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12273031292?profile=original"Pélagie-La-Charrette" est un roman d'Antonine Maillet (Canada/Acadie, née en 1929), publié à Paris chez Grasset et Fasquelle en 1979. Prix Goncourt.

Après Mariaagélas (1973), les Cordes-de-bois (1977) et, surtout, la Sagouine (1971) qui lui avait assuré une large audience, Antonine Maillet propose, avec Pélagie-la-Charrette, ce qui est sans doute son oeuvre maîtresse, en même temps qu'elle met son talent de conteur au service de son peuple pour narrer et transfigurer l'histoire tragique mais obstinée de l'Acadie. C'est en effet une véritable épopée fondatrice - à rapprocher, pour les Antilles, de la tentative de Simone Schwarz-Bart dans Ti Jean l'horizon (1979) - qui, ici, se donne à lire et clame l'identité des plus anciens immigrants d'Amérique du Nord: ces Acadiens qui, pour avoir refusé de prêter un serment d'allégeance au roi d'Angleterre, furent en 1755 déportés dans tout l'Est de ce qui allait devenir les États-Unis d'Amérique et n'eurent de cesse, ensuite, de retrouver la terre de leur lignage.

Après quinze ans d'exil en Géorgie, Pélagie entreprend de ramener les siens au pays acadien, à bord d'une charrette tirée par trois paires de boeufs de halage (chap. 1). Poussés par son exemple, de nombreux «lambeaux d'Acadie» se joignent à elle pour remonter vers le nord en un convoi de misère qu'elle galvanise (2-4). La caravane parvient à Charleston au même moment que le capitaine Broussard, dit Beausoleil, dit aussi Robin des Mers, lequel, à bord de son quatre-mâts la Grand'Goule, brave les Anglais depuis l'époque du «Grand Dérangement» (5). Pélagie et lui se reconnaissent de la même trempe et, avant de reprendre leur route, se donnent rendez-vous à Baltimore (6). Se poursuit le retour d'exode d'un peuple en guenilles qui connaît sans désespérer mille tribulations, avant d'atteindre le port où doit les rejoindre la Grand'Goule (7-10). Mais celle-ci, engagée dans la guerre d'Indépendance américaine, a été retardée et les charrettes se résignent à repartir (10). Jean, le fils de Pélagie, qui avait embarqué avec Beausoleil, est envoyé en émissaire auprès de sa mère, mais il est capturé par des Indiens, tandis que le convoi atteint, en 1776, Philadelphie qui fête la victoire (11). Les Acadiens, eux, célèbrent leurs retrouvailles avec Beausoleil (12). Pourtant, ils ne sont pas au bout de leurs peines. A Boston, ils sont victimes de la rancoeur des habitants à l'égard de ces «papistes» auxquels les oppose une vieille haine (13); enfin, tout près du but, ils perdent le vieux Bélonie, le «conteur de l'Acadie du retour» et sa mémoire sans faille (14-15). Cependant, après un dernier hiver dont la rigueur les bloque aux portes de leur pays, ils parviennent enfin, à l'issue de dix ans de marche, sur la terre promise (16) où reposera Pélagie qui, épuisée d'avoir guidé obstinément son peuple, meurt apaisée (17).

Sans doute s'interdit-on de comprendre les Acadiens - et du coup la démarche d'Antonine Maillet - si l'on oublie qu'ils sont sortis «d'un peuple de conteurs et de chroniqueurs» qui a «produit Gargantua et son noble fils Pantagruel». La narration elle-même, par-delà la traversée du désert de ces nouveaux Hébreux, constitue en effet le centre de gravité de Pélagie-la-Charrette, parce qu'elle témoigne qu'avec une mémoire orale, même «un peuple qui ne sait pas lire» a une Histoire, laquelle, l'affirmant dans son identité singulière, s'est transmise de bouche à oreille depuis Bélonie le Vieux et son lignage jusqu'à son actuelle dépositaire.

De cette oralité originelle, Pélagie-la-Charrette présente tous les signes. La langue, pleine de verve et d'inventions, nourrie des mots de la tribu, de ses sonorités, de ses rythmes et de sa syntaxe, se plaît à épouser les détours d'un récit qui jubile et éprouve sa force en de multiples jeux de miroirs. Les personnages, dont les moindres actions se transforment en gestes, prennent la dimension de héros légendaires et leur psychologie s'efface devant le symbole qu'ils incarnent. Le merveilleux, enfin, relie en une dimension épique le «pays passé» au «pays à venir», comme lorsque la «charrette de la Mort» de Bélonie, aux abords de Salem, se voit mise en déroute par la «charrette de la Vie» de Pélagie.

Que celle-ci soit la «veuve de toute l'Acadie qu'elle avait entrepris de ranimer et de rebâtir» n'est pas indifférent: car, nous dit Antonine Maillet, c'est grâce aux femmes qui se sont dressées «seules face à l'ennemi et à l'adversité» après la mort de leurs pères et maris que l'Acadie n'a pas «péri corps et biens dans le Grand Dérangement». Nouvelle Odyssée, Pélagie-la-Charrette entend, de ce fait, leur rendre un vibrant hommage.

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