Lettre ouverte à un ambassadeur d'Euterpe, Christian Chorrier
Suite à son article sur la production du Faust de Gounod donnée à l'Opéra de Paris
Monsieur,
Laissez-moi, en préambule, vous saluer, en vertu des activités artistiques, dont vous faites généreusement profiter le commun des mortels, en les "partageant" au sein de votre blog.
Au sujet de votre dernière chronique déplorant les "carences" de notre pauvre ténor national, qui a tout fait pour se gaspiller, concédons-le, en lieu et place d'aborder un répertoire enrichissant, tel par exemple, que celui de la Mélodie française dont il aurait pu être un noble ambassadeur, en analogie de François le Roux qui se voue à une mission de cet ordre, nous abondons dans votre analyse de la situation, et redoutons que ces temps peu prospères à la "culture", déjà fortement en déclin, depuis moult années, n'augure rien de bon pour un devenir... plus qu'incertain, en ces temps où la rigueur budgétaire s'impose, au détriment des métiers du spectacle vivant !
" l'Enfer c'est les autres" professait Albert Camus. Pas toujours, hélas, puisque l'on peut soi-même, incarner son pire ennemi, en faisant preuve, en l’occurrence, d'un manque de discernement, de sagesse indispensable afin de conduire un organe vocal vulnérable à une maturité salutaire, s'offrant le luxe de refuser un rôle proposé, pour mieux y accéder peut-être plus tard, au moment opportun. Quel dommage, aussi, de ne pas savoir s'entourer, lorsque l'on est en proie aux doutes, concernant une décision capitale de ce genre, de conseillers compétents !
Oui, vraiment, quel dommage, également de se laisser tenter par des considérations pécuniaires, mais peut-on jeter la pierre aux artistes de vouloir vivre de leur art !!!
D'autre part, d'un point de vue global, et si je puis me permettre de vous transmettre mon humble opinion, j'admire profondément les personnalités qui manifestent ouvertement leurs convictions, ne se préoccupant pas le moins du monde d'être taxées de "passéistes" par des semblables "dissemblables" se croyant les maitres d'un monde en déliquescence, pour ne pas dire en décadence. J'en veux pour preuve l'abominable bande annonce promouvant la série de "Canal moins" sur la dynastie Borgia, avec des acteurs vociférant en duo, en trio, en quatuor... ! Quelle leçon de style ! Quant à la trame historique, qui songerait à s'en préoccuper aujourd'hui, hormis quelques "vieux barbons" dont je revendique faire partie ! Que tout cela est affligeant, au même titre qu'il est désolant d'avoir à subir des metteurs en scène manipulateurs imposant leurs lois dictatoriales, nouvelle forme de pouvoir absolu, faisant des comédiens et des chanteurs lyriques, des marionnettes assujetties censées incarner l'objet de leurs fantasmes narcissiques délirants, en "exécutant" l'ouvrage joué, s'adonnant parfois, bien malgré eux, à tant de mascarades, ne pouvant se permettre le luxe de rentrer en résistance, sous peine de ne plus être ensuite engagés. Ainsi, la pauvreté intellectuelle perdure à sévir ...
La dernière production tourangelle de Thaïs à laquelle il nous a été offert d'assister lors de "journées portes ouvertes" opératiques, en est une illustration accablante, puisque le "mauvais goût" y est à l'honneur. Effectivement, sous prétexte de dégager cet ouvrage de quelques fioritures orientalisantes pouvant, admettons- le, lui porter préjudice par des falbalas extérieurs, le metteur en scène invité, sous la houlette d'un maestro en totale accord, sinon éperdu d'admiration devant ses "géniales trouvailles", nous à livré une version tellement épurée en adéquation, assurément, de sa lecture de "visionnaire" chargée de dépoussiérer un argument jugé, sans doute, passéiste (son exercice d'ancien chef de chant, aidant...) que nous n'en sommes que davantage redevables aux interprètes d'avoir su relever pareil défi, particulièrement au baryton Didier Henry nous campant un Athanaël complexe, traversé de failles humaines bouleversantes, son cri déchirant à la fin du troisième acte, ayant réussi l'exploit de nous faire presque oublier le cadre dans lequel il est situé, soit, ni plus ni moins une décharge d'immondices recyclés, indigne des compagnons d'Emmaüs, se voulant, aux dires de l'intéressée interrogée, madame D. de l'Opéra d'Avignon, que probablement, vous connaissez à titre personnel, la traduction des "Chiffonniers du Caire" de Sœur Emmanuelle, l'héroïne étant elle-même, je cite textuellement son auteur, une sorte de "Paris Hilton" repentie, atteignant la rédemption par sa conversion de missionnaire.
Pourquoi vouloir à tout prix se référencer à notre époque pour se donner l'illusion d'une modernité factice ? À quoi bon être "tendance" si c'est dans le dessein assumé de caricaturer, voire brocarder une société dont nous connaissons les travers et qui contribue à desservir l’œuvre, par une "mise en lumière" ou plutôt en abime de celle-ci. Quel regrettable gâchis !
Je conclurai ce message, en épousant une pensée de Guy de Maupassant proclamant la devise suivante :
"Être dans le vent est une ambition de feuilles mortes."
Une "Précieuse dégoûtée" alias une Valérianacée
en passe de devenir une conservatrice patentée...revendiquée !
Suite et fin sur la légendaire courtisane ayant inspiré Anatole France venant prendre du repos en sa belle demeure tourangelle de la Béchellerie (Saint-Cyr sur Loire), juste en face de celle du philosophe Henri Bergson...
Méditation devant la dépouille de Thaïs d'Anna de Noailles
(extrait d'une prose poétique composée vers 1907)
Entourée de palmes tressées, fendues et jaunies par les âges, pressant entre ses mains d'antiques fleurs semblables à un petit bouquet de lavande, Thaïs la courtisane étend sous la vitrine du musée ses jambes sèches, couleur de bois de rose. Deux délicates chaussures d'argent mou restent pendues au bout de ses os cramoisis. Renversé et pourtant dressé, le visage vidé, où sont collés des cheveux, épouvante. Sous le menton, un frêle collier de verre multicolore se relâche comme la corde au cou d'un supplicié.
Ainsi roide, décharnée, loqueteuse, cette enivrée d'amour qui, autrefois, vivante et dansante, portait tout le ciel égyptien sur sa poitrine comme ses modestes compagnes attachaient à leur col un scarabée de pâte bleue aux ailes éployées, ressemble à quelque vagabonde qu'on a ramassée dans la rue et jetée sur un banc d'hôpital.
En vain l'écharpe teinte dans la pourpre des rois roule autour de ce crâne et de ce cadavre ses flots tumultueux qui font songer aux vagues du Cydnus reflétant la voile rouge de Cléopâtre: la mort a fait de Thaïs - la - Voluptueuse une mendiante fatidique, acariâtre et grimaçante.
Près d'elle, le moine Sérapion, qui l'a aimée et redoutée, n'offre plus que l'aspect d'un branchage desséché, mais une ceinture aiguë et des anneaux de fer impriment encore à son squelette les froissements de la pénitence. Voici donc, réunies sous cette vitrine, la Chasteté et la Volupté, toutes deux décomposées, tragiques et narquoises! Mais tandis que l'anachorète Sérapion nous étonne et nous irrite comme un forcené qui ne veut rien entendre et qui, sans apaisement, perpétue son tourment acharné jusque dans le néant frivole d'un cube de verre, la plaintive courtisane émeut par son abandon sans recours et son patient reproche: pauvre Thaïs, vivante elle n'eût accepté aucun des gestes que la faiblesse de la mort lui impose! Ses jambes adroites, ses mains, son visage, dont elle jouait avec une précise agilité, comme jouent du luth d'experts musiciens, ont l'indigence de l'instrument rompu d'où s'est envolée la mélodie.
En l'arrachant du sol antique, en brisant son cercueil, on a trahi sa profonde confiance, car sans doute, mourante et lassée de la vie, eut-elle faim de la terre comme elle avait eu soif de l'azur égyptien, dans les jours étincelants où elle habitait sa maison de chaux, contre laquelle, vers midi, un groupe de jeunes palmiers jetait son triangle d'ombre noire et de fraîcheur.
Aujourd'hui, vous voilà sous mes yeux, longue morte aux tons de rose fanée. Votre squelette, couleur de santal, semble un bois aussi vénérable que celui des rosaires bénits.
Exemplaire, sanctifiée, puissante, vous reposez sur des palmes tressées que déposèrent dans votre tombeau, il y a deux mille ans, des religieuses innocentes qu'édifiait votre repentir; mais je ne vois que le petit collier de verre multicolore, humble joug de votre vie frivole, et votre long voile de pourpre qui perpétue autour de vous les flots soulevés de votre sang passionné.
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