LE SURREALISME ANCESTRAL DE WILLIAM KAYO
Du 30-04 au 18-05-14, l’ESPACE ART GALLERY (35, Rue Lesbroussart, 1050 Bruxelles) organise une exposition consacrée à l’artiste Camerounais WILLIAM KAYO, intitulée LES PIECES DU TEMPS.
Dire de l’art contemporain africain qu’il résulte d’un brassage entre les expressions artistiques autochtones et les principaux courants occidentaux est effectivement fort juste, néanmoins, n’en va-t-il pas de même pour toute forme d’art en pleine régénérescence ? Qu’aurait été l’art Français du début du 20ème siècle si ce dernier avait refusé d’explorer les plastiques ainsi que les mythes océanien et africain ? De quelle autre façon aurait-il pu prendre conscience de ce qu’André Malraux appelait : la prise de conscience de la totalité de l’Art ?
Il y a un certain nombre d’années, dans une galerie bruxelloise en vogue, se tenait une exposition sur l’art contemporain des Schona du Zimbabwe. C’était, à l’époque, l’une des premières tentatives de présentation d’œuvres contemporaines africaines. Et ce choix n’était en rien anodin, en ce sens que concernant l’histoire des arts traditionnels de l’Afrique Noire, l’art Schona représente une exception car il s’agit d’une des rares sculptures lithiques, par opposition à la tradition plastique sur bois, que l’on retrouve dans la totalité du continent africain. Contrairement à ce que d’aucuns imaginaient, les réactions furent pour le moins mitigées, en ce sens que le sentiment de regarder des pièces issues d’artefacta occidentaux auxquels l’on aurait apporté « une touche » africaine, se dégageait. En fait, l’idée sous-jacente au sortir d’une telle exposition était la suivante : ce qu’a fait un Brancusi, un sculpteur Africain peut le faire aussi ! Evidemment, l’Art du 20ème siècle fut régénéré par l’ « Art Nègre » mais force était de constater, à l’époque de cette exposition sur l’art Schona contemporain, que quelque soixante-dix ans plus tard, les artistes Africains assuraient un « retour à l’expéditeur » en bonne et due forme. Heureusement, et ce depuis maintenant plusieurs années, nous n’en sommes plus là ! Une voie a été tracée laquelle recule constamment les sentiers battus.
Et le résultat s’exprime avec un créateur tel que WILLIAM KAYO.
De quelle manière considérer son œuvre au sein de l’histoire de l’art africain contemporain ? Il s’agit d’un artiste qui, adolescent, entra de la façon la plus anodine, en contact avec l’art de Salvador Dali tout simplement en feuilletant un journal. Ce contact, absolument fortuit, le conduisit à aimer follement le Surréalisme, au point de s’engouffrer dans cette voie comme première approche créative jusqu’à trouver, au fil du temps, son propre langage à l’intérieur d’un substrat culturel fourmillant de traditions à la fois orales, musicales et plastiques.
Au premier regard, une alchimie subtile entre l’Afrique et l’Occident perce des œuvres de ce plasticien. Nous somme subjugués par la maitrise avec laquelle ce dernier appréhende l’espace et la lumière.
SOLITUDES (80 x 80 cm – technique mixte)
est une évocation scénique d’une Afrique ancestrale, enveloppée dans un halo en fusion, composé de blanc évanescent se mariant au vert virant vers le jaune-clair. Les personnages évoluent dans un décor rural. Dans cette œuvre, l’on remarque une interpénétration réussie entre le dessin (ce fut sa première forme d’expression) et la peinture. Cela apparait flagrant avec le rendu physique du jeune agriculteur, lequel est très peu atteint par la polychromie dont les contours à la mine structurent les lignes directrices, tant pour l’anatomie que pour les vêtements. Une zone se révèle vers le haut, à droite du tableau, laissant apparaître ce qui ressemble à une ferme, auréolée d’une lumière flamboyante. Une portion de la toile a été soulevée et travaillée vers la droite, accentuant l’impression d’une construction architecturale.
La conception des personnages est caractéristique de l’œuvre de WILLIAM KAYO, en ce sens qu’à l’exception de PORTRAITS (65 x 70 cm – technique mixte),
présentant des femmes Africaines souriant ainsi que pour SOLITUDES, où le jeune agriculteur a manifestement été portraituré, les personnages conçus par l’artiste se réduisent à la plus simple expression de silhouettes, frêles et diaphanes, souvent campées debout, toujours baignées d’une lumière enveloppante, mises en exergue par un contour extrêmement appuyé, conçu à la sciure de bois.
« Les silhouettes nous suivent », affirme l’artiste, en pointant son doigt vers le sol pour désigner nos ombres. Ce sont là les traces que nous laissons de nous-mêmes ».
Dans HORIZONS (90 x 90 cm – technique mixte),
les silhouettes se dressent au loin. Une zone rouge incandescente, comprise entre des notes bleues, en dégradés et jaunes, fait irruption au centre du tableau.
Est-ce l’horizon qui se dessine ? Toujours est-il que dans cette œuvre les personnages féminins, plutôt stylisés, « regardent » au loin. Sauf que nous ne voyons pas leur regard, nous le devinons. En fait, nous le devinons parce que nous substituons le nôtre au leur. Et cette boite de cirage rouillée, campée au cœur d’une zone noire, à hauteur du regard, que l’artiste a trouvée au fond d’une poubelle, arrive dans la composition comme un imprévu, un élément volontairement perturbateur, censé brouiller la magie du moment. Où se situe-t-elle face à l’horizon ? Où se place-t-elle face à nous-mêmes ? Et cet horizon qui divise le tableau, qu’est-il réellement ? Le visiteur se situe précédant les personnages mais de quel côté de l’horizon est-il lui-même ? L’horizon est une vue de l’esprit car il change selon les latitudes. Selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre. Observez cette série de collages, à peine perceptibles, réalisés de façon minimaliste, se fondant dans les diverses zones chromatiques, sous-tendant à l’instar d’un muret imaginaire, le haut et le bas du tableau, tel l’horizon définit le ciel et la terre. Le titre de l’œuvre se décline au pluriel. Sa lecture nous en fournit les clés.
Les couleurs ont une grande importance. Celles utilisées par l’artiste peuvent globalement être rangées en deux catégories :
Couleurs tendres : PORTRAITS (mentionné plus haut) - SOLITUDES (mentionné plus haut) – JOUEUSES DE NGONI (65 x 70 cm – technique mixte)
Couleurs vives : TOTEMS (90 x 90 cm – technique mixte)
– HORIZONS (mentionné plus haut) – SCENES (50 x 90 cm – technique mixte)
Mais il y a aussi (cela arrive souvent) une catégorie intermédiaire dans laquelle couleurs tendres et vives se côtoient dans un résultat surprenant :
JUST FOR DREAM (65 x 70 cm – technique mixte)
retient notre attention parce qu’il pose une question cruciale : y a-t-il un surréalisme « à l’africaine » ?
Ou le surréalisme est-il définitivement universel, susceptible d’être interprété selon chaque sensibilité culturelle ? La force du surréalisme est qu’il nous révèle un autre Sacré : celui du quotidien transcendé par le pouvoir d’une démarche immanente.
Grand amoureux de René Magritte, l’artiste garde un lien à la fois affectif et esthétique avec le surréalisme classique.
Quelles sont les particularités du style surréaliste de WILLIAM KAYO ?
Surréalisme classique : statisme des personnages, encadrés dans cinq zones compartimentées, telle en architecture en suspens. A l’instar du « surréalisme » magrittien, le personnage est, avant tout, statique, voire impassible. Il évolue, soit en dehors de tout cadre architectural, soit au sein d’une architecture qui ne s’impose nullement par rapport au personnage.
William Kayo : les personnages sont en habits traditionnels – utilisation de la lumière (vive et chaleureuse) par rapport à celle de Magritte (relativement tiède ou objet d’analyse psycho-chromatique : cfr. L’EMPIRE DES LUMIERES (1953-54).
Il s’agit, chez l’artiste, d’une conception plastique de l’onirique qui envisage le rêve que pour ce qu’il est. Non pas d’une arme contre un système d’idées. Il est vrai que si la symbiose entre surréalisme et art africain interpelle à plus d’un titre, c’est parce qu’elle exprime cette volonté de rapprochement interculturel, désormais ancrée dans le siècle. Une démarche que l’artiste qualifie de Modernité : un brassage des meilleures influences culturelles venues de l’extérieur, enrichissant le substrat culturel vernaculaire.
Quiconque connait un tant soit peu les arts traditionnels de l’Afrique Noire, ne peut séparer les productions artistiques d’avec leurs composantes magico-religieuses. C'est-à-dire, les réalisations plastiques, d’une haute perfection technique du monde fabuleux des esprits ayant souvent revêtu le statut d’Ancêtres. Un monde tel que celui-là peut aisément se passer de « surréalisme » car ses racines baignent dans une spiritualité immémoriale. Un monde dans lequel l’Homme, passant de classe d’âge en classe d’âge, se fond dans une conception de l’Histoire tendant vers l’Humanisme comme finalité. L’Humanisme africain !
WILLIAM KAYO assure ce rapprochement interculturel en le considérant comme un « engagement », qu’il fait vivre pleinement au visiteur, en interpellant ses interrogations propres sur le Monde. Les messages culturels qu’il met en exergue sont exprimés de façon subtilement politique.
Nous le constatons dans JOUEUSES DE NGOMI (déjà mentionné). Le « ngomi » est un instrument à deux cordes, typique de la région de l’artiste.
Jadis, il était joué exclusivement par les femmes. Désormais, ce sont les hommes qui se le sont approprié et voient d’un très mauvais œil les femmes qui le pratiquent.
Précisons, néanmoins, que si les hommes l’ont adopté, c’est essentiellement en tant qu’ « arme » pour exprimer un message de paix. La sœur cadette de l’artiste joue d’ailleurs de cet instrument, de façon professionnelle, en dépit de l’interdiction dictée par les hommes.
L’artiste qui a réalisé ses études artistiques à l’IFA (INSTITUT DE FORMATION ARTISTIQUE de Mbalmayo, au Caméroun), ne s’abandonne jamais à une surcharge de matière pour attaquer la toile. Tout « excès » existant se justifie dans sa fonction créatrice : conception du volume pour les tissus (cfr. TOTEMS), structures portantes pour chaque cadre (cfr. JUST FOR DREAM).
Il retravaille toujours ses tableaux à la sciure de bois et n’hésite jamais à utiliser des éléments extérieurs tels que le papier ou divers accessoires en fer, interagissant avec la perception immédiate du visiteur.
Bien que jeune, il totalise déjà vingt-six ans de travail et nous avoue qu’il n’aurait jamais pensé trouver dans la peinture l’objet de sa vocation.
Lorsqu’on lui demande ce qu’il espère de l’art africain contemporain, il axe ses espoirs sur une amélioration concernant les structures existantes permettant d’élargir les possibilités à l’accès au Marché de l’Art pour les artistes Africains qui se battent face à ce qu’il qualifie de « chasse gardée ».
WILLIAM KAYO se bat avec son art pour permettre au Monde d’accéder à la classe d’âge du dépassement.
Collection "Belles signatures" (© 2014, Robert Paul)
Lettres
N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement.
A voir:
Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
François Speranza: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles (30 avril 2014).
(Photo Robert Paul)
Au vernissage du 30 avril 2014:
Madame Fadila Laanan, Ministre de la culture et William Kayo
William Kayo et Robert Paul
Commentaires
L’artiste camerounais William Kayo a exposé ses œuvres dans la galerie en 2014. Et son billet d’art du critique d’art François Speranza à été publié dans le « Recueil n° 3 de 2014 » par « Les Éditions d’art EAG » dans la Collection « États d’âmes d’artistes » en 2016.
Lien vers la vidéo lors du vernissage de son exposition dans la galerie :
https://youtu.be/YCYqlCPHArU
Chère Rolande,
Vous avez donc rencontré l'Ixelloise de naissance (Rue Keyenveld, 48) Audrey Hepburn au cours du tournage du film de Fred Zinnemann "The Nun's story" (1959) ? Intéressant ! Cela a dû vous laisser un souvenir impérissable. Tout comme le film, j'imagine ! Une oeuvre remarquable qui failli obtenir l'Oscar mais qui dû céder la place à "Ben-Hur" ! Enfin...on ne refait pas l'histoire du Cinéma.
Belle soirée à vous,
François.
C'est tout simplement magnifique, magique. Un véritable festival onirique baignant dans une subtile lumière qui s'insinue comme dans des vitraux. Les panneaux "Just for dream" reflètent des trésors de spiritualité.
J'y retrouve aussi toute cette Afrique que j'ai eu le privilège de connaître. Non pas en voyageuse touristique .... mais pour y travailler, y vivre, apprendre à l'aimer, aimer ses habitants qui déjà vivaient en moi, jusqu'au risque de me perdre .... comme dans le titre d'un film célèbre mais bien oublié. Dont j'ai vu tourner une scène et rencontrer l'actrice principale.
A vous d'en deviner les titres et nom.
Plein de succès pour cette exposition. Le carnet de Moleskine recèle un trésor de plus.
Heureusement que vous existez .... pour que l'Espérance ne meurt pas.
Amitiés. Rolande
Grand succès!!!
Just for dream (détail)
Just for dream (détail)
Les pièces du temps sont admirablement mises en place.
Heureuse de découvrir cet artiste dont je trouve le travail magnifique! Bravo!
Par contre, je ne vois pas en quoi vous le qualifiez de surréaliste... Bien sûr je n'ai pas qualité pour juger, mais le surréalisme n'implique-t-il pas l'absurde?
Je vois ici de l'onirisme, de la poésie, même à la Miro dans la volonté de simplifier le dessin et de mettre des distances entre les îles de couleurs pour mieux les fondre ailleurs. Je vois la chaleur, la joie, l'espoir et la spiritualité propres à beaucoup d'Africains. Je vois les wax transformés en oeuvres d'art et on sent bien l'heureux mélange de cultures, en effet...
Bref, je répète, je trouve ça magnifique!
Merci aussi au réseau de nous faire découvrir de tels talents.