J’ai neuf ans et les préparatifs pour mon départ se font. Un petit sac de toile où maman entasse mes quelques affaires. Dans ce bourg écrase de soleil l’été, je joue dehors avec les gamins de mon âge. Notre terrain de jeu est rocailleux, poussiéreux et notre cabane, un vieux véhicule décharné, abandonné sur le côté d’une route. Mon village est miséreux avec une petite école et sa cour.
Des chèvres malingres vivent en liberté. Les maisons aux toits plats sont tristes. Les habitants désertent cet endroit. Il fait si chaud l’été que la végétation s’étiole, la flore pousse le temps de verdir la nature et grille. Après ce printemps de courte durée, une chaleur suffocante s’abat sur nous et nous colle à la peau. Dans le village, les anciens, assis à l’ombre boivent du thé et dans un geste machinal chassent les mouches. Ils regardent passer l’invisible.
Aujourd’hui je pars pour le pensionnat dans une grande ville, j’ai été sélectionné parmi les élèves de mon âge pour faire des études. Toute la famille est fière de moi et c’est en bon petit soldat que j’attends le bus qui va m’emmener vers l’inconnu. Droit devant moi, mon père, lettré, érudit, sait que l’éducation peut me sortir de ma misère et prétendre à une vie meilleure. Sous ce ciel aride, seuls les instruits ont une chance. Fier que son fils ainé parte pour le pensionnat, les larmes sont interdites, il ne montre pas son émotion et balayait d’une main ferme les femmes qui pleurent.
Dans le bus qui me conduit dans ce nouveau monde, je ne suis pas seul. D’autres gamins sont là, eux aussi choisis sur leurs petites compétences. Un grand garçon au fond du bus fait déjà figure de caïd, de chef. Il parle haut et les autres, intimidés le regardent avec respect. Dés neuf ans, la loi du plus fort s’applique. Prés de moi, un petit garçon malingre avec de grosses lunettes, un autre avec le regard triste et un plus petit qui pleure. Quelques rangées plus loin, un garçon au visage d’ange que sa maman a habillé d’un col blanc et qui me sourit. Le bus est presque plein et cette fois, le voyage nous emmène dans la grande cité où nous allons vivre.
Apeuré et fébrile après des heures de route, j’attends que le bus s’arrête, ramasse mon petit sac en toile et arrive devant cette porte grande ouverte et donnant sur une immense cour. Des bâtiments à étage se profilent au fond et la hauteur des étages me fascine.
Bien rangés comme des petits soldats de plomb, chacun a reçu son affectation, le numéro de son étage, de sa chambre et de sa classe. Deux heures pour s’installer, rendez vous au réfectoire et ensuite premier cours pour faire connaissance avec le personnel.
Mon petit copain au visage d’ange ne me quitte plus. Il est tellement apeuré qu’il en trébuche. Quelques uns déjà se moquent de lui. Je me sens aussi un peu à l’écart. Les découvertes sont nombreuses, l’eau courante, les éviers, les douches, les lits superposés et chacun une armoire de fer. Le luxe pour nous qui ne possédons rien.
La rencontre avec le personnel dans la cour sous un soleil de plomb fait un peu retomber notre euphorie et notre excitation. Alignés sans bouger pour entendre le règlement, nous comprenons qu’ici, un seul mot prédomine : « Etudier »
Après avoir reçu cette batterie de renseignements sur ce que ma vie sera les prochaines années, c’est assis dans un coin que mes pensées rejoignent mon petit village là-bas au bled. Les amis restés au village me manquent. Ma rue couverte de caillasses, de poussière, mon ennui, ma misère me manquent. Et toujours dans mon cœur, cette famille, mon père droit et inaccessible, ma mère et mes petits frères et sœurs.
Mon compagnon de misère n’a pas résisté longtemps et a dû partir, souffrant d’une maladie sans nom.
J’ai donc étudié pour moi, pour lui. Je m’en suis bien tiré. Quand j’ai reçu le certificat, c’est vers l’adolescence que je pars en changeant d’établissement. Je ne sais pas encore ce que je vais faire de ma vie.
JGobert
Commentaires
banal et courant, c'est la vie tout simplement.
Amicalement
Josette
Oh que oui Françoise ... tellement courante en effet. J'ai connu un Universitaire qui se contentait d'un oeuf comme repas .... fauché comme pas deux. Mais il a réussi et est parti en Afrique ensuite. Comme quoi ...Il nous a souvent raconté cette histoire.
Histoire tellement courante dans le monde. C'est bien de le rappeler.
Très belle description d'un enfant doué mais pauvre que l'on choisit pour faire des études plus poussées.
Cette histoire n'est pas unique et j'en ai connus qui ont vécu le même processus dans nos pays et qui, eux, devaient se contenter d'une chambre sous les toits sans chauffage ni eau courante.
Ce qui, finalement, les a endurcis pour vaincre des situations sans issues. Même si, parfois dans leur coeur, la révolte grondait comme la Marabunta.
Vraiment tu écris très bien. Bravo. On en redemande. Bonne fin de semaine. Amitiés. Rolande.
Merci pour le commentaire Jacqueline.
Très beau texte d'émotions, du vécu, les coeurs serrés pour construire un avenir meilleur.
Merci Marie-Josèphe.
merci de ton partage
Amitiés Josette
je constate comme le dit l'adage que petit à petit l'oiseau fait son nid ! ce texte est très touchant - quelle imagination Josette ! bravo
Vivre dans un endroit écrasé de soleil donne moins de chance à un enfant. Le père érudit ne vit pas forcement dans la misère. il a peut-être eu une belle profession avant de rentrer au pays.
Merci Adyne de préciser ce point
Amitiés
Josette
Belle description de ce village que je vois au Mexique!! Belle réflexion à la fin, car le père de ce garçon est érudit et vit dans la misère!!!
Merci Josette pour ce partage.
Bonne après-midi.
Amitiés.
Adyne