La personnalité de Picasso domine la vie artistique de la première moitié du XXe siècle. Aucun peintre, depuis Michel-Ange, n'a à ce point stupéfié, subjugué son époque, n'a à ce point déterminé et souvent devancé son évolution. Principal auteur de la révolution cubiste qui, autour de 1910, change complètement la face de l'art européen, Picasso a pris la tête du mouvement de retour à l'antique et de reflux vers la tradition qui caractérise les années 1920. Son exemple a été essentiel au développement du surréalisme, de la peinture du rêve et de l'inconscient, et il n'est pas une des inventions stylistiques de notre temps qui, jusqu'en 1950, ne se rattache plus ou moins à son influence. Pourtant, et bien qu'il ait constamment interrogé tout l'héritage du passé, surtout au niveau des arts primitifs, Picasso est un artiste solitaire et culturellement autonome. A l'époque de Guernica , pendant la guerre, à travers l'engagement politique qui suit la Libération, il a pu donner l'impression qu'il souhaitait exprimer les angoisses et les espérances de ses contemporains, être l'interprète " humaniste " d'une histoire, mais son oeuvre " fanatiquement autobiographique " (D. Kahnweiler) n'est en fait que le miroir de lui-même. L'alternance entre la violence et la douceur, le charme sentimental et la provocation insurrectionnelle qui la caractérise trouve son origine aussi bien dans les péripéties de la vie du peintre que dans la profonde et mystérieuse ambiguïté de sa nature d'artiste. Par sa fécondité, la richesse de son iconographie, la diversité des techniques qu'elle utilise et parfois invente, cette oeuvre, même si le temps n'en retient pas la totalité, est celle d'un créateur qu'on peut dire universel.
La jeunesse et l'arrivée à Paris
Pablo Ruiz Blasco, dit Pablo Picasso, est né en 1881 à Málaga (Andalousie) ; il a fait son éducation artistique à Barcelone, où les influences anarchistes se mêlent à celles de l'" art nouveau ", de l'esprit décadent, de l'expressionnisme nordique (Edvard Munch), de la peinture française aussi, avec laquelle il entre directement en contact au cours des voyages qu'il fait à Paris entre 1900 et 1903. Ses premières oeuvres, qui représentent des pierreuses, des danseuses de cabaret, des alcooliques, des prostituées misérables le montrent très attentif aux leçons du post-impressionnisme (La Nana , musée Picasso, Barcelone), de Toulouse-Lautrec, de Gauguin (L'Arlequin , Metropolitan Museum, New York) et c'est dans ce climat d'amertume, sinon de révolte sociale, de pitié pour les êtres pauvres et exilés, que baignent les tableaux de la " période bleue ", presque monochromes, très proches des oeuvres du peintre catalan Isidro Nonell et nettement symbolistes d'inspiration : La Vie (musée de Cleveland),
La Célestine (coll. de l'artiste).
Installé définitivement en avril 1904 à Paris, où il occupe un atelier au " bateau-lavoir " à Montmartre et se lie bientôt d'amitié avec Apollinaire, Matisse, Max Jacob, Picasso exécute jusqu'en 1906 une série de toiles encore très sentimentales, mais de tonalité plus claire et fleurie, d'inflexion parfois maniériste, que l'on groupe traditionnellement sous le titre de " période rose " et qui représentent des arlequins, des acrobates, des écuyères et toute la troupe des gens du voyage : La Femme à l'éventail (coll. Averell Harriman, Metropolitan Museum),
L'Acteur (New York),
Les Bateleurs (National Gallery, Washington).
C'est de cette époque également que datent ses premiers essais de graveur (Le Repas frugal ) et de sculpteur (Le Fou , bronze, musée d'Art moderne, Paris). A partir de 1906, les formes tendent à se stabiliser et à s'épaissir, les sujets à perdre leur caractère littéraire. Le visage de Gertrude Stein (Metropolitan Museum),
portrait achevé après des vacances passées dans l'atmosphère rustique et sévère du petit village de Gosol, en Andorre espagnole, donne l'impression d'un masque et les monumentales, presque monstrueuses, Femmes nues (Museum of Modern Art, New York),
manifestant l'influence de l'art ibérique, peut-être déjà de la sculpture africaine, témoignent en tout cas d'une volonté " primitiviste " qui désormais sera présente dans toute l'oeuvre de l'artiste.
Une révolution
Peintes en 1907, Les Demoiselles d'Avignon (Museum of Modern Art),
à la fois cézanniennes et négroïdes, marquent la rupture de Picasso avec toutes les traditions de l'art de peindre, et les débuts du cubisme. Épisode très bref de la peinture contemporaine (1908-1914), le cubisme est une aventure assez mystérieuse et il est difficile de faire la part respective de Picasso et de Braque, avec lequel il travailla pendant quelques années en étroite collaboration, dans la genèse de ses audaces et de ses étapes. Il se présente d'abord comme une tentative pour simplifier les objets et les réduire à des solides géométriques, pour donner le sentiment de leur présence physique, " tactile " en les amenant vers le devant de la toile et en supprimant progressivement leur flottement dans la perspective traditionnelle, la lumière étant par ailleurs intégrée à la forme et l'espace densifié, traité comme une masse qui ne se répartit plus en pleins et en vides : ainsi dans l'Usine à Horta de Ebro , 1909 (musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg).
La couleur, limitée à quelques tons très neutres, est unifiée de manière à accentuer l'homogénéité du tableau ; l'objet, qu'il s'inspire d'une nature morte ou d'un visage, d'abord magnifié dans sa réalité sculpturale (La Femme en vert , musée d'Eindhoven),
est ensuite disséqué, présenté sous tous ses angles, décomposé en facettes et en angles brisés, que l'espace, traité exactement de la même manière, tend à absorber : la forme tend à se dissoudre dans son contraire et à se cristalliser en quelques signes de plus en plus hermétiques, comme le montre l'évolution très rapide qui conduit Picasso en 1910 du Portrait de Vollard (musée Pouchkine, Moscou)
à celui de Kahnweiler (Art Institute, Chicago).
Commentaires
Passionnant !! Merci , Monsieur Paul ! Belle journée à vous ! Cordialement, Nicole
Merci Monsieur Paul, pour cette analyse intéressante du travail de Picasso.
Bonne journée.
Bien cordialement.
Adyne
Cest un avant _garde qui ouvre le chemin appliquant la theorie ( en art la theorie suit la pratique et ne la. Precede pas )
Un peintre... "C'est un collectionneur qui veut se constituer une collection en faisant lui-même les tableaux qu'il aime chez les autres. C'est comme ça que je commence, et puis ça devient autre chose.", Picasso.
Oui, vraiment autre chose.
Merci pour cet article, et vivement sa suite.