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L'arrache-cœur de Boris Vian

12272728292?profile=originalC’est un roman de Boris Vian (1920-1959), publié à Paris aux Éditions Vrille en 1953.

 

Le titre du dernier roman de Boris Vian renvoie à l'un de ses premiers, l'Écume des jours, dans lequel Alise usait d'une arme étrange, "l'arrache-coeur", pour se venger de Jean-Sol Partre et des libraires qui vendaient ses oeuvres au crédule Chick. Ici, l'intitulé n'évoque plus un objet, mais un comportement: celui d'un village où chacun, à sa manière, s'est vidé de tout sentiment d' amour du prochain...

 

Première partie. Ce 28 août, Jacquemort, psychanalyste de son état, aide Clémentine à accoucher de "trois jumeaux", les "trumeaux" Joël, Noël et Citroën... A Angel, le père, en butte à l'hostilité de l'accouchée, Jacquemort confie son projet de "psychanalyse intégrale": se nourrir des passions et des désirs d'autrui. Au village, les paysans organisent de sordides "foires aux vieux" et maltraitent les jeunes apprentis. L'idée de honte les insupporte et ils s'en délivrent en rémunérant avec de l'or qui a perdu toute valeur d'échange, La Gloïre voué à récupérer avec ses dents "les choses mortes" qu'ils jettent dans un étrange "ruisseau rouge". Le curé fustige le matérialisme paysan et organise des messes à grand spectacle: la religion doit être "un luxe". Quant à Jacquemort, il doit se contenter de lutiner la bonne, Culblanc, à défaut de pouvoir l'analyser.

 

Deuxième partie. Clémentine comprend que ses enfants deviennent autonomes. Jacquemort, toujours en quête de clients, entre dans la peau d'un "chat noir". Le "27 juinet", il surprend le brutal maréchal-ferrant en train de copuler avec un androïde, réplique exacte de Clémentine, à l'heure même où celle-ci connaît l'extase solitaire chez elle. Angel prend la mer sur un bateau à pattes de son invention. Et Clémentine décide de se dévouer corps et âme à ses "trumeaux".

 

Troisième partie. Quelques années plus tard, les enfants s'amusent dans le jardin: ils avalent des chenilles bleues qui leur permettent de s'envoler. Au village, le curé organise des matches de boxe pour prouver l'existence de Dieu: il se bat contre son sacristain diabolisé pour la cause et le vainc par tromperie. Clémentine, de plus en plus angoissée, imagine les dangers qui guettent Citroën et ses frères, jusqu'aux plus invraisemblables. Elle fait abattre les arbres du jardin, puis finit par enfermer les "trumeaux" dans des cages douillettes pour qu'ils ne puissent plus s'envoler. Jacquemort a enfin trouvé un client à psychanalyser: La Gloïre dont il prend bientôt la succession.

 

Curieux village qui tient lieu d' utopie négative (enfants maltraités, vieillards humiliés et vendus, violence primaire incontrôlée, etc.) et à l'orée duquel s'étend le jardin de Clémentine, petit paradis où les "trumeaux" s'adonnent à la découverte de la nature et vivent des expériences "fantastiques"; jusqu'au moment où leur mère croit déceler dans ce hâvre de paix les pires menaces pour ses enfants, imaginant, par exemple, "[qu'ils] creusent un peu trop profondément dans le jardin, que le pétrole jaillisse et les noie tous". Comportement de mère abusive qui, pour préserver la vie de sa progéniture, en va jusqu'à les priver de liberté. Démonstration qui, selon une pratique chère à Vian, pousse une logique jusqu'à l'absurde.

 

Un absurde qui se teinte aussi bien des couleurs de la fantaisie - la néologie botanique, le merveilleux enfantin, etc. - que de l'horreur - la "foire aux vieux" - et qui permet à l'auteur, comme dans la tradition du conte philosophique, de délivrer un message sans en avoir l'air. A ce jeu-là, Vian excelle: un coup pour l'Église, ridiculisée en la personne d'un curé bonimenteur, boxeur et tricheur, et qui n'a aucune valeur à incarner; un autre pour la psychanalyse, moderne religion, réduite à la figure d'un voyeur lubrique, "capacité vide" en quête de quoi se remplir; un troisième pour l'amour abusif qui n'est qu'un masque à l'égoïsme et au désert affectif. A la fin de ce chamboule-tout, que reste-t-il? Une vision qui serait désespérante si l'écriture de Vian ne suscitait sans cesse rire et sourire.

 

Du calendrier en folie - "39 juinaoût", "73 févruin", "347 juillembre", etc. - au décor que poétisent les fleurs et les oiseaux aux noms-valises - "brouillouse", "béca-bunga", "maliette", etc. -, tout est fait, comme dans les contes merveilleux, pour gommer la réalité: rien de surprenant que l'on croise dans le roman un chat noir comme échappé de chez Lewis Carroll. Il n'en reste pas moins que, dans cet univers imaginaire comme dans le nôtre, dès lors que les valeurs manquent et laissent la place au vide, l'état de nature reprend le dessus - et il n'a rien de la vision paradisiaque qu'en donne un Rousseau!

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