Il s’agit d’un essai autobiographique de Roger Caillois (1913-1978), publié en 1978.
La vie, l'oeuvre de Caillois furent une ample "parenthèse". Il naquit à Reims en 1913. L'univers offrait à ses yeux toutes les analogies possibles. Ces impressions influencèrent sa démarche critique et confirmèrent par anticipation ses travaux sur le sacré. Dans les décombres de sa ville dévastée, il découvrit la précarité des choses. A la recherche de l'unité absente, il analysa les pouvoirs de l'imagination par le biais du surréalisme, de la sociologie, de l'histoire des religions. Mais il rompit avec l'imprimé et considéra les livres comme de simples supports d'analogies multiples. Il découvrit le mystère du monde dont seule la poésie peut donner un équivalent. Il entrevit alors l'unité cosmique et connut la vanité de l'écriture. Il ne s'agit pas de condamner la civilisation. Seule importe la conscience de participer à la nature sauvage du monde, car s'impose à nous la fragilité de l'espèce humaine dont la complexité dénonce la faiblesse. Conscient de son inutilité, l'auteur rejoint enfin le mystère du monde dont il s'efforce de mimer par le langage l'impassibilité minérale.
Testament intellectuel, le Fleuve Alphée se donne comme la réflexion de Caillois sur son propre cheminement intellectuel. En reprenant une fable mythologique pour désigner cette évolution qui va du réel au livre puis revient au monde, l'auteur se conforme à sa volonté d'incarner la parole, de la transformer en illustration de l'idée plus qu'en substitut logique du concept. Avec une humilité de moraliste, Caillois considère son oeuvre comme une parenthèse mais il en dégage la progression cohérente. Tel Alphée, il retrouve son cours. Parvenu, au terme de son initiation, à percevoir l'unité du monde, il renverse les perspectives: il ne s'agit plus de dominer la matière pour déceler des processus analogiques universels mais de s'intégrer, lui, roseau pensant, dans le mécanisme général qui englobe toute l'espèce dans un mouvement perpétuel à la fois d'osmose avec la matière et de retour au néant. Il redevient un individu, dans la conscience de sa précarité et de son appartenance au cosmos. Ce mouvement réflexif, il en retrace la genèse en évoquant son enfance, l'époque où son imaginaire subit des influences indélébiles: il se passionna, comme les surréalistes, pour la magie des choses, dont le mystère développa sa tendance à l'analogie; puis, il perdit la prescience de cette affinité fondamentale avec le monde pour se perdre dans l'univers des livres et brider son propre lyrisme. Ensuite, il abjura la religion de l'imprimé et maîtrisa l'imaginaire. Tout devint le support d'analogies multiples mais conscientes, jusqu'au livre lui-même, objet ouvrant vers une réalité métaphysique, vers la totalité de l'univers. Ainsi l'homme n'édifie rien; simplement il met au jour une architecture secrète, à condition de savoir calquer son expression sur le langage mystérieux des objets, pour suggérer - sans l'expliciter - cette vérité qu'il approche sans jamais parvenir à la toucher.
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