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Le gai savoir

Le titre de l'ouvrage de Nietzsche « Le gai savoir » (1881) se réfère à la poésie des trouvères provençaux, appelée "gaya scienza", "gai saber", en tant que synthèse de chant, de chevalerie et de liberté d'esprit. Ecrit entre deux crises de sa terrible maladie, cet ouvrage, "dans lequel profondeur et malice se tiennent tendrement par la main", est parcouru par le sentiment de la victoire spirituelle sur la tyrannie du mal, victoire remportée en acceptant la vie et sans même refuser la douleur. L'amour de la vie est ici compris comme une coïncidence de soi avec le destin ("ego-fatum"), comme un "amor fati" interdisant toute négation, ne permettant même pas de lutter contre la laideur et "d'accuser les accusateurs". Le Prologue en vers comporte 63 épigrammes symboliques, justifiant pour la plupart le titre de "Plaisanterie, Ruse et Vengeance", tandis que certains, comme "Ecce Homo", sont empreints d'un souffle plus ample. Viennent ensuite cinq livres d' aphorismes.

Tout y relève de cette tonalité sentimentale que Nietzsche attribuait à Epicure, l'homme qui trouva le bonheur bien qu'il souffrit toute sa vie: le bonheur d'un regard qui a vu s'apaiser devant lui la mer de l'existence et ne se lasse plus de contempler "cette surface chatoyante, cet épiderme délicat et frissonnant". Dans un tel sentiment, le drame de l' incompréhension entre amis atteint à une haute signification tout en étant dénué de douleur, car n'est-il pas inéluctable et sacré comme les trajectoires différentes de deux astres: voir, à ce propos, "Amitié stellaire", qui fait probablement allusion à son détachement de Wagner.

Aux yeux de Nietzsche, l'idéal apparaît sous sa forme concrète dans la vie des peuples méditerranéens. La personnnalité est, en substance, ce qui doit primer en toute chose, et particulièrement en philosophie: le manque de personnalité signifie décadence de la pensée, car les problèmes exigent le "grand" amour (345). Ces affirmations révèlent une inspiration héroïque, exprimée dans les pensées 268-275, dans lesquelles la forme de l' aphorisme atteint à une suprême perfection. La pensée centrale de l' "Eternel retour" est présentée ici ("Le poids le plus lourd", 341) sous une forme qui annonce celle qu'elle prendra dans "Ainsi parlait Zarathoustra": une voix démoniaque apporte la certitude que tout reviendra: "Cette araignée aussi reviendra, ce clair de lune entre les arbres, et cet instant, et moi aussi!". Le mythe de Zarathoustra prend justement naissance dans une phrase de cet ouvrage ("Incipit tragoedia", 342), où l'inventeur du bien et du mal est représenté dans l'instant où il "aspire à redevenir un homme" et s'apprête à descendre parmi les hommes pour se libérer. Parmi les "Chansons du Prince Vogelfrei", composées en Sicile et en d'autres pays méditerranéens, on retiendra: "O mon bonheur" où la contemplation de la place Saint-Marc, à Venise, éveille un sentiment de joyeuse exaltation; "Cinglant pour les mers nouvelles" qui reprend le motif qui inspira la dernière pensée d' "Aurore", ailleurs formulée dans l'expression, que l'auteur s'adresse à lui-même, d' "argonaute de l' idéal"; "Sils Maria" où la naissance de Zarathoustra est chantée, par une sorte de dédoublement de la conscience, comme l'éclosion du mythe à partir de la personnalité du poète lui-même: "C'était ici que j'attendais, n'attendant rien... Quand soudain, amie, un fut deux, et Zarathoustra passa devant moi"; "Au Mistral, chanson à danser", qui célèbre les saturnales d'un esprit qui, au bout d'une longue patience, est assailli par l' espoir de la guérison. Le "Gai savoir" est un des meilleurs livres de Nietzsche et, par certains côtés, peut-être le plus significatif.

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