer…


15. Le tuyau.

Le tuyau d’arrosage est un grand paresseux. C’est pour cela qu’il adore l’hiver, saison où il a très peu de chance d’être dérangé. Il se love et s’enroule dans l’oisiveté et finit par s’endormir béatement, d’un sommeil sans rêves ni cauchemars. Jusqu’au printemps suivant où il lui faudra bien malgré lui reprendre du service.
Cette année, l’hiver a été long, rude et froid. Des gelées persistantes ont retardé la reprise des activités au jardin. Et le tuyau d’arrosage a bénéficié de plusieurs semaines de repos supplémentaires. Aussi, est-il bien engourdi lorsqu’il est sorti pour la première fois de sa torpeur. Sans qu’on lui laisse le temps de récupérer un peu de lucidité, il est de suite mis au travail. Sans soucis de ses raideurs. Sans se préoccuper des rhumatismes qui le taraudent vu son grand âge. Sans ménagements.
Alors, il craque, au propre comme au figuré. Il demandait juste un peu d’égards, lui, un peu de douceur. Il n’ose même pas prononcer le mot tendresse, il ne sait pas ce que c’est. Il craque. Et un gros jet d’eau fuse impromptu de la déchirure de sa peau malmenée.
Me voilà trempée, maintenant ! La faute à ce laid vieux tuyau tout décoloré ! Bon, je vais me changer pour aller en acheter un nouveau. Mes semis de petits pois ont tellement besoin d’eau…




16. Le melon.

Le melon souffre sous la chaleur du mois de juin. Disposé avec harmonie parmi ses congénères, il offre aux chalands du marché dominical sa bonne bouille de fruit sain élevé avec amour. Et il attire l’attention des acheteurs potentiels, à un point tel que chacun veut le prendre en main et éprouver sa capacité à prendre place au repas de midi. C’est pour cela qu’il souffre.
On le soupèse, allant jusqu’à le faire sauter dans la paume. On lui enfonce un doigt inquisiteur dans toutes ses parties. Il a même senti un ongle pointu, peint d’un rouge agressif, lui entailler la peau. Oh, les mauvaises gens, qui ne savent pas reconnaître comme il se doit un beau fruit mûr, digne de figurer à leur menu !
Celle-ci lui semble moins sauvage, plus connaisseuse. Elle le saisit délicatement, le retourne la queue vers le bas et lui sent avec satisfaction le fondement. Avec son nez, pas avec ses doigts. Oui, oui, Madame, c’est comme cela qu’il faut faire ! C’est ainsi qu’on reconnaît un melon de qualité, qu’on juge de sa maturité et de son état de fraîcheur. Il est tout heureux de se retrouver dans le cabas d’une cliente d’aussi belle tenue morale.
« Bon, du Porto, il m’en reste. Du jambon du pays aussi. Je la tiens, mon entrée ! »


17. La roulette.

La roulette avant droite du caddie est une rebelle. Une contestataire. Une anarchiste. Un suppôt de Satan, disent les clientes du supermarché. Elle ne peut supporter de suivre aveuglément les mouvements bien coordonnés de ses trois compagnes de galère. Les arrêts, les brusques départs, les attentes, les accélérations, les chocs contre les rayons, le poids des victuailles qui viennent lester le caddie au fil des achats lui sont insupportables.
Alors, elle grince des dents, essaye de se défiler en faisant quelques mouvements de protestation, se roule vers l’arrière au moment de redémarrer, tourne follement dans les lignes droites. Coince dans les virages souvent mal négociés. Elle se rend ainsi tellement invivable qu’il n’est pas rare de la retrouver abandonnée au milieu d’une allée, la cliente ayant rendu les armes face à une telle mauvaise volonté.
Jusqu’au jour où elle reçut un tel coup de pied qu’elle s’en sentit toute chamboulée. Ses velléités d’indépendance cédèrent devant l’autorité qui émanait de ce pied violent, mais ferme dans sa volonté de mâter les récalcitrants. Retournant à une docilité temporaire, elle se tint coite pendant toute la durée des achats dirigés par le pied.
J’aime beaucoup la musique douce diffusée dans les grandes surfaces. Elle m’aide à faire les courses avec plus de sérénité.


18. La cire.

La cire, dans l’immensité de son orgueil, veut être traitée avec égard et componction. Pieusement, religieusement, sans écart de conduite inopportun. Fruit du long travail de mille ouvrières ailées et zélées, elle attend dévouement, adoration et traitement de faveur lorsqu’elle est utilisée à des travaux ménagers. Elle aimerait entendre une prière fervente avant l’ouverture du couvercle de son tabernacle. Il lui plairait que ce cérémonial s’accompagne de chants, de psaumes, d’incantations rendant grâce à sa grandeur et à son importance. Une petite génuflexion serait même la bienvenue.
Aussi, à chaque fois, elle reçoit un choc lorsqu’elle voit s’approcher de sa surface vierge, un infâme chiffon graisseux, maculé de toutes les saletés récoltées lors des précédents usages. Une honte, un sacrilège, une offense si grave qu’il lui faudra des mois pour se remettre de l’outrage. Il n’y a plus de respect, ma pauvre dame ! Les traditions se perdent ! Où allons-nous ?
Je me lave soigneusement les mains, car je hais l’odeur de la cire qui les imprègne. Elle me donne mal au cœur.


Yvonne - 2010.

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Commentaires

  • Me voilà sur le popotin, ébahie, émerveillée , souriant béatement ...

     

    J'applaudis !!!  Magnifique !!!!

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