"Le siècle de Louis XIV" est un essai historique de François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), publié à Berlin chez Henning en 1751.
C'est en mai 1732 que Voltaire songe à écrire une histoire du règne de Louis XIV. Il rassemble des documents, mais ne s'attelle à l'ouvrage qu'en juin 1735 à Cirey. En décembre, il en est à la bataille de Hochstedt. Il communique un manuscrit à Frédéric de Prusse en 1738, envisage une publication en Hollande. A titre d'essai, il intercale deux chapitres dans un Recueil de pièces fugitives en 1739. La police en opère la saisie, le conseil d'État en ordonne la suppression. Il a défini son propos, qu'il expose dans une lettre à l'abbé Dubos: faire «l'histoire de l'esprit humain, puisée dans le siècle le plus glorieux à l'esprit humain». Il écrit des Anecdotes en 1746, emporte tous les matériaux qu'il a accumulés lorsqu'il part pour Berlin en juin 1750. Il y travaille «soir et matin» et, en mai 1751, il a achevé ce «grand bâtiment». Le Siècle sera publié à Berlin, chez le libraire du roi, Henning, et sous la direction d'un conseiller aulique, M. de Francheville. Voltaire fut mécontent de cette édition, où il avait imposé une nouvelle orthographe. Il s'efforce d'obtenir au moins une permission tacite pour une publication en France. Il envoie maintes corrections, demande même en avril 1752 qu'on empêche l'édition Henning d'entrer en France. Ses efforts sont inutiles. Une nouvelle édition, plus ample que la première, commencée en avril 1752, est confiée à Walther à Dresde. La Beaumelle, avec lequel Voltaire s'est brouillé, publie une édition accompagnée de notes critiques. Dès 1753 paraît le Supplément au «Siècle de Louis XIV», où Voltaire répond à son détracteur. De nouvelles éditions avec des additions importantes, surtout en ce qui concerne les affaires religieuses, paraissent en 1756, puis en 1768.
D'emblée, Voltaire annonce son intention de peindre «non les actions d'un seul homme, mais l'esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais» (chap. 1). Puis, en guise de préliminaires, il évoque la minorité de Louis XIV, la Fronde, l'état de la France jusqu'à la mort de Mazarin en 1661 (2-6).
Les débuts du règne sont marqués par des problèmes de prestige. A la mort de Philippe IV d'Espagne, Louis XIV réclame le Brabant et la Franche-Comté qu'il va conquérir. La paix d'Aix-la-Chapelle en 1668 l'amène à se contenter d'avantages limités (8-9). La guerre de Hollande se clôt en 1678 par la paix de Nimègue. La France a soutenu une guerre générale: belle campagne de Turenne, dernière bataille de Condé à Seneffe (10-13). Le déclin de la prépondérance française commence avec la guerre qui se termine en 1697 par la paix de Ryswick (14-17), puis continue avec la guerre de la Succession d'Espagne (18-24). En 1709, le territoire français est envahi (défaite de Malplaquet); en 1712, le maréchal de Villars remporte une brillante victoire à Denain. Après la paix d'Utrecht (1713), Voltaire trace un tableau de l'Europe jusqu'à la mort de Louis XIV. Quatre chapitres sont consacrés à des «particularités et anecdotes»: magnificence de la vie de cour, histoire du Masque de Fer, disgrâce de Fouquet, passion du roi pour Mlle de La Vallière, politique de mécénat, triomphe de Mme de Montespan, mort d'Henriette d'Angleterre, histoire de la marquise de Brinvilliers, supplice de la Voisin, destinée singulière de Mme de Maintenon, deuils à la cour et portrait du roi (25-28). Suit un aperçu de la politique intérieure: gouvernement, police, commerce, lois, armée, finances, qui rend hommage aux mérites de Colbert (29-30).
La vraie gloire du «Siècle de Louis XIV» éclate dans les quatre chapitres consacrés aux sciences et aux arts (31-34), qui évoquent les découvertes, les grandes oeuvres littéraires, musicales, artistiques de ce règne. Le tableau s'assombrit avec les quatre chapitres suivants, qui traitent des disputes ecclésiastiques, du calvinisme, du jansénisme, du quiétisme et, déplorent la révocation de l'édit de Nantes, les horreurs des dragonnades et de la guerre des camisards (35-38). L'ouvrage se clôt avec les intrigues des missionnaires jésuites en Chine, où ils se sont rendus odieux (39). La «Liste raisonnée des enfants de Louis XIV», celle des «Souverains contemporains» et des grandes personnalités du XVIIe siècle, le «Catalogue de la plupart des écrivains français», celui des artistes célèbres, constituent des appendices importants.
Au début de son ouvrage, Voltaire définit les «siècles» comme des «âges heureux où les arts ont été perfectionnés». Il distingue quatre siècles, tous dominés par des personnalités d'envergure: Philippe et Alexandre, César et Auguste, les Médicis, Louis XIV. S'il n'a pas inventé ce concept de «grand siècle», il lui a donné un poids tel qu'il a marqué la vision du XVIIe siècle français. La grandeur du souverain ne se dissocie pas de celle de son temps: Voltaire a élargi son point de vue depuis l'Histoire de Charles XII, conçue comme une biographie dramatique. Le portrait du roi trouve place dans un siècle qui témoigne des progrès de la raison et où s'est fait «dans nos arts, dans nos esprits, dans nos moeurs, comme dans notre gouvernement, une révolution générale».
On doit à cette orientation les parties les plus neuves: les chapitres sur les sciences et les arts, les catalogues des écrivains et des artistes. On lui doit aussi un élargissement des perspectives, sensible dans bien des pages, même celles qui sont événementielles. Voltaire ne néglige pas le rôle déterminant des individus, mais il s'efforce de saisir des collectivités humaines, de faire revivre la cour, le monde ecclésiastique, d'analyser les succès de l'administration, les développements des manufactures, de la marine, du commerce. Ces vues philosophiques coexistent avec des histoires de négociations, de guerres, des récits de bataille qui occupent plus de la moitié de l'ouvrage. Doué d'un sens aigu des réalités, Voltaire sait bien qu'il est impossible de faire l'histoire de l'esprit humain sans tenir compte des événements politiques. Il aborde l'histoire de ce règne en homme de lettres et pense qu'il faut «une exposition, un noeud et un dénouement dans une histoire comme dans une tragédie». La grandeur, puis les défaites de Louis XIV, donnent au récit un rythme dramatique.
Voltaire, qui a jeté l'anathème sur les détails, cette «vermine qui tue les grands ouvrages», est pourtant animé par la passion du détail vrai - à condition qu'il soit significatif. Il se documente avec soin, obtient communication d'écrits manuscrits, sollicite les témoignages afin de rectifier des erreurs. A ce sens de l'enquête se rattache sa volonté démystificatrice: elle fait merveille dans le célèbre passage du Rhin (1672), célébré comme un prodige et qu'il réduit à de plus justes proportions. Là où l'opinion commune imaginait une armée passant le fleuve à la nage sous les salves, Voltaire rétablit les faits: la sécheresse de la saison avait formé un gué, la forteresse tenue par les ennemis, le Tholus, n'était qu'une maison de péage. Voltaire ne cède ni à la mythologie qui s'était constituée autour du Roi-Soleil, ni à la vague de dénigrement qui avait vu le jour à l'aube des Lumières: son jugement apparaît remarquablement pondéré. Le portrait du roi ne tait ni ses petitesses, ni ses duretés, ni sa hauteur, mais rend hommage à ses grandes qualités. Gouverné par des jésuites ou mû par l'ambition, il commit de graves erreurs, mais il eut le sens de la gloire, il sut mettre de l'ordre dans l'État et encourager les arts. Même modération en ce qui concerne les querelles religieuses: la conclusion polémique du dernier chapitre sur les cérémonies chinoises ne sera ajoutée qu'en 1768. La passion ne l'aveugle point, qu'il évoque la papauté ou qu'il fasse une mise au point sur les biens du clergé, moins importants qu'on ne le dit.
Sans doute la perspective historique de Voltaire n'est-elle plus la nôtre. Nous ne partageons plus certains de ses préjugés, inséparables de son goût, mais le Siècle de Louis XIV marque une date dans l'historiographie française.
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