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La peau de chagrin est un roman d'Honoré de Balzac (1799-1850), publié à Paris en fragments dans la Caricature en décembre 1830, la Revue de Paris et la Revue des Deux Mondes en mai 1831, et en volume sous la signature Honoré de Balzac (première apparition du de) chez Gosselin et Canel en 1831.

 

Premier succès de Balzac, deuxième roman paru sous son nom (après les Chouans, signés Balzac sans particule), ce texte relie, selon son auteur, les Études de moeurs aux Études philosophiques. La veine fantastique, aboutissement des récits précédents, exprime et illustre par ses symboles une vision de la société, sans verser dans un ésotérisme où résideraient les ultimes vérités: c'est ce que toute une critique balzacienne a appelé le «fantasme social».

 

 

La Peau de chagrin.
Fin octobre 1830, ayant perdu son dernier napoléon au jeu, un jeune homme, Raphaël de Valentin, décide de se donner la mort. Il entre par hasard chez un vieil antiquaire, qui lui offre une peau de chagrin magique: ce talisman, figurant la vie de son possesseur, lui permettra de réaliser tous ses désirs mais se rétrécira à chaque voeu exaucé. En sortant de la boutique, Raphaël rencontre trois amis et participe à une orgie chez le banquier Taillefer, notamment en compagnie de la courtisane Aquilina. Pressé par son ami Émile Blondet, il raconte les événements qui l'ont conduit à envisager le suicide («le Talisman»).

 

Après avoir hérité une petite somme à la mort de son père, Raphaël avait voulu se consacrer à une Théorie de la volonté. En 1826, ayant loué une chambre au Quartier latin, il s'était lié avec Pauline, la fille de la maison. Trois ans plus tard, Rastignac, qui lui vantait les vertus de la «dissipation», lui fit rencontrer la riche veuve russe Foedora. Il idéalisa cette comtesse froide et calculatrice qui le tint à distance. Il se lança alors dans la débauche et s'endetta. Après la soirée chez Taillefer, un héritage lui parvient: il est riche, mais la peau a rétréci («la Femme sans coeur»).

 

Raphaël retrouve Pauline, devenue riche elle aussi. Ils vivent un temps heureux, mais la peau, cet objet dont il ne peut se débarrasser, en dépit des savants les plus illustres, va diminuant toujours. Malade, Raphaël se retire à Aix, puis au Mont-d'Or, menant une vie végétative. A la dernière extrémité, il revient à Paris. Un soir, pris d'un dernier désir pour Pauline, il meurt sur son sein. Pauline devient folle, mais Foedora, ou «si vous voulez, la société», continue de briller («l'Agonie»).

 

Fascinant paradoxe du roman: la possession de la mystérieuse peau ornée d'un texte arabe, censé être du sanskrit, allant s'amenuisant comme la vie de son détenteur, le fait accéder au plus profond de la terrifiante société réelle du Paris de 1830, qui se révèle être le véritable lieu du fantastique moderne. Ainsi le regard de Raphaël, unique protagoniste au début du récit, métamorphose-t-il la maison de jeu en cauchemar et l'orgie en champ de bataille.

Homme de science et de poésie, solitaire, doué comme Louis Lambert, cet autre philosophe balzacien de la volonté, d'une intuition qui confine à la seconde vue, Raphaël est pris au coeur d'un tragique dilemme: vivre à l'économie, sans plaisirs, et ainsi durer, ou exister intensément en dépensant son capital d'énergie. Essentiellement conservatrice, la société pratique l'égoïsme généralisé, du faubourg Saint-Germain aux curistes d'Aix, de Foedora aux créanciers et à Raphaël lui-même, soucieux de repousser l'échéance que lui avait d'ailleurs prédite l'antiquaire: «Votre suicide n'est que retardé.» L'or et les prestiges de l'illusion matérialisent cet égoïsme social, d'où l'importance symbolique de la séduisante et fascinante Foedora, cette inaccessible «statue d'argent».

 

Ce dilemme est d'autant plus insoluble que la négation du désir, qui finira par emporter Raphaël, équivaut à refuser la vie même. Voilà pourquoi le roman ne saurait conclure: vivre c'est mourir, ne pas vivre revient au même. Comme Sarrasine, Raphaël est confronté aux inconciliables exigences de la création et de l'amour. Croisement de mythes romantiques, de Manfred à Faust en passant par Melmoth (voir ci-après), cette contradiction exprime aussi le désenchantement de 1830, nouvelle forme du mal du siècle. L'ancrage dans l'actualité suffit à articuler l'impuissance dont souffre Raphaël au thème politique mettant en scène une société vouée aux seuls calculs d'intérêt.

 

D'une certaine façon roman à thèse, bien que totalement exempt des inconvénients ou des lourdeurs du genre, la Peau de chagrin s'ordonne autour d'un mythe. Jouant en virtuose de l'ambiguïté, le romancier se garde bien d'attribuer au fantastique tout ce qui concerne la peau elle-même. Des explications rationnelles, ou le hasard, qui peuvent rendre compte de ses effets, se mêlent au constat de son très réel rétrécissement. Surtout, pour exprimer le drame d'un individu tenté et effrayé par une société soumise à l'implacable loi de son propre développement, Balzac fait de la peau la preuve tangible que vouloir et pouvoir n'aboutissent qu'à la destruction: «Vouloir nous brûle, pouvoir nous détruit.» Dans ce contexte, le savoir, fût-il scientifique, se trouve dévalorisé par le jeu fictionnel et compte peu face à la comptabilité des besoins et désirs de Raphaël. Toute décision se révèle irréversible: la peau n'est que la somme des possibilités offertes à un homme donné. L'argent condense alors le temps: le dépenser, et donc vivre, accélère le rythme fatal. Ce fatalisme, provisoire dans la pensée balzacienne, est daté et s'oppose aux élans romantiques d'après 1830.

 

Foisonnant, baroque par certains aspects, le roman, ou plutôt cette «fantaisie» pour reprendre le terme de Balzac, développe une esthétique des contrastes. Recourant fréquemment aux prestiges de la poésie, de la couleur orientale, aux bouffonneries rabelaisiennes (plus nombreuses dans la version originale), célébrant la volupté (ainsi la mort de Raphaël intervenant à l'acmé d'une scène fortement érotique), il oppose aussi deux figures féminines, la douce et évanescente Pauline et l'inaccessible Foedora. Toute frémissante de la jeune énergie de son créateur, la Peau de chagrin se déploie à l'orée, mais aussi hors de la Comédie humaine, non seulement parce que ses principaux personnages ne réapparaîtront guère, mais aussi parce que le Rastignac apologiste de la «dissipation» ne ressemble guère à l'ambitieux calculateur sorti de la pension Vauquer (voir le Père Goriot). Le thème central parcourra le grand oeuvre balzacien, qui peut se définir aussi comme une réécriture continue et sans cesse approfondie de la Peau de chagrin.

 

D'autres textes de la Comédie humaine exploitent la veine fantastique. En dehors des grandes oeuvres à vocation philosophique comme la Recherche de l'absolu (1834) ou la mystique Séraphîta (1835), on peut citer trois récits.

 

L'Elixir de longue vie est publié à Paris dans la Revue de Paris en octobre 1830, et en volume dans les Romans et Contes philosophiques chez Gosselin en 1831.

 

L'Élixir de longue vie.
A Ferrare au XVe siècle, Bartolomeo Belvidere a composé un élixir de longue vie, dont il a appris le secret. Sur son lit de mort, il demande à son fils don Juan de l'enduire de cet élixir dès qu'il aura expiré. Le fils enduit l'oeil du cadavre, puis l'écrase en constatant qu'il le regarde, et conserve l'élixir pour lui. Plus tard, sentant la mort venir il donne à son fils Philippe le même ordre que lui avait donné son propre père. Philippe ne parvient à ressusciter que la tête avant de briser le flacon dans son épouvante. On crie cependant au miracle, et un abbé décide de canoniser le duc don Juan. La tête, débitant des impiétés, se détache du corps et mord le crâne de l'abbé.

 

 

Jésus-Christ en Flandre, «conte philosophique», est publié à Paris chez Gosselin en 1831 et, fondu avec un autre conte (l'Église, initialement paru en 1831) pour son entrée dans la Comédie humaine en 1845. Proche des idées de Balzac lui-même, ce texte étrange affirme la nécessité de défendre l'Église pour le bien de l'ordre social.

 

Jésus-Christ en Flandre.
Après la révolution de juillet 1830, sur les lieux d'une histoire légendaire située dans la Flandre du XVe siècle, un narrateur fait un rêve, où lui apparaît une Église ruinée, dont l'incarnation sous les traits d'une belle jeune fille lui ordonne de voir et de croire.

 

Melmoth réconcilié, publié dans le collectif Livre des conteurs en juin 1835, et dans les Études philosophiques, emprunte, cas unique dans la Comédie humaine, un de ces héros à un autre écrivain: Maturin, auteur du célèbre Melmoth the Wanderer, traduit dès sa parution en 1820. A l'instar de la Peau de chagrin, ce récit relie les oeuvres fantastiques au réalisme des Études de moeurs, en introduisant un pacte avec le démon au coeur de la maison Nucingen.

 

 

Melmoth réconcilié.
Nouveau Faust, Melmoth parvient à vendre ses pouvoirs acquis auprès du diable à Castanier, caissier de la banque Nucingen. Castanier, pris entre sa femme et Aquilina, sa maîtresse, qui a pour amant de coeur un des «quatre sergents de La Rochelle» (voir laPeau de chagrin), se lasse de ses pouvoirs surnaturels, et veut les restituer à Melmoth. Ce dernier, «réconcilié» _ autrement dit sauvé _ vient de mourir. Castanier transmet alors ses pouvoirs au financier Claparon _ que l'on retrouvera mêlé à la spéculation immobilière de César Birotteau (voir Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau). Celui-ci paie ses créanciers, mais revend son pouvoir à un notaire. Ainsi sauvé à son tour, Castanier peut mourir assisté des secours de la religion.

 


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