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Le temple du goût

12272718065?profile=originalIl s’agit d’un ouvrage en prose et en vers de François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), publié anonymement à Rouen chez Jore en 1733; réédition à Amsterdam en juin de la même année. Une édition remaniée avec changements portant sur le style et la structure de l'ouvrage, parut dans les Oeuvres de M. de Voltaire à Amsterdam chez Desborde en 1739, suivie de nombreuses éditions avec variantes.

 

En novembre ou décembre 1732, peut-être sur une suggestion du cardinal de Polignac, Voltaire commence à composer son Temple du goût. Il est alors installé chez Mme de Fontaine-Martel, une veuve septuagénaire, passionnée d'opéra. Le Temple du goût doit sans doute beaucoup aux conversations de son salon. La première version fait pousser les hauts cris. Accusé d'impertinence et de présomption, Voltaire se laisse "rogner les ongles". Il remanie son ouvrage, mais n'obtient point de privilège: cette seconde édition doit paraître en Hollande. Une "Lettre à M. de C***" [Cideville] désamorce les critiques: le Temple du goût est une "plaisanterie de société", et il convient de distinguer entre le libelle, la satire et la critique. Puis Voltaire va combiner les deux versions: l'édition de 1739 propose un texte plus court et centré sur la critique littéraire.

 

Dans toutes les versions alternent parties narratives en prose et petits poèmes. Le schéma est celui d'un voyage allégorique au pays du goût. Le narrateur et le cardinal de Polignac cheminent vers le temple du goût. La critique en interdit l'accès aux commentateurs pesants, aux novateurs ridicules, aux précieux. Un bon nombre d'hommes de lettres et d'artistes sont dans une sorte de purgatoire; le paradis n'est ouvert qu'à quelques grands hommes.

Le texte de 1733 (Jore) est le plus piquant. Houdar de La Motte et Jean-Baptiste Rousseau ne seront admis dans le temple qu'après avoir brûlé les deux tiers de leur oeuvre. A l'intérieur siège Fontenelle, en compagnie du bon Rollin. Benserade, Voiture, Guez de Balzac, Saint-Évremond n'occupent plus la place qu'ils avaient eue jadis. Des écrivains, des artistes, sont énumérés et jugés. Des filles d'opéra voisinent avec des princes du sang ou des prélats, auxquels sont décernés des éloges. Dans le saint des saints, huit grands écrivains du siècle de Louis XIV sont occupés à corriger leurs ouvrages: La Bruyère, Fénelon, Bossuet, Corneille, Racine, La Fontaine, Boileau, Molière. La visite se termine par une exhortation du dieu du goût à cultiver les lettres.

 

Dans l'édition "véritable donnée par l'auteur" (Amsterdam, 1733), le texte est précédé d'une sorte de préface, la lettre à Cideville. Voltaire fait des concessions. Il supprime les vers où il vengeait la mémoire de Mlle Lecouvreur, ceux où il avait fait l'éloge de l'esprit philosophique de son ami Maisons. Il adoucit bien des critiques.

Le texte de 1739 enfin supprime bon nombre des dissertations sur les arts plastiques, et ne reproduit pas la lettre à Cideville. Ce sont des préoccupations esthétiques qui ont inspiré les remaniements de cette édition.

 

Lorsqu'il paraît, ce "temple du dégoût" vaut à Voltaire des critiques acerbes, il est "détesté et lu de tout le monde", "tous sont mécontents, et les loués et les blâmés". Plusieurs parodies sont jouées: Polichinelle sur le Parnasse, Polichinelle dieu du goût, Polichinelle cuisinier ou le Vrai Temple du goût. Des répliques circulent: un Essai d'apologie des auteurs censurés dans "le Temple du goût", des Observations critiques sur "le Temple du goût" de Jean du Castre d'Auvigny, une Lettre de M*** à un ami de l'abbé Goujet. Voltaire est même menacé d'être envoyé à la Bastille. Une vraie tempête pour une revue d'actualité, de ton satirique, il est vrai.

 

Ce genre de voyage allégorique n'était pas une nouveauté. Montesquieu avait donné un Temple de Gnide, Voltaire un Temple de l'Amitié. La Lettre de Clément Marot de Sénecé (1687) qui raconte l'arrivée de Marot aux Enfers, le Parnasse réformé (1669) de Gabriel Guéret, le poème "Du goût" de Roy, le Voyage du Parnasse (1716) de Limojon de Saint-Didier établissaient des hiérarchies littéraires. Mais c'est le "ton décisif" de Voltaire qui fit crier. Les personnalités n'étaient pas absentes de son oeuvre: J.-B. Rousseau, dans un épisode burlesque, expiait ses torts à l'égard de Voltaire. Les jugements étaient directs, et parfois abrupts: on reprochait à La Bruyère des "tours durs et forcés", à Fénelon, les répétitions du Télémaque, à Corneille, son manque de discernement, à Racine, des galanteries monotones, à Bossuet, des familiarités dans les Oraisons funèbres, à La Fontaine, des longueurs dans ses Contes, à Boileau, les pièces faibles de sa vieillesse et sa dureté à l'égard de Quinault. Les variantes des éditions suivantes proposent des appréciations plus nuancées, non seulement des grands classiques, mais aussi d'auteurs de second rang. Malgré sa fantaisie, le Temple du goût est un essai méthodique de critique littéraire inspiré par un classicisme libéral.

 

Avec ses distinctions, ses demi-exclusions, ses approbations et ses réserves, cet ouvrage couvre un champ beaucoup plus large que les textes critiques antérieurs de Voltaire (Lettres sur Oedipe, Essai sur la poésie épique). Moins pointilleux que les Commentaires sur Corneille, il annonce, par sa verve et sa liberté de ton, bien des jugements littéraires que l'écrivain a disséminés dans ses oeuvres et dans sa correspondance.

Musiciens, peintres, sculpteurs, acteurs, amateurs de théâtre, prennent place dans le Temple du goût. Pour Voltaire, le Beau est un, démarche qui le conduira à établir le double "catalogue" des écrivains et des artistes célèbres dans le Siècle de Louis XIV.

 

Le Temple du goût n'est pas, comme l'affirmait Desfontaines, la "production d'une petite tête ivre d'orgueil", mais l'expression d'un certain goût qui s'efforce d'apprécier au plus juste. Malgré ses enjeux, l'ouvrage reste un divertissement de qualité. Non sans virtuosité, Voltaire sait croquer des silhouettes, faire danser des vers légers. Loin de tout pédantisme, de tout dogmatisme, ce temple "à la française", avec ses badinages, reste imprégné d'alacrité intellectuelle.

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