Sempé (1932-2022)
Le vrai bonheur des joies simples.
Paula ouvrit la fenêtre.
L’air frais entra dans la pièce, lui caressant le visage, amenant avec lui le subtil parfum des roses qu’elle avait achetées et choisies avec minutie, mais en regardant celles qui étaient en promotion et qui l’attiraient par leur parfum et leur beauté. C’était…son petit moment de bonheur.
Dans cette ville, l’ensemble des immeubles rendait les rues sinistres. Les rayons du soleil ne franchissaient ce lieu, tout y était triste, désolant, démoralisant, pas de promeneurs, ni d’enfants y jouant, le silence était accablant. Des fumées nauséabondes sortaient des cheminées et des pots d’échappement. Personne ne s’attardait dans cet endroit malsain, tous pressaient le pas pour renter. Pourtant la vie était présente.
Le supermarché tout proche était pour Paula un lieu clair, lumineux et plein de vie. Le rayon des légumes, regorgeant de marchandises, ressemblait à un arc- en- ciel aux couleurs attirantes. Elle se dirigeait vers le rayon des vins, où, dans des caisses de bois clairs, reposant sur de la paille comme dans une crèche, des vins millésimés trônaient. A leurs côtés, les vins rouges, blancs et rosés étaient alignés comme à la parade. Des vins provenant de domaines, châteaux et autres régions, elle s’y voyait en rêve, se promenant dans les vignes. Tout en flânant, elle cherchait à accrocher du regard des clients pressés de rentrer après le travail. Ils déambulaient, hagards, certains, leur papier de courses à la main, penchés sur le chariot, contrôlant s’ils avaient tous les articles inscrits. Absorbés par leurs occupations, ils ne voyaient pas Paula. Elle se sentait seule, au milieu de cette grouillante agitation. Aussi, instinctivement, elle se réfugiait dans son secteur préféré, la jardinerie.
A la jardinerie, Paula dénichait souvent, tantôt une petite plante qui fleurirait plus tard, tantôt un arbuste orgueilleux, de fière allure, quand ce n’était pas une grenouille en céramique ou un nichoir joliment décoré.
En effet, Paula avait son secret: son jardinet. Tout y était placé avec goût, harmonie et formait un panel de couleurs se côtoyant, donnant un spectacle féérique. Au printemps, une multitude d’oiseaux se prélassait dans une vasque bleu azur, prenait son bain et chantait ses plus belles mélodies.
Paula était toujours radieuse et en extase devant toute cette splendeur, qui lui procurait un bonheur indéfinissable, c’était un moment magique. Lorsque le soleil trouvait le chemin de cet écrin protégé, Paula tombait sous le charme de cette luminosité chatoyante. Elle était en symbiose avec son petit coin de paradis. Pourtant, quelques années auparavant, elle aurait pu déménager vers de vertes contrées ! Des promoteurs proposaient une belle somme pour sa maison. Rasée, elle aurait été absorbée par un glauque univers de béton. Paula avait vaillamment résisté, préférant vivre entre les murs qui avaient vu naître ses ancêtres. Ses souvenirs ici gravés, les gloutons étaient restés sur leur faim.
Hors du temps, loin du monde, dans sa bulle de bonheur, au cœur de la grande ville, Paula, chaque jour, après un petit déjeuner rapidement expédié, se précipitait pour ouvrir la porte donnant sur le jardinet et, descendant les quelques marches, s’évadait, profitant des rayons du soleil éclaboussant de lumière son minuscule espace de vie. Heureuse d’être là, les bras levés, remerciant le ciel d’avoir ce vrai bonheur offert par ce lieu privilégié.
Le vrai bonheur des joies simples.
Ecriture à 7 mains, au départ d’un texte de Liliane Magotte, sur une illustration de Jean-Jacques Sempé.
Atelier d'écriture de la Seigneurie. ASBL Sensation Art, Verviers.
Commentaires
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SERGE MIESSEN