LE NOIR, ARGILE DE LA VIE : L’ŒUVRE DE JEAN-PIERRE CRANINX
Du 03-09 au 26-09-09-21, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken, 83, 1000 Bruxelles) vous présente une exposition du peintre belge JEAN-PIERRE CRANINX, intitulée : BLACK AND LIGHT.
Force est de constater que depuis 1979, les matières noires de PIERRE SOULAGES ont engendré des germinations de peintres obsédés par « l’outrenoir », en tant qu’idiome pictural et mystique. JEAN-PIERRE CRANINX est de ceux-là. S’inscrivant dans les pas de Soulages, tout en restant lui-même, il interroge le NOIR en tant que note chromatique et la retransforme, en lui conférant les pouvoirs de la révélation et de l’effacement du sujet. Et nous nous remémorons la phrase biblique magique : « Que la Lumière soit et la Lumière fut! » Il s’agit, en réalité, de l’avènement d’une rencontre dynamique, sans laquelle le mouvement n’a pas lieu. Par « mouvement », nous entendons la mise en création de la forme dans son mouvement, c'est-à-dire de son existence amorcée. L’artiste nous invite à la capter.
Nous avons, avec l’œuvre exposée, l’exemple même d’une peinture « hybride », en ce sens qu’à l’intérieur d’un même cadre, une myriade de tonalités dérivant du traitement de la couleur noire, se révèlent en un ensemble de variations tonales. Outre cela, l’intérieur du cadre, témoigne d’une belle dextérité sculpturale, car on y trouve des pistes arpentables, des rébus et des losanges en brillance. Le peintre révèle aussi des formes rappelant la silhouette humaine flottant dans l’air. Il y a, également, de matière rocheuse accrochée au cadre. Tout ce qui permet au tableau de vibrer. Mais par-dessus tout, il y a l’éternel retour de l’obscurité et de la lumière, comme fondement à la dynamique du mouvement. Spécifions, d’emblée, qu’à son grand étonnement, le visiteur ne trouvera jamais aucun titre accompagnant les œuvres. Un titre, serait selon le peintre, un moyen trop facile d’orienter le public dans une interprétation. Observons également qu’à une seule exception, nous trouverons une œuvre peinte sur toile, car d’habitude, elles sont réalisées sur une feuille en peuplier de cinq ou six millimètres d’épaisseur.
Son œuvre se définit, globalement, en deux temps : le temps des tableaux « sculptés » et le temps de tableaux « lisses ».
ŒUVRES « SCULPTEES »
(100 X 70 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : enduit, acrylique, époxy)
Est-ce l’étalement d’une onde, émergeant du centre sur le magnétisme de l’espace en expansion? A’ partir du Noir primordial (le centre), se développent une série d’ondes, en spirale, comme à partir du choc entre la pierre lancée et l’eau dormante. A’ partir de ce point noir, se construit toute une variation de clairs-obscurs, en étalement que seules les dimensions du cadre limitent dans l’espace mais que le visiteur poursuit par le biais de son imaginaire. Ce premier exemple permet, d’emblée, de comprendre la dialectique de l’artiste concernant le NOIR, conçu cette fois-ci, en tant que « non couleur », en ce sens qu’il n’existe que pour la retenir sans la restituer. Techniquement, ce type de noir, a été réalisé par des pigments à base de nanotubes de carbone, conçus pour capter l’impact de la lumière. Des reliefs, créant des ombres, ornent le centre pour accentuer, selon l’artiste, une impression de néant. Et c’est à partir de ce « néant » que s’étalent ces magnifiques variations créées sur base d’un NOIR dans une myriade de différences, révélant désormais une lumière libérée. Précisons que ce tableau est cette exception, évoquée plus haut, concernant l’unique œuvre réalisée sur feuille de peuplier de cinq ou six millimètres d’épaisseur.
(100 X 100 cm-châssis entoilé -technique mixte : acrylique, époxy)
Un véritable travail d’orfèvre structure cette toile finement ciselée. De dérivation cubiste, cette œuvre est un jeu de polygones, en losanges, de tailles diverses, destinés à capter et à expulser la lumière après l’avoir absorbée. Cet amour-rejet, à la fois physique te mystique, ne s’articule que par la différence tonale des noirs. Ces formes, à la fois concaves et convexes, assument simultanément, le maintien et l’expulsion de la lumière.
(120 X 120 CM-panneau bois sur châssis bois technique mixte : pâte papier, enduit, acrylique, époxy)
Parmi ces « tableaux sculptures », celui-ci révèle totalement sa matérialité presque cyclopéenne par deux pièces en papier mâché, posées sur le cadre, traitées de sorte à rappeler l’élément rocheux. L’ajout de reliefs a pour but de capturer la lumière. La surface lisse (particulièrement dans le bas de la pièce ainsi que les trouées laissant s’échapper la lumière) a été réalisée à base de coulées d’époxy, une matière liquide qui ne se peint pas et ne peut qu’être coulée, tout en étant contenue dans des formes.
Le fond est réalisé en ultra mât, de sorte à ne pas réfléchir la lumière et garder l’atmosphère d’un espace inquiétant.
ŒUVRES « LISSES »
(100 X 70 cm panneau bois sur châssis bois-technique : acrylique, époxy, vernis polyester)
L’objet (lequel peut être également considéré comme sujet) de cette œuvre est, essentiellement, cette série de stries descendantes, en demi-spirales, vers la base du tableau. Le but répond au besoin, carrément élémentaire chez l’artiste, de graver une empreinte lumineuse sur le NOIR. Et c’est toute l’œuvre qui brille!
(120 X 80 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : acrylique, époxy)
Le même discours soutient cette pièce, cette fois-ci, dans une argumentation plus complexe, accentuée par cette coulée d’époxy, coulant de haut en bas, à partir de la gauche et scindant le tableau sur toute sa longueur.
Ces deux œuvres se répondent simultanément, en ce sens qu’elles remontent dans le temps. Celui de l’histoire de l’Art. Remarquons, d’emblée, que l’artiste ne cultive pas exclusivement le NOIR. Il aime à les comparer à d’autres couleurs, telles que le rouge et le jaune dont il faut parler pour percevoir sa démarche.
(100 X 70 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : acrylique, époxy, vernis)
Dans un carré central d’importance supérieure, partent en gravitation, une série de quadrilatères de dimensions spatiales différentes. Ceux-ci s’opposent, non seulement dans la forme mais aussi dans leur matière, imposant leur brillance. De même que dans l’œuvre suivante (le polyptique), l’artiste se base et respecte l’esthétique rigoriste du peintre néerlandais PIET MONDRIAN (1872-1944). Ce dernier, mû par l’éthique du groupe De Stijl (le Style), à savoir l’utilisation des formes et des couleurs pures, considère les formes comme étant la concrétisation des mathématiques (exprimées par la géométrie), associées aux couleurs considérées pures, étant représentées par le rouge, le bleu et le jaune, devant correspondre à un ordre mathématique et social, dicté par l’art.
Ces couleurs « pures » étant en opposition avec les couleurs noir, blanc et gris (mélange de blanc et de noir), considérés comme des « non couleurs ». Le but recherché par De Stijl était celui de l’harmonie à la fois humaine et politique.
'150 X 150 cm-9 petits tableaux sur châssis bois-technique mixte : acrylique, époxy, vernis)
Basé sur un polyptique de neuf couleurs associées, celles-ci répondent, comme nous l’avons signalé, aux exigences de peintre Mondrian, en ce qui concerne les couleurs jaune et rouge ainsi que par la disposition des carrés, l’un par rapport à l’autre (la géométrie étant dérivée des mathématiques, dans le but d’assurer l’équilibre de l’ensemble – artistique et social). Cette œuvre polychromée a pris deux ans à l’artiste pour être réalisée. Trois types de NOIR ont été utilisés : le très brillant, le scintillant (en surface) et le très mât, en guise d’absorbant.
Le jaune et le rouge assurent l’esthétique philosophique de « De Stijl » à l’intérieur de la composition du polyptique.
(100 X 70 cm-panneau bois sur châssis bois-technique mixte : acrylique, enduit minéral, époxy)
Nous évoquions, plus haut, des formes de silhouettes et des rébus. Cette œuvre est un mélange de plusieurs procédés graphiques : le cadre central (scindé en sa hauteur), semble présenter des silhouettes découpées en contre-jour. Tandis que le carré du haut, sur la gauche, fait penser à une sorte de jeu de piste. Cette œuvre est une suite de cadres enchâssés d’un dans l’autre, témoignant d’une rare force dynamique, dans la réalisation du mouvement, assuré par l’intense traitement de la matière, à la fois lisse et rugueuse.
(120 X 120 cm-panneau sur bois-technique mixte : enduit, acrylique, époxy)
Cette œuvre, aux cadres striés, permets à la lumière de réfléchir. En ce déplaçant, les motifs se modifient. Cela est dû au fait que les stries, réalisées avec de la matière épaisse, vont dans tous les sens.
JEAN-PIERRE CRANINX est un peintre pour qui la matière compte énormément puisqu’il se définit comme « artiste du relief et de la matière à traiter ». Il utilise une technique mixte (époxy, acrylique, matières minérales, pigments…). Il a fréquenté les Beaux Arts, en obtenant un Master en Arts Plastiques Visuels. Il enseigne d’ailleurs l’Orientation en Design à Liège.
Il a, également, donné des cours de Design à Valenciennes (France). Observons qu’à l’instar des peintres de la Renaissance, il signe ses tableaux d’un monogramme, afin que la signature n’accapare qu’un minimum d’espace sur la toile. Le titre de l’exposition est, de par sa nature, fort explicite. Il nous évite de tomber dans la bipolarité : blanc/noir, noir/blanc. Le titre étant BLACK AND LIGHT et non pas BLACK AND WHITE. Par ce choix, l’artiste transcende la barrière chromatique pour atteindre l’essence même des choses.
Soulages a, comme nous l’avons spécifié plus haut, donné le stimulus à l’artiste d’entrer dans l’art et s’intéresser ainsi, comme beaucoup de peintres, à cette obsédante couleur noire. Il s’en est imprégné en assistant à plusieurs expositions consacrées au créateur de « l’outrenoir ». L’artiste s’en distingue, toutefois, par le rejet de son style qu’il juge trop « minimaliste », lequel n’utilise que deux tonalités de la couleur noire. Il rejoint, néanmoins, Soulages dans l’idée que, symboliquement, le NOIR n’est pas une couleur « négative ». JEAN-PIERRE CRANINX nous faisait remarquer que déjà, à l’Antiquité Classique et Proche-Orientale, les Egyptiens vénéraient la couleur noire car elle était apparentée au limon, lors des crues du Nil. Ce qui assurait la fertilité du sol, par conséquent la stabilité politique, religieuse et économique du pays. L’artiste, habitant La Hesbaye (région de Belgique, elle-même riche en limon noir), s’est littéralement senti attiré par cette terre noire, comme fasciné par cette argile de vie. A’ l’instar de Soulages, il considère le NOIR comme une couleur pouvant passer de vie à un trépas symbolique, selon la volonté de l’artiste, en ce sens que « couleur et non couleur », ne dépendent que du traitement chromatique qu’on lui accorde. En référence à la sentence biblique, à savoir « Que la Lumière soit et le Lumière fut », le jet lumineux apporté par le peintre est au commencement de tout. En dernière analyse, le NOIR à l’instar des autres couleurs ne vit que par la peinture.
(Le monogramme de JEAN-PIERRE CRANINX)
Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
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Robert Paul, éditeur responsable
A voir:
Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
L'artiste JEAN-PIERRE CRANINX et François L. Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles.
Photos de l'exposition de JEAN-PIERRE CRANINX à l'ESPACE ART GALLERY
Commentaires
Moi qui ai toujours adoré les noirs de Soulages...j'aime beaucoup !
L’artiste belge Jean-Pierre Craninx a exposé ses œuvres dans la galerie en 2021. Et son billet d’art du critique d’art François Speranza sera publié dans le « Recueil n° 10 de 2021 » par « Les Éditions d’art EAG » dans la Collection « États d’âmes d’artistes » en 2022.
Lien vers la vidéo lors du vernissage de son exposition dans la galerie :
https://youtu.be/szgC3e0YzT8
Merci beaucoup à François Speranza pour ce magnifique billet qui traduit très bien ma démarche artistique.
Il n'est pas toujours facile pour un artiste de se définir par des mots, son langage étant celui de l'art qu'il pratique.
C'est donc un véritable bonheur de se découvrir au travers de cette autre si belle forme d'expression qu'est le français bien écrit.
Jean-Pierre Craninx