Hommage à SiMohand-ou-M'hand
Dans le pays des montagnes de Kabylie où jevivais...
Naquit un grand poète du nom de Si Mohand -ou-M'hand.
De village envillage, de foyer en foyer, de
jardin en jardin, il arpentaitd'un pas lent les chemins
qui le menèrent en Tunisie. A cegrand poète nomade, j'ai
voulu rendre hommage par ce texte.
Un «youyou», auloin, se fait entendre.
Le son du «bendir» retentit de sa peaufragile.
Un air de «Gheita» — celui que tu aimes tant —
joue en ton honneur.
Naufragé d'undestin sans lendemains, portant en toi un
souffle qui respire etqui parle; tu prends le chemin de
l'exil. Seul, ta conscience etton courage comme compagnons,
tu t'embarques dans ce voyage versl'autre, que tu aimerais
tant revoir...
De chaque villageoù tu offres une poignée de
main, mille saluts te précèdent.Et de ces mille saluts
alors tu tisses un habit de sagesse, telun burnous «d'Aguelid»
Dans les momentsde tristesse,
tu sais voler lessourires de femmes cachées,
D'une complainted'autrui,
tu fais unesymphonie muette,
D'un regard laisséau hasard,
tu pêches lesecret et...
Sur chaque larmequi coule,
tu édifies une fontaine d'Amour et de Paix, mais
auxmoments de joie et d'allégresse, tu te contentes
de chanter etde rêver, puis, sur ton papier moisi, tu
graves l'histoire decet instant pour que nous
puissions construire d'autresinstants.
«—En mon âme et conscience, pèlerin des temps;
je tepardonne:
Pour tes injuresde vagabond.
Tes révoltes dérisoires.
Tes désirs d'enfant.
Tes blessures mesquines,
car aujourd'hui...
Ton encre est demiel,
et tes mots d'encens.»
Il y eut,paraît-il.
Des lieux où tusus vaincre la douleur des mots
et leur venin...
Des lieux encore,où tu sus libérer les malades
enchaînés aux pouvoirs occultesde vieux marabouts.
Il paraît mêmeque tous les vents rassemblés, du
«Djurjura» aux «Babors»,se sont tus à ton passage
pour y laisser se dérouler un tapisqui se tisse:
à chaque lutte,
à chaque douleur,
à chaque espoir,
à chaque trêve...
Dans chaqueberceau qui enfante la continuité
il y a la soif de pouvoir, neserait-ce qu'un jour,
dire qui suis-je? où vais-je? dans cemonde en transes,
qui me berce pour tout oublier...
Oublier!
oublier ?
Les douleurs de«Tanina», qui dans la montagne
pleure et lance uncri de désespoir, car elle
voitson humiliation s'agrandir...
oublier?
Le temps des cueillettes d'olives, où la jeune
mariée aufront irradié de bonheur, se penche
et remplit sa roberetroussée...
oublier,
lescontes et les chants de mon enfance qui
à travers «Setti»,embellirent ma peur.
Oublier,
que j'appartiens à ceux quiportent le nom
«Amazigh»... Hommes libres.
Non, car je suis:
L'infime racine qui lutte pour sauver
l'olivier que l'onveut abattre,
La source qui naît au matin
et meurt le soirdans le fleuve qui
s'agrandit.
Je suis:
la lumière del'aveugle
le silence du muet
le chaînon d'une prière
l'écho d'une révolte.
Je voudrais comme toi, et à montour:
fleurir sur chaque page d'histoire oubliée,
surchaque civilisation qui passe,
sur chaque berceau qui fleurit,
sur chaque front qui naît,
sur chaque main qui se tend;
Jevoudrais à mon tour,
sur chaque horizon qui hurle,
surchaque ciel qui pleure,
sur chaque saison qui se mue,
surchaque vent qui passe et qui chante
semer l'Amour et laTendresse,
la Tendresse et le Respect,
le Respect et leBien.
Lebien
C'estla semence de l'oubli,
la moisson du vent,
la récolte dusavoir.
Le «Savoir» t'appartient comme t'appartient la«Vie».
Quand tu le prends entre tes mains comme l'argile
duparadis, alors tu le façonnes comme une toile sans
âme. Tu encaresses les pourtours, tu en humes la
fraîcheur...
Puis,là...
Ton destin va guider tes doigts
d'apprenti de la vieet sur chaque
parcelle de cette argile qui prend forme,
tuteindras tes rêves,
tu raviveras les couleurs de l'immortalité,
tu traceras des chemins de rencontre.
Et ainsi
surchaque couleur
Se posera un regard qui dure, pour déjà
penser aux lendemains, ces lendemains
enfanteront lasurvivance de notre civilisation.
Car la civilisation est unpuits de richesses où
cohabitent toutes les races.
Les racessont un festin tout en étant un plat.
Les races sont une toisontout en étant le sommeil.
La richesse d'une identité est lalumière de sa
couleur. Elle se fond à d'autres couleurs, sansen
être la dominante. Elle attend que toi l'inconnu
tul'observes et t'interroges. Alors, elle rayonne
la confiance pourt'assurer; elle t'ouvre son corps
et t'invite à y pénétrer...
Pour y découvrir
le voile qui l'habille;
l'âme quil'habite.
Ellete tend
untapis pour que tu t'y assoies et te reposes
elle te tend
lacruche pour que tu t'y abreuves de tendresse,
elle te tend
unplat pour que tu te nourrisses de savoir...
Puis, dans unenouvelle «symphonie»...
Elle t'invite aux chants de lamultitude.
Si Mohand-ou-M'hand, possédait ces richesses.
Illes cueillit
dans les jardins verdoyants,
sur les places desvillages en éveil,
dans les mosquées en alerte,
dans leschaumières, en pleurs et en fête,
entre les montagnes quiveillent,
entre le refus et l'abondance,
le châtiment et lepardon,
la punition et l'offrande.
Il en fit alors un grandbouquet
et sur chaque page de son manuscrit...
Il déposa unerose sans épine.
— «Dis moi! oh porteur de mots.
Es-tuce porteur d'eau, vieux comme le chêne, qui
un jour, s'en allantremplir ses outres à la
fontaine, découvrit par un matinétrange, que l'eau
jaillissante formait cinq sources.
Pourlibérer sa vieillesse, il donna un nom à
chacuned'elles.
Ainsi il nomma:
la première émeraude, pour sapureté.
La seconde lumière, pour sa clarté.
La troisièmevie, pour sa renaissance.
La quatrième fraîcheur, pour sonécume.
Et la dernière, délivrance.
Pensantalors à tous les enfants qui naissent fragiles,
avec un peud'eau de ces sources, il remplit la plus
grande de ses outres, ets'en alla dans chaque demeure.
Au-dessus des berceaux il arrosala bouche du nouveau-né
lui donnant ainsi une goutte de jeunessepour l'éternité.
Ainsi, le porteurd'eau devint
la semence et lamoisson,
lasource d'immortalité.
Plus tard, danschaque tribu, au seuil des portes, on
déposa une cruche brisée,symbole de cette bénédiction perdue, »
De cette moissonimmortelle, aujourd'hui j'assimile:
chaque lettrefaçonnée
chaque mot gravé
chaquepage écrite.
Et de ton message qui me parvient, telle unedernière
braise, j'allumerai d'autres feux pour que naissent
d'autres pèlerinages de tes récits immortels.
— «Que toncorps blessé, se repose en paix comme se
reposent ceux de tousles poètes révoltés, dans
ce monde qui fuit.
Que sur ta tombe,oubliée, se posent mille
colombes pour bercer ton sommeilprofond.
Que sur ton manuscrit écrit à l'encre des
vents etdes rivières, se posent mille regards
en extase pour te lire.
Jete rends le premier hommage,
car pour le suivant...
J'attendraiun autre printemps.
HAMSI Boubeker – Aux éditions« Le flambeau » - Bruxelles 1994
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