"Le sacré et le profane" est un essai du sociologue et historien française d'origine roumaine Mircea Eliade (né en 1907), publié en 1956. Cet essai clair et synthétique vise à fournir au grand public une introduction générale et raisonnée à l'étude phénoménologique et historique des faits religieux. En 1917 avec le "Sacré", Rudolf Otto ouvrait un champ de recherches nouvelles: l'analyse des modalités de l'expression religieuse. Mais surtout sensible au côté irrationnel de celle-ci, il ne se donnait pas comme objet la totalité de l' expérience du sacré. Eliade, tout en s'inscrivant dans la même perspective, entend quant à lui étudier le comportement de l' "homo religiosus", dans sa dialectique complète avec ses terreurs, mais aussi sa raison. C'est ce second aspect que toute son oeuvre met en évidence dans les sociétés archaïques et orientales. Le point de départ de l'essai, comme de toute recherche phénoménologique sur les structures ultimes de la conscience de l' homo religiosus, c'est l'opposition du sacré et du profane qui est double. D'une part ce sont deux modalités d'être-dans-le-monde dont la seconde (la profane) est récente, problématique et issue de la première. D'autre part ce sont les deux termes initiaux de la dialectique de l'hiérophanie qui caractérisent la vision sacrale du monde. Eliade ne se contente pas de décrire les structures abstraites pour les opposer à celle de l'homme profane, il nourrit son analyse d'exemples les plus divers sans croire pour autant avec Tylor ou Frazer à une réaction uniforme de l'esprit humain; l'analyse phénoménologique atteint au-delà des différences de "religions", mais les maintenant, la structure toujours répétée de l'opposition fandamentale qui caractérise toute "religiosité".
Les deux premiers chapitres très denses de l'essai d'Eliade esquissent l'analyse de l'expérience de l' espace et du temps pour l'homo religiosus. Dans l'opposition initiale du sacré et du profane à travers laquelle se structure tout le vécu de l'homo religious, le temps et l' espace se donnent comme non homogènes. L' espace est morcelé, c'est l' hiéphanie qui en révèle les points fixes, les zones réelles; c'est par elle que se fonde le monde. Eliade illustre ce point de l'examen de la manière dont sont vécues la demeure humaine et la demeure divine par la conscience religieuse. Il oppose à la "machine à habiter" de Le Corbusier, à la maison de l'homme profane, la demeure construite selon un rituel qui réitère la cosmogonie, sur un plan qui est "imago mundi". De même, à l'opposé du temps historique et profane linéaire et homogène, la conscience religieuse conçoit un temps cyclique, rompu par les fêtes et les récitations de mythes qui l'une et l'autre sont retour aux origines, réitération cosmogonique, possibilité pour l'homme d'être contemporain des dieux.
Les deux autres chapitres de l'essai explicitent la vision religieuse du monde à partir de cette architectonique. La nature entière des sphères ouraniennes aux eaux de la mort, des enfantements de la vie à la paresse des astres est emprisonnée dans les rêts d'une parole rituelle qui la fonde et la rend signifiante. Le monde parle aux consciences religieuses parce qu'il est, pour elle, créé et que tout geste sacré, toute parole sacrale, vise à réitérer cette création. En prenant pour exemple les "sites parfaits", ces jardins qui furent la passion des taoïstes chinois du XVIIe siècle. Eliade montre comment s'est désamorcée et défaite cette vision "en miroir" de la nature sacrée. La vie humaine dans son accomplissement est pensée et sentie par l'homo religiosus selon la même structure. Elle est comme l' espace, le temps et la nature morcelée: elle a ses fêtes, ses mythes, ses seuils. Une brève phénoménologie des rites de passage et des initiations à la sexualité, à la mort et au sacré suffit à illustrer ce point.
Pour conclure, Eliade s'interroge sur la seconde opposition du sacré et du profane: non plus celle qui, pour la conscience religieuse, fonde le monde et la vie mais celle qui différencie comme deux modes de l'être-au-monde la conscience religieuse et la conscience profane. Pour la conscience profane le sacré est conçu comme obstacle à la liberté mais l'homme moderne est-il vraiment profane? Peut-être pour le savoir devrait-on concevoir une histoire de la religiosité. Conçue et vécue pour elle-même et en elle-même, elle devient ensuite figure de la conscience déchirée pour être aujourd'hui "oubliée"; cela ne signifierait nullement sa disparition mais plutôt qu'elle parlerait aujourd'hui à travers les théologies de la mort de Dieu et dans l'insignifiance de la vie journalière, le langage de l' inconscient.
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