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Dans cet ouvrage publié en 5 volumes de 1883 à 1891, puis en 9 volumes de 1896 à 1912, l'auteur retrace toute l'histoire des idées esthétiques de son pays. Sans se borner à l'étude de la production étroitement théorique, Menendez examine toute la littérature critique et didactique et a même recours, à l'occasion, aux poétiques implicitement et explicitement contenues dans les oeuvres d' art les plus importantes. Il devait donc suivre en même temps certaines traditions de la pensée et du goût qu'il n'est pas toujours possible de distinguer et qui ont trait à l'idée de la beauté en soi (la métaphysique du Beau), à la beauté conçue comme expression artistique (la philosophie de l' art) et à l'étude des applications concrètes (la "technique", le "style", etc.).

L'ouvrage expose donc les recherches essentiellement spéculatives sur la beauté et l'idée de beauté dans les grands systèmes philosophiques; l'auteur étudie ensuite le mouvement mystique dont l'influence a été considérable sur le développement intellectuel de l' Espagne où le beau et l' amour s'identifient au monde de la volonté et de la foi. Il recherche dans l'oeuvre des philosophes des penseurs et des critiques, toutes les idées générales sur l' art. Il isole et met en lumière tout ce qui est vraiment de nature esthétique. Il étudie enfin les principes qui ont inspiré les artistes eux-mêmes.


Cette "Histoire des idées esthétiques", qui constitue un vaste chapitre d'une oeuvre plus large sur la philosophie espagnole en général (à savoir "Histoire des hétérodoxes espagnols; la science espagnole") est une précieuse introduction à l'histoire littéraire de l' Espagne. Mais l' Espagne ne possède pas une pensée philosophique originale et ses idées esthétiques sont tributaires des grands courants de pensée européens: aussi Menendez doit-il, à propos de chaque problème, remonter aux sources et son oeuvre finit-elle par devenir une histoire générale de l' esthétique, unique en son genre par l'immensité de ses buts et par son information riche et de première main. L'auteur reconnaît avec modestie que son oeuvre n'est qu'une analyse et une exposition; mais justement, par son respect des divers courants de pensée et sa facilité à pénétrer et à comprendre les esprits, Menendez réussit à se placer dans une solide perspective historique. Comme toutes les oeuvres de Menendez, cette "Histoire" souffre d'une trop grande prolixité qui, notons-le cependant, n'est jamais inutile et dérive toujours de l'amour ardent de l'auteur pour les livres. Un équilibre plus harmonieux, le sacrifice de quelques pages et même de quelques chapitres, plus de concision dans l'analyse n'eussent pas été sans faciliter le succès de l'ouvrage et sa diffusion à l'étranger.

La première partie embrasse les origines classiques et s'étend jusqu'à la fin du XVe siècle: Menendez accorde une importance capitale à la pensée grecque qu'il considère, à juste titre, comme indipensable pour jeter les fondements de toute esthétique du moyen âge et de la Renaissance, esthétique qui a mûri lentement et qui résulte des influences de l' idéalisme de Platon, du réalisme d' Aristote et dy mysticisme de Plotin. L'examen précis de la pensée latine (Cicéron, la "Rhétorique à Herennius", Horace, les grammairiens, etc...) et de la pensée chrétienne (saint Augustin, Denys le Mystique, saint Thomas) sert à délimiter et à décrire les moyens techniques qui devaient dominer plusieurs siècles de littérature. L'auteur se préoccupe de déterminer la place que l' Espagne a prise dans l'élaboration de la pensée esthétique, aussi se penche-t-il avec amour sur les pages de Sénèque et de Quintilien et accorde-t-il une place toute particulière à Prudence et Isidore de Séville ainsi qu'à la période de la domination des Goths et des Arabes. Ces pages constituent le tableau le mieux informé de la culture latine et islamique pendant le moyen âge espagnol. Menendez termine ce premier volume en analysant l' esthétique mystique de Raymond Lulle et le platonisme amoureux du poète catalan Ausias March.

La seconde partie comprend l'étude des XVIe et XVIIe siècles, caractérisée par l'avènement plus explicite de l'idéologie platonicienne et de la production mystique, en même temps que par l'importance accrue par la poétique aristotélicienne. Ces chapitres nourris d'une solide érudition, et où l'analyse est pleine de vigueur mettent en lumière des régions par ailleurs négligées de la culture et donnent un relief particulier à la formation du "conceptisme" (Gongora et Gracian) qui devrait ramener l'expérience stylistique de la littérature espagnole dans le courant de la littérature européenne.

L'auteur consacre sa troisième partie au XVIIIe siècle, qu'il étudie avec un soin tout particulier. C'est la première fois que la littérature érudite et spéculative du XVIIIe et du début du XIXe se trouve ainsi éclairée, analysée et replacée dans le cadre plus général de la civilisation européenne. L'ambition majeure de Menendez et son plus grand mérite est d'ailleurs d'insérer les mouvements doctrinaires et artistiques de son pays dans la culture mondiale. Seul à l'époque, Menendez pouvait y prétendre grâce à sa prodigieuse connaissance des littératures anciennes et modernes et à ses extraordinaires facultés de synthèse.

Dans la quatrième partie, nous trouvons l'étude de l' esthétique allemande (Kant, les romantiques, Hegel, etc...) et le romantisme anglais.

Le cinquième et dernier volume, consacré au XIXe siècle français, est un chef-d'oeuvre d'information et de critique qui atteste l'amour que portait Menendez à la civilisation française et son tenace attachement à la culture romantique, à qui il doit ses meilleures aptitudes historiques. Menendez décrit en raccourci toute l'évolution de la sensibilité française, émoussée selon lui par un classicisme outrancier et un rationalisme excessif ("Boileau exclut le monde du mystère, de la difficulté, de la nuit, du sublime et de l' épouvante, autant dire le monde poétique par excellence"), mais renouvelée et comme rachetée par la pensée romantique, définie comme "une recherche de l' âme humaine".

La sixième partie devait poursuivre l'étude du mouvement romantique en Espagne. Nous n'en avons qu'une table analytique. Les volumes destinés à l' esthétique post-romantique, à la culture italienne, aux doctrines contemporaines et le dernier enfin, qui aurait exposé les idées personnelles de l'auteur, ne furent jamais écrits.

La formation essentiellement romantique et profondément chrétienne de Menendez et son riche sens de l'humanité le portaient à se solidariser avec les idées et les penseurs qui font preuve d'enthousiasme et de noblesse spirituelle. Il supportait difficilement au contraire la raideur des systèmes étroitement dialectiques. De là vient que Menendez attribue une valeur plus grande aux oeuvres qui lui permettaient de saisir l'expérience intellectuelle en acte, de préférence aux oeuvres dominées par l' abstraction métaphysique. Pour toutes ces raisons, il semble que la méditation personnelle de l'auteur le rapprochait davantage de la pensée discursive française et anglaise que de la philosophie allemande, systématique et essentiellement métaphysique.

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