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Lorenza Foschini, Le manteau de Proust

Lorenza Foschini, Le manteau de Proust
Lorenza Foschini, Le manteau de Proust

Lorenza Foschini, Le manteau de Proust (Il cappotto di Proust), Histoire d'une obsession littéraire, traduit de l'italien par Danièle Valin, La Table ronde, 2016

Née à Naples en 1949, Lorenza Foscini vit à Rome. Journaliste et écrivain, elle a été présentatrice du journal télévisé TG2. Fervente lectrice de Proust, elle a traduit du français Retour à Guermantes, un recueil d'inédits proustiens.

Préambule :

"Ceci n'est pas un récit imaginaire. Tout ce que j'ai écrit s'est réellement passé, les personnages de cette histoire ont réellement existé. En la reconstituant, en lisant les documents, en approchant au plus près ceux qui l'ont vécue, j'ai découvert l'importance de l'infime, des objets sans valeur, des meubles d'un goût douteux, et même d'un vieux manteau élimé. Car ces choses les plus communes peuvent se révéler des scenarios de passion insoupçonnée."

"En discutant avec le costumier de Luchino Visconti, Lorenza Foschini apprend l'existence, au fond d'une caisse du musée Carnavalet, d'une relique hors de prix pour les passionnés de Proust : son manteau, ce grand habit noir dans lequel l'écrivain s'est emmitouflé toute la fin de sa vie, et qui reste un des détails les plus souvent rappelés par ceux qui, comme Cocteau et Morand, ont honoré sa mémoire après sa mort. Elle apprend aussi que c'est Jacques Guérin, grand amoureux de la Recherche et collectionneur fortuné, qui en a fait don au musée peu avant sa mort. La découverte de cette trace si concrète de l'existence de Proust décide la journaliste à se lancer dans une enquête sur une autre enquête, celle de Jacques Guérin. Ce dernier, grâce au contact qu'il avait noué avec le docteur Robert Proust, frère de Marcel, est parvenu, de fil en aiguille, à rassembler une inestimable collection : le lit de Marcel, son bureau, des lettres et des notes sur des morceaux de chiffon et, surtout, son manteau." (source : babelio)

Citations :

"Mais comment donc ce manteau vous est-il parvenu, monsieur ?" lui demanda-t-il alors. Et l'homme de raconter son extravagante histoire..." (p.24)

"(...) Werner le conduit au fond du hangar. Guérin lui emboîte le pas avec l'excitation qui le gagne lorsqu'il est sur le point d'acquérir un livre désiré, un manuscrit rare, quelque chose qui possède ce mystère latent que détiennent les objets des autres, quand ils ont été aimés et tenus pour précieux. Se les approprier signifie peut-être retenir une étincelle de cet amour, de ce plaisir, et se sentir enfin comblé ; mais il y a plus : le sentiment qui l'anime n'est pas celui du collectionneur, c'est celui du sauveur." (p.96)

"Jacques est persuadé qu'une force étrangère à sa volonté l'a conduit à sauver ces meubles d'une fin misérable à laquelle ils étaient destinés ; il a été désigné pour accomplir une tâche à laquelle il ne pouvait se soustraire, et lorsqu'il contemple cette chambre solitaire, il a l'impression que le lit, le bureau, la bibliothèque, de même que les objets personnels ne représentent pas un décor funèbre, mais qu'ils possèdent au contraire une mystérieuse vie intérieure." (p.99)

"Quand je ferme les yeux et pense à Proust, je le vois enveloppé dans son manteau foncé, tel que le décrivent la plupart de ceux qui l'ont connu. De même, en lisant La Recherche, je ne peux m'empêcher de l'imaginer emmitouflé dans son manteau doublé de loutre." (p.103)

Mon avis :

Ces dialogues de sourds entre le parfumeur et collectionneur passionné par Proust Jacques Guérin, héros de ce livre, soldat inconnu de la bataille contre le vandalisme et l'oubli, et Marthe Dubois-Amiot, la belle-soeur de Proust, que rapporte Lorenza Foschini en disent long sur l'incompréhension dont souffrit l'auteur de La Recherche du temps perdu au sein de sa propre famille :

"Madame, murmura-t-il d'un ton déférent, permettez-moi de vous dire quelle a été ma joie lorsque, au cours de ma visite dans son cabinet, votre mari  m'a accordé le privilège de voir les cahiers manuscrits de son frère que j'admire tant."

Et comme la dame l'écoutait sans répondre avec un sourire figé, il insista :

"Vous devez posséder une immense quantité de manuscrits, de lettres, de papiers de votre beau-frère. Comme cela doit être passionnant !"

La voix nasillarde, presque stridente, de Marthe s'éleva au-dessus du bourdonnement du salon :

"Ne m'en parlez pas, cher monsieur ! Nous sommes envahis de papiers en tout genre. Mais mon mari et moi sommes en train de mettre un peu d'ordre dans ce fatras de lettres, de cahiers, de billets... Nous brûlons... nous brûlons tout ! Sur ce, satisfaite d'elle-même, un sourire froid aux lèvres, elle se tut." (p.53)

"Mais enfin, Madame, votre beau-frère était un génie. Est-il possible que vous n'ayez jamais eu le désir de lire son roman ?"

Et Marthe, retrouvant sa voix stridente d'autrefois, répondit du ton sec et ferme de la bourgeoise bien élevée qui ne doute jamais des devoirs de sa condition : "Allons, Monsieur Guérin ! Il n'y est écrit que des mensonges !" (p.117)

"A Philippe Kolb, qui consacra une bonne partie de sa vie à recueillir la somme des lettres de Marcel, Madame Proust exprime d'une manière tout aussi sèche et éclairante l'idée qu'elle se fait de son beau-frère (...) : "Monsieur, mon beau-frère était un être bizarre." Il n'aura pas droit à un mot de plus. " (ibidem)

"L'homosexualité de Proust, selon l'auteur, explique cette histoire d'incompréhensions familiales, de silences, de papiers déchirés et de meubles abandonnés. Un mur invisible mais infranchissable. Dans le dédale des rapports entre parents et enfants, entre frères, entre beau-frère et belle-soeur, entre oncle et nièce, au détour des phrases où se détachent les mots non-dits, on finit toujours par se heurter à ce mur menaçant et insurmontable. Les silences se transforment alors en rancoeurs, les incompréhensions en geste de vandalisme." (p.81)

Quant au fameux manteau, détail sans importance qui se révèle déterminant, comme dans les romans d'Agatha Christie, retrouvé par Jacques Guérin en possession d'un certain Werner, brocanteur de son état, puis redécouvert par l'auteur dans les réserves du musée Carnavalet, il est comme un double de Proust - "objets inanimés, avez-vous donc une âme ?" -, mais il fut aussi, après la mort de Proust, le "bouc émissaire" de l'aigreur qui, au fil des années, s'était transformée en haine, non seulement contre Marcel, à cause de sa "bizarrerie", mais aussi contre son frère Robert, le mari de Marthe, pour des raisons que connaissait Marcel et auxquelles il fait allusion dans la Recherche.

Faut-il connaître la vie d'un écrivain pour comprendre son oeuvre ? Sur ce point, Lorenza Foschini semble donner tort à Proust et raison à Sainte-Beuve en montrant que chez Proust, les deux sont inséparables et aussi passionnantes l'une que l'autre..

"Ce qui nous rend le corps des poètes translucide et nous laisse voir leur âme, ce ne sont pas leurs yeux, ni les événements de leur  vie, mais leurs livres où précisément ce qui de leur âme, dans un désir instinctif, voulait se perpétuer, s'est détaché pour survivre à leur caducité." (Marcel Proust, cité p.34-35)

Oui, bien sûr. Mais comment Proust aurait-il pu prévoir que la lutte pour la sauvegarde des objets qui l'entouraient : ses vêtements, son manteau,  ses photographies, ses lettres, ses papiers, ses manuscrits... deviendraient le sujet d'un livre sur un thème proche de celui de la Recherche : la lutte contre l'indifférence et l'oubli, la résurrection du passé ? 

 

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