LE CUBISME PRIMITIF RESSUSCITÉ DANS L’ŒUVRE PLASTIQUE DE FRANҀOISE BARON
Du 08-10 au 31-10-21, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken 83, 1000 Bruxelles), a consacré une exposition dédiée à la sculptrice française, Madame FRANҀOISE BARON, intitulée : NOUVELLES RÉALITÉS.
FRANҀOISE BARON s’inscrit, au sein de la continuité de l’évolution artistique, dans le dialogue qui a ouvert avec l’expressionnisme (à partir de 1908), le panorama intellectuel et culturel européen du 20ème siècle, à savoir l’aventure cubiste. De par la taille de l’objet sculpté, elle renoue avec l’esthétique de l’époque, en redéfinissant l’Homme dans les sphères humaine et spatiale.
Les pièces exposées de l’artiste se divisent en 3 séries : les danseurs, les musiciens et les « portraits ». C'est-à-dire, les sujets de prédilection du cubisme, au début du 20ème siècle. D’autres pièces apportent une plus value à son discours plastique. Les œuvres présentées attestent d’une utilisation rigoureuse de la grammaire cubiste. Les personnages, et par extension, l’Homme dans sa dimension iconographique, est présenté sous un certain nombre de facettes, le définissant dans l’espace. Les membres des corps sont repliés sur eux-mêmes, dans une dimension géométrique, proche de la mécanique d’horlogerie. Tout se tient dans cet ensemble de segments assemblés. Une coupe en appelle une autre. Et la forme apparaît, issue d’une myriade de coupes sélectives jusqu’à trouver un dialogue formel.
LES DANSEURS
ROCK BRONZE et DANSEURS offrent deux moments opposés de la danse : le mouvement séparant les danseurs et le mouvement les réunissant.
ROCK BRONZE
DANSEURS
Cela suppose deux moments rythmiques différents. Un rythme accéléré, « jazzistique » (même si, en l’occurrence, il s’agit de « rock », opposé à un rythme lent, style « slow »). Les deux moments indiquent deux phases pulsionnelles dans le rendu sculptural. Un relâchement permettant au couple de reprendre la lignée rythmique après l’avoir quittée et une fusion les rapprochant dans un enchevêtrement de courbes, créant une série de variations plastiques.
ROCK BRONZE Le rythme endiablé permet aux personnages de s’étirer jusqu’à ce que leurs formes traduisent des stries verticales, matérialisées par le manteau de l’homme et la jupe de la femme, tombant vers le bas ainsi que des angles droits spécifiques du buste, dans la diagonale qu’il forme, chez l’homme et des jambes, également en diagonale, chez la femme, accentuant la phase de séparation. Le bras gauche (droit par rapport au visiteur), que la femme soulève pour accéder à sa tête, offre une forme triangulaire, augmentant le rendu cubiste. La partie arrière de la pièce est structurée par une série de stries, à la fois verticales et horizontales, témoignant de la raideur du mouvement déclenché par les danseurs. Le rythme lent, symbolisant le rapprochement du couple, s’avère être l’antithèse de l’œuvre précédente : plus d’angles droits ni de stries verticales et horizontales.
DANSEURS Tout se joue sur la courbe, par le biais de laquelle la douceur du rapprochement s’accomplit. Cela se remarque de façon émouvante, à l’arrière de la pièce, lorsque l’on observe la main de la femme caresser la tête de l’homme, dans un geste de tendresse. Pus que tout, c’est la fusion qui s’opère. Et cela se révèle, une fois encore, en observant la partie arrière de l’œuvre, laquelle confirme la fusion des deux personnages en une seule pièce.
LES MUSICIENS
LE VIOLONCELLISTE
Nous sommes, avec cette œuvre, en plein cubisme du début du 20ème siècle. Le musicien, surtout le musicien jouant d’un instrument à cordes, tel que la guitare ou le violon, fut l’un des sujets de prédilection des cubistes tant en peinture qu’en sculpture. Cette œuvre nous montre un violoncelliste jouant. Pourquoi évoquer le cubisme du début du 20ème siècle? Parce que le style de cette pièce, dans sa conception plastique, participe de cette esthétique. En réalité, il faut voir dans cette œuvre l’émergence de deux personnages : le musicien et son violoncelle. L’un étant consubstantiel de l’autre. Et surtout, l’un étant issu de l’autre car, vu de face, l’instrument à cordes prend naissance dans le creux du musicien. Dans ses entrailles. Les deux personnages s’entremêlent et se rejoignent dans les angles. Observez le geste penché unissant le violoncelle au musicien. L’on pourrait carrément parler d’une « étreinte amoureuse », tellement le visage du musicien (ou plus exactement, le rendu de son visage) se penche, presque voluptueusement vers les volutes de son instrument, conçues comme un cou féminin. Cela provient de la diagonale formée entre le violoncelle et le corps du celliste. La tête de ce dernier opposée à la partie supérieure de l’instrument à cordes forme l’étreinte de deux corps comme pour un baiser.
PORTRAITS-VISAGES
Avec les portrais-visages, l’artiste se concède une voie intermédiaire entre le cubisme et un réalisme évoluant dans le temps.
PORTRAIT 1
Cette pièce nous propose, en quelque sorte, « le visage et son double », en ce sens que l’une de ses parties, la droite (gauche pour le visiteur), est grâce au prognathisme accentué sur cette partie du visage, fort proche du masque à la Picasso. Pensons aux « DEMOISELLES D’AVIGNON 1907) où nous retrouvons le masque africain. La pièce est scindée en deux parties, séparées par un long nez à l’arête fort épatée, se terminant par une petite bouche en cœur, délimitant les deux parties du visage. La partie gauche (droite par rapport au visiteur) est tout à fait lisse et ne présente aucun attribut. La taille de cette dernière à été réalisée dans le but d’accentuer les différences entre les deux parties tout en faisant de sorte que la partie lisse soit, à la fois plus petite que celle sculptée et par conséquent, déséquilibre imperceptiblement le volume de la pièce. Les cheveux sont conçus en de longues stries horizontales. Ce qui s’avère être la signature graphique de l’artiste en ce qui concerne le rendu plastique de la coiffure.
LES DEMOISELLES D'AVIGNON (FRAGMENT)
FIER DE SERVIR
Cette tentation de vouloir flirter avec la réalité dans la représentation du visage humain se retrouve dans cette pièce. Ce visage masculin portant un béret de marin se révèle être un hybridisme entre cubisme et réalisme, à la fois dans le style comme dans les proportions. Mais à y regarder de près, même dans l’effort réaliste, l’artiste ne peut résister à la tentation d’ « encadrer » la partie avant du visage (comprenant l’œil, le nez et la bouche - en leur moitié) à l’intérieur d’un cadre partant de l’arête du nez pour se terminer à hauteur du menton. Ce qui rappelle l’origine cubiste dans la conception de la pièce. L’oreille sort en saillie et se distingue du reste du visage. La partie arrière de l’œuvre nous révèle le béret de marin, parfaitement pensé et réalisé. La partie droite (gauche par rapport au visiteur) n’est qu’un ensemble anguleux. Cette pièce, bien qu’aboutie, donne un sentiment d’inachevé.
PORTRAIT VIERGE
L’artiste renoue avec l’iconographie « sacrée » en la personne de la Vierge. L’approche stylistique fait penser à l’art roman. Tous les attributs sont présents : la position de la tête du personnage, au visage allongé, penché vers le bas, en signe de commisération envers le genre humain. Sa position, occupant la gauche (droite par rapport au visiteur), les yeux mi-clos, légèrement soulignés par le creux délicat des cernes ainsi qu’une fine bouche fermée, répondent au vocabulaire des signes médiévaux exprimant la douceur. La chevelure est toujours formée de stries. Celles-ci occupent les deux côtés de la tête avec cette fois-ci, des ondulations bien marquées, contrastant avec les stries lisses présentes sur les autres sculptures. Un voile, posé de trois-quarts, laissant apparaître la chevelure, recouvre la totalité de la tête pour se terminer à la base du buste. Plastiquement, cette pièce est un exploit, car étant réalisée en bronze, son allure, rehaussée par sa patine, donne le sentiment de la pierre blanche et lisse, typique de la sculpture en pierre du Moyen Age.
PIETA’
L’artiste s’autorise une liberté, à savoir que le Christ ne repose pas sur les genoux de la Vierge. En fait, celle-ci le porte à bras le corps. Pour mieux exprimer son état de cadavre, le Christ a été conçu comme un pantin désarticulé qui laisse pendre ses membres vidés de leur force. Sa tête, retournée en arrière, accentue ce sentiment d’abandon. Un détail, concernant la Vierge, se situe dans la conception du visage. Celui-ci, réduit à un carré, regarde vers la gauche (droite par rapport au visiteur), ce qui diffère du contexte original de la fin du Moyen Age dans lequel le regard de la Vierge se tourne vers le Christ mort. A’ cette remarque, l’artiste insiste sur le fait que son visage dépasse le stade de la mort pour se tourner vers la Résurrection, c'est-à-dire vers le futur.
FRANҀOISE BARON a découvert la sculpture à l’âge de vingt ans après avoir « goûté », comme elle le dit, à la terre. Bien qu’elle n’ait pas une formation strictement académique, on ne peut pas la qualifier d’« autodidacte » au sens stricte du terme. En effet, elle a suivi des ateliers de sculpture à Paris qui lui ont donné les bases du métier. Les conseils avisés d’un sculpteur chinois lui ont été primordiaux pour son développement artistique.
Après sa vie professionnelle, elle s’est entièrement consacrée à son art. D’abord sculptrice figurative, elle a éprouvé le besoin de se tourner vers autre chose.
Le cubisme s’est avéré être une révélation, celle de la forme, non plus abordée de façon « réaliste » mais bien transformée en une myriade de segments, chacun d’entre eux à l’origine de l’autre. Cela l’a assurée dans la conviction que l’on peut dire plus de choses par le biais du cubisme. Sa démarche créatrice implique, comme nous l’avons vu, l’emploi d’un langage comportant, à la fois des courbes, des droites et des angles. Ces formes sont les outils tactiles appuyant la manifestation du sentiment dans le rendu plastique. Sa sculpture est, stylistiquement, fort proche du cubisme du début du 20ème siècle. On ne peut s’empêcher de penser à Lipshitz dans l’évolution de la forme et cela est fabuleux car il ne s’agit nullement d’un « retour à l’expéditeur » mais bien du résultat inconscient de sa production artistique, à l’intérieur d’un environnement contemporain. Remarquons que la sculpture cubiste est fille de la peinture du même style. Dès lors, il nous a été impossible de ne pas poser, à l’artiste, la question à savoir si la peinture lui était familière. Elle nous a répondu par la négative, en insistant fortement sur le fait qu’elle ne peut, en aucun cas, concevoir une œuvre de façon préparatoire. Tout au plus, peut-elle avoir une vague idée d’ensemble mais cela s’arrête là.
A’ par trois exceptions, l’artiste aborde le corps humain par la géométrie. Celle-ci trouve sa plénitude dans la formation du carré pour exprimer le visage et les mains (lesquelles attestent la présence de doigts, à peine esquissés). Même s’il lui arrive de céder au rendu réaliste, c’est le cubisme qui reprend le dessus. Techniquement, l’artiste affectionne le bronze. La technique usitée est celle « à cire perdue».
FRANҀOISE BARON, comme tout artiste qui se respecte est « passeuse de culture ». Par la maîtrise de son art, elle ressuscite une époque de très haute culture, témoin des bouleversements majeurs d’un 20ème siècle en formation. Gageons que cette résurrection artistique, associée aux nécessités de notre temps, l’amènera vers d’impossibles contrées.
Collection "Belles signatures" © 2021 Robert Paul
N.B. : Ce billet est publié à l'initiative exclusive de ROBERT PAUL, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
Robert Paul, éditeur responsable
A voir:
Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
L'artiste FRANCOISE BARON et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
Photos de l'exposition de FRANCOISE BARON à l'ESPACE ART GALLERY
Commentaires
À l’espace Art Gallery on y danse, on y danse comme sur le pont d’Avignon ! Effectivement, c’est ce qui se ressent à y voir les œuvres de l’artiste Françoise Baron, notamment le Rock Bronze et Danseurs. Ensembles, le violoncelliste donne la sérénade aux Demoiselles d'Avignon qui s’acheminent vers la passerelle où il y’a le prestige de la constellation cubiste. En ce sens, Françoise Baron subie l’influence exercée par le cubisme sur ses contemporains et jusqu’à ce qu’elle soit l’héritière. A mes ami(e)s belges je dédicace cette citation du poète Guillaume Apollinaire (1880-1918) au sujet des peintres cubistes : « Le cubisme est l'art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés non à la réalité de vision, mais à la réalité de conception ». Alger, Louhal Nourreddine, le 12 novembre 2021.
Merci d'avoir partagé ce billet qui permet de découvrir la puissance de ce magnifique talent!
Voir: Dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
Interviews et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art François Speranza
C'est par ici
L’artiste française Françoise Baron a exposé ses œuvres dans la galerie en 2021. Et son billet d’art du critique d’art François Speranza sera publié dans le « Recueil n° 10 de 2021 » par « Les Éditions d’art EAG » dans la Collection « États d’âmes d’artistes » en 2022.
Lien vers la vidéo lors du vernissage de son exposition dans la galerie :
https://youtu.be/SzkqkIwr1zs