Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Marguerite Duras... et les garçons du train...

C’était une belle fin de semaine de début de printemps, chaude et ensoleillée. La ligne TGV Mulhouse-Paris via Strasbourg n’était pas encore opérationnelle. Ainsi, c’est dans un train Corail, pour un périple de plus de 5 heures 30 (3h00 à présent en TGV…), que je m’apprêtais à monter en ce vendredi soir. J’avais emporté, en partant, "l’Amant" de Marguerite Duras. Petit roman qui est l’un de mes favoris, que j’ai déjà lu et relu, facile à glisser dans un bagage à main, léger à transporter, vite bouquiné, idéal pour un voyage en train, à lire d’une traite. Parvenue à Paris, je l’avais terminé et je me sentais portée par l’histoire et ce, d’autant plus "in the mood for love" que j’allais rejoindre mon amoureux…

Le dimanche après-midi, un peu chagrine et mélancolique, il me fallait refaire le voyage dans l’autre sens, pour rentrer chez moi.

Gare de l’Est, j’allai fureter dans l’une des librairies pour trouver quelque-chose d’aisé à lire et tombai sur une revue littéraire parlant de… Marguerite Duras. Je l’achetai et grimpai dans le train. J’avais mon billet mais pas de place attitrée. La voiture était composée de compartiments. Ce n’était pas un "wagon à bestiaux" où l’on doit supporter les éternuements du cent-quatorzième voyageur à l’autre bout de la voiture ou les sonneries du téléphone de la personne située à la place 63 au dixième rang devant vous… C’était une voiture avec des compartiments de 6 places, avec la possibilité d’une atmosphère un peu feutrée, d’un entre-soi pour d’improbables échanges ou rencontres. Dans le premier compartiment, était installée une famille, nombreuse et bruyante… Le second était complet… Le troisième comptait déjà 4 personnes… Le quatrième… rideaux tirés ; cela augurait un voyage paisible en compagnie de gens ayant envie de tranquillité… Je frappai et demandai, un peu trop rapidement pour avoir le temps de sonder les voyageurs, si je pouvais m’installer… trois jeunes (adolescents de 16 à 18 ans) qui me faisaient face, répondirent par l’affirmative. Et je pris place dans ce compartiment.

Le train ne tarda pas à s’ébranler. Je lisais. Mes trois compagnons de voyage avaient repéré des jeunes filles, installées un peu plus loin. Je lisais… Ils faisaient d’incessants  allers-retours, riant, parlant fort, s’asseyant, se relevant, repartant, revenant… je lisais… L’article m’intéressait… je lisais. La vie de Marguerite s’égrenait sous mes yeux… au fur et à mesure du temps passant et de ma lecture.

Les garçons finirent par se poser et somnolaient par intermittence. Il faisait une chaleur terrible en ce début de printemps. J’avais emporté de l’eau, quelques biscuits et une pomme ; je les partageai avec mes compagnons de voyage tout en poursuivant la lecture de ma revue… jusqu’à la fin du dossier "Marguerite Duras".

Tout d’un coup, l’un d’entre eux me demanda ce que je lisais ? Une seconde pour réfléchir… et je fis un rapide résumé de la vie de Marguerite, relatant sa jeunesse en Indochine et son œuvre… ses engagements politiques, son parcours intellectuel, les controverses à son encontre…  Puis, me vint l’idée de leur proposer la lecture de "l’Amant", mais en éludant les passages concernant les frères ou la mère de la protagoniste du roman. Je décidais de ne m’en tenir qu’à l’histoire entre elle et le Chinois.

Ainsi, je commençai ma lecture. Je lus et lus encore, m’interrompant de temps à autre pour demander aux garçons s’ils souhaitaient que je continue. Comme dans l’urgence et dans un souffle, ils répondaient "oui, oui" et je poursuivais. Calmes, attentifs, concentrés… ils écoutaient, plongés dans le récit.

Récit qui n’est pas simple… ni simpliste… (surtout lu à voix haute par une femme, pour un auditoire masculin et adolescent) avec des passages troublants, intenses, éloquents… en particuliers quand sont relatées les expériences sexuelles et amoureuses de la jeune fille, alors qu’elle n’était encore qu’une très jeune adolescente. Mais je lisais… et eux suivaient… Cela a duré ; plusieurs heures… Le temps me paraissait suspendu, accroché au fil du roman qui se déroulait de page en page.

Ni les arrêts nombreux, dans toutes les gares du parcours, ni les accélérations du train, ni le chaos des rails… n’interrompirent ma lecture de l’histoire. Rien ne perturba non plus l’attention des garçons. Une atmosphère feutrée et intense, douce et dense, ouatée et exaltée, retenue et brutale, réservée et farouche, secrète et véhémente, sensible et poignante… tout à la fois, avait peu à peu emplit notre compartiment. Nous étions portés par le récit et par ce passage d’une histoire personnelle et commune que nous étions en train "d’écrire".

Je lus jusqu’à Belfort, jusqu’au point final du roman. Jusqu’à Belfort parce que le voyage des garçons s’arrêtait. Ils ramassèrent leurs affaires en vitesse et descendirent du wagon pour rejoindre le quai et, du couloir du train où je me trouvais pour les accompagner jusqu’au bout, par la fenêtre ouverte (on pouvait encore ouvrir les fenêtres des trains),  ils me remercièrent et me demandèrent mon numéro de portable. Pendant plusieurs mois, je reçu des sms de ces garçons qui prenaient de mes nouvelles et m’en donnaient…

Cette expérience fut l’une des plus extraordinaires de ma vie, par sa simplicité, son intensité, sa densité émotionnelle. Et je crois que jamais, je n’ai eu d’auditoire d’une telle qualité. Perceptifs, attentifs, concentrés… réunis par Marguerite Duras et son "Amant", cette page de ma vie me laisse un souvenir ému et d’une exceptionnelle richesse, humaine… dirais-je, dans ce qu’il y a d’Humain dans le partage et de la lecture et les livres.

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles