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12272715253?profile=original« Le mal court » est une pièce en trois actes et en prose de Jacques Audiberti (1899-1965) publiée dans le tome I du Théâtre à Paris chez Gallimard en 1948.

 

Au XVIIe siècle, la princesse Alarica de Courtelande, fille du roi Célestininc, se rend en Occident afin d'y épouser le roi Parfait. Dans les cantons de l'Électeur de Saxe: un homme (Fernand) s'introduit dans la chambre où dorment la princesse et sa gouvernante Toulouse, en se faisant passer pour le roi Parfait. A l'entrée du Maréchal de la noblesse, qui ne le reconnaît pas pour tel, l'inconnu saute par la fenêtre. Il est blessé par balle et ramené dans la chambre. Arrive le roi (Acte I). En compagnie du cardinal de La Rosette, son Premier ministre, il vient annoncer à Alarica que le mariage est rompu car il épouse la soeur du roi d'Espagne. Mais, touché par sa beauté et par son désespoir, il finit par lui révéler que leur prétendu mariage, machination du cardinal, n'avait pour but que de décider les Espagnols à cette alliance. Il lui propose alors de s'enfuir avec elle, mais Alarica refuse, se sacrifiant à la grandeur du roi d'Occident. En l'absence du cardinal, elle s'offre à lui. Parfait refusant à son tour, elle lui montre Fernand qu'elle prétend être son amant. Le roi décide alors de l'épouser, mais Alarica veut lui imposer Fernand. Il sort (Acte II). Alarica a passé la nuit avec Fernand, avec qui elle a "perdu son honneur de femme". Mais devant sa candeur agaçante, celui-ci ne peut se retenir de lui avouer qu'il est un policier du cardinal, chargé de la compromettre définitivement. D'ailleurs sa gouvernante elle-même est une espionne d'Occident. Arrive le roi Célestininc, qui semble satisfait du maigre dédit qu'on lui offre: même lui "triche"... Renonçant à une impossible pureté, Alarica promeut Ferdinand amant officiel et se découvre de grands projets pour la Courtelande. Elle renverse le roi son père, se joignant au passage à la course du mal (Acte III).

 

C'est sans doute la plus célèbre pièce d'Audiberti; en tout cas la plus classique et la plus simple dans sa composition. "J'ai écrit Le mal court d'un trait, en deux ou trois heures, sur du papier quadrillé, comme si ces trois petits actes, tracés d'avance, m'attendaient quelque part dans l'espace [...]. Le cri: "Le mal court!" que la princesse Alarica pousse à la fin de la pièce constitue, sans nul doute, la constatation de ce fait que le mal, dans sa réalité comme dans sa théorie, se propage avec rapidité. Mais il exprime aussi le souhait profond que ce mal soit court et que lui succèdent l'amour et la bonté."

 

Malgré ces derniers mots encourageants, la pièce apparaît avant tout comme l'initiation brutale de l'innocence au triomphe du mal. La princesse Alarica se voit d'un seul coup livrée au machiavélisme politique (en la personne du cardinal), au mensonge (en celle de Fernand) et à la trahison (en celle de Toulouse). La naïveté d'Alarica, issue - on le comprend à la fin de la pièce - de l'idéalisme de son père Célestininc (l'homme du ciel), rêveur et musicien, est mise à rude épreuve par les différents coups de théâtre qui lui révèlent progressivement l'étendue de la machination dont elle est victime. A sa volonté d'un monde "clair", Fernand vient apporter de cruels démentis: "Parce que vous n'arrêtez pas de prendre le faux pour le vrai, de choisir le faux, de préférer le faux, j'ai envie de la prendre votre tête [...] et de la poser, crac, devant la vérité, la véritable vérité."

 

Alarica parvient enfin à la seule conclusion possible: "Le monde est ignoble." D'où cette révolte, esquissée dès la déception de l'acte II - où elle adoptait la nudité d'Eve -, qui la conduit à s'identifier au règne du mal: "Je suis dans le trou, dans la fange / Le serpent me mange, il me mange / Je suis le serpent." Puisque le mal court et qu'on ne peut l'en empêcher, autant se joindre à la course et espérer que, s'il doit quelque jour s'arrêter, "ce soit à l'extrémité définitive de sa vitesse, de sa force!". C'est le sens de la comédie jouée par Alarica au roi Parfait pour le dissuader de se marier avec elle. Sa feinte cruauté lui permet, en le mettant face au miroir, de lui offrir l'image insoutenable de sa propre mort: "Je suis la fatalité de la vie."

 

C'est que l'initiation au mal se trouve être, simultanément, et plus nettement encore que dans Quoat-Quoat, une initiation à sa dimension théâtrale. "Dès le commencement, c'était une comédie. Voilà la vérité!" Le mensonge est déguisement, jeu, apparence et Alarica ne peut qu'échouer dans son pitoyable désir d'appeler la réalité afin d'"alimenter" la comédie en s'offrant à Fernand dont elle avait cru se servir en le faisant passer pour son amant. Il lui dévoile bien vite qu'il n'est pas celui qu'elle croit et que même les mots d'amour dont il l'abreuvait étaient fictifs: il les tire d'un manuscrit écrit par un autre que lui. Alarica ne peut donc parvenir qu'au constat de l'universelle comédie: "Ainsi partout l'on triche, partout l'on fait comme si." D'où l'ambition de se rendre maître du jeu des apparences en faisant basculer son âme "du côté du mal qui est le bien, du côté du mal qui est le roi", et le renversement final du roi Célestininc. Le mal, selon la métaphore baroque qui est filée d'un bout à l'autre de la pièce, apparaît comme "le vinaigre du monde" dans la "salade" de tous les mensonges. Célestininc qui "donnait des leçons de salade" (au sens propre comme au figuré) se trouve donc renvoyé à ses chères laitues à la fin de l'acte III.

 

On le voit, la pièce reste alerte et fuyante, pleine de fantaisie, à l'image de son sujet et malgré sa gravité. Comme l'écrivait à l'époque Jean Tardieu: "Il est impossible de rendre l'impression de fraîcheur, de jaillissement et de perpétuel imprévu que donne [ce] langage si neuf et si surprenant dans notre glacial théâtre intellectuel."

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