Emile Mâle
On peut considérer comme faisant un tout, et, à cet égard, les étudier ensemble, les trois volumes d'Emile Mâle (1862-1955) consacrés respectivement à "L' art religieux du XIIe siècle en France", étude sur les origines de l' iconographie du moyen âge, à "L' art religieux du XIIIe siècle en France, études sur l' iconographie du moyen âge et sur ses sources d'inspiration (1898), et à "L' art religieux de la fin du moyen âge en France" (1908).
Lorsque Emile Mâle a écrit le premier de ces ouvrages, -qui est celui sur l' art du XIIIe siècle, qui fut sa thèse de doctorat, -la science iconographique, dont il est en France le créateur et le maître incontesté, n'existait pas encore. L'effort du grand historien de l' art fut donc pour étudier et interpréter les monuments à la lumière de l'histoire, de la symbolique, en recherchant dans tous les documents de l'époque, les informations qui pouvaient éclairer l'archéologie.
Si Emile Mâle commença son étude de l' art chrétien du moyen âge par le XIIIe siècle, pour revenir plus tard au XIIe, c'est parce qu'il était porté par son instinct vers ce siècle où "tout est ordre et lumière". L' art du moyen âge est essentiellement symbolique et la forme y fut presque toujours l'enveloppe de l'esprit, et les artistes aidés, conduits par les théologiens, concourent, eux aussi, à cette "spiritualisation" de la matière, qui est le caractère essentiel de l' art médiéval. La littérature sacrée et profane de l'époque contient donc les thèmes de ces représentations que les clercs conseillaient et expliquaient aux artistes. C'est par là que la cathédrale fut, pour les hommes de ce temps, comme le dit très bien Emile Mâle, "la révélation totale". Les fidèles étaient l'humanité, la cathédrale était le monde, et l'esprit de Dieu emplissait à la fois l'homme et la création. Le mot de saint Paul devenait une réalité: on était, on se mouvait en Dieu.
Cette étude achevée, Emile Mâle s'est retourné vers le siècle précédent, plus complexe, car il était encore tout emmêlé d'influences orientales. Les miniatures à cette époque ont joué un grand rôle, sur le développement et l'évolution de la sculpture. L'auteur passe en revue à cette occasion, les différents manuscrits à miniatures qui ont fourni des modèles aux artistes, les manuscrits syriens, grecs et byzantins, aussi bien que les manuscrits européens. Il montre ensuite quelle influence eurent, sur la constitution des thèmes iconographiques, la liturgie d'abord, puis le culte des saints. Les pèlerinages sur les routes de France, d'Italie et d'Espagne, ont participé également à la création de l' iconographie, telle qu'on la rencontre dans la sculpture et la peinture. Les savants enfin, et les Ordres monastiques, ont achevé de modeler l' art de ce siècle, qui fut surtout un art monastique, non sans doute que tous les artistes d'alors fussent des moines, mais c'étaient presque toujours des moines qui leur dictaient leurs sujets.
Le troisième volume de ce "cycle", "L' art religieux à la fin du moyen âge", dégage les caractères généraux d'une esthétique qui d'une part, entre dans le cadre d'influence de l' art italien, qui, d'autre part, emprunte bon nombre de ses sujets et de ses représentations au théâtre religieux, lequel commence à prendre une place importante dans la vie des hommes du moyen âge dès le XIVe, et surtout au XVe siècle. Le pathétique enfin se présente avec toutes ses expressions les plus dramatiques, de caractère presque "baroque" déjà, et très différent de la discrétion, de la mesure qui gouvernaient les siècles précédents. C'est un autre monde, en somme, qui s'élabore, -le monde d'où sortira la Renaissance et dans lequel elle se prépare déjà, -en donnant une nouvelle image et une nouvelle signification de la destinée humaine. L' art religieux médiéval reçut du fait de la Renaissance et surtout de la Réforme, un coup sévère, mais ces modifications de la pensée et du sentiment, qui auraient pu lui être préjudiciables, ne firent que donner un élan nouveau, et plus puissant, à cet art chrétien, au cours du XVIe et du XVIIe siècles: c'est qu' Emile Mâle démontre magistralement dans son livre sur "L' art religieux après le Concile de Trente".
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