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La vie est mal faite.

La vie est mal faite. 

 

Bernard et Julien étaient des amis « à la vie à la mort ! ». Les indiens, paraît-il, se transfusaient une goutte du sang de l’autre, c’était une forme de serment. A vingt ans, on le sait, beaucoup de serments sont échangés.

Ils avaient rencontré Cécile lors d’un thé dansant. Tous d’eux s’en étaient immédiatement épris. Bernard parce les femmes sexy l’aveuglaient, et Julien parce ce qu’il portait autant d’amour à l’amour qu’aux femmes qui le suscitaient.

Julien se souvenait encore de leur première danse. Il avait tenu Cécile entre les bras mais il avait veillé à ce que sa poitrine reste éloignée de la sienne. Il ne voulait pas qu’elle puisse penser que c’est son corps qu’il désirait, ni qu’elle puisse sentir la vigueur de son sexe tendu.

Bernard, au contraire, c’est son corps, pensait-il, qui était le meilleur messager auprès d’une femme. Aucune femme, prétendait-il, ne se sentait offusquée par les désirs qu’elle inspirait. Il dansait corps contre corps. Si sa cavalière s’écartait, il revenait à la charge. Puis, si c’était sans succès, il changeait de cavalière.

Cécile était jolie. Aguichante, elle regardait les hommes, les yeux largement ouverts, le regard d’une naïveté si évidente qu’elle apitoyait tous ses professeurs masculins. Et les jeunes gens. Les hommes plus âgés, elle les excitait pour mesurer son pouvoir de séduction. Mais rien de plus.

Bernard avait la corpulence qui correspondait à son caractère extraverti, à son goût des défis en matière de conquêtes féminines, à son souci constant de paraître le plus fort. Un peu enveloppé, il prétendait que ce n’était pas le gras propre aux gourmands mais le muscle des sportifs. Il accentuait son image en protégeant de plus faibles que lui. En l’occurrence, c’était Julien dont il était l’ami et le mentor. C’est à Julien qu’il confiait ses prouesses

Le caractère façonne l’apparence. Souvent quoi qu’on en dise. Julien était maigre, économe de ses gestes, il avait le regard noir et scrutateur. Discret de nature, il se voulait efface. Il répétait les mots d’une chanson quasi philosophique qui impressionnait les jeunes filles :

- Je partirai comme je ne suis jamais venu. 

C’est tout naturellement Bernard que Cécile avait épousé. Alors que c’est de Julien qu’elle était amoureuse. Elle était peut être persuadée que de cette manière, ils ne seraient jamais très loin l’un de l’autre. La vie est ainsi faite.

Au retour de leur voyage de noces, Bernard s’était confié à Julien.

- Pas terrible. Elle est douée, c’est vrai. Mais il faut tout lui apprendre. D’un côté tant mieux, elle veut tout savoir. Mais les nuits en sont plus longues.

Les filles se font souvent des confidences de même nature.

Julien était resté célibataire. Il avait son couvert chez Bernard et Cécile. En retour, il leur disait ce qui était juste ou non. C’était Cécile, surtout, qui écoutait ses propos avec intérêt, les yeux fixés sur lui, le menton appuyé sur la paume de la main droite.

En revenant chez lui, Julien imaginait avec beaucoup de détails, la manière dont Bernard invitait sa femme à se mettre au lit. C’était mettre du sel sur une blessure ouverte. Dans les romans, on tue pour beaucoup moins que cela.

Cet été là, Bernard et Cécile l’avaient invité à les accompagner au Club Méditerranée. Signe de la paix  pour ces amis de toujours. Bernard pouvait faire la cour à d’autres filles pendant que Julien tenait compagnie à Cécile. Parfois cependant après le repas Bernard et Cécile se retiraient dans leur case pour ce qu’ils appelaient en riant une sieste crapuleuse.

-Tu viens avec nous ?

Julien, une fois de plus, l’aurait tué. Il riait, mais le ventre brûlant, il se ruait dans la mer.

Au retour, il acheta un revolver. Il le rangea dans un tiroir dans l’attente d’une poussée d’adrénaline qui lui obscurcirait le cerveau.

Un jour, sans même qu’elle l’ait prévenu, Cécile avait sonné à la porte de son appartement. Elle entra, elle paraissait exténuée.

- Je n’en peux plus, Julien. Il a découché sans rien dire. Il a rencontré une autre femme.

- Mais non.

- Il y a quinze jours qu’il ne m’a plus touchée. Je ne lui plais plus?

Il lui avait serré les bras. Plus tard, il s’était demandé si c’était pour la réconforter ou pour qu’elle puisse s’abandonner contre lui.

Elle avait les larmes aux yeux.

Bernard ne prenait plus de précautions, il découchait souvent. Il riait lorsque Julien suggérait qu’il courrait des risques quant à leur union. Parce que Julien avait évoqué les larmes de Cécile, il avait répondu :

-Tu n’y connais rien aux femmes, Julien.

Le lendemain, il avait le regard triomphant du mari comblé. D’une tape sur l’épaule, il avait rassuré Julien.

- Je te l’avais dis, tu n’y connais rien aux femmes. Il serait temps, pourtant.

Il se pencha vers lui.

-Quel tempérament ! Le manque nourrit le besoin, n’oublies pas Julien.

Une fois encore, Julien avait souhaité sa mort. Parce qu’il avait trompé Cécile ? Parce que le raisonnement de Julien était faux ? Il ne savait pas.

Cécile venait chez Julien à chaque fois qu’elle avait besoin de parler. Lorsqu’elle se décida enfin à se séparer de Bernard, c’est chez Julien qu’elle était venue en premier.

- Tu comprends. J’ai reçu une lettre anonyme. L’adresse de sa maitresse. J’y suis allée. Elle était en peignoir, et lui, au fond de la pièce, affalé sur un divan, il était nu.

Cécile était libre désormais. Julien quant à lui n’était plus lié par l’amitié. Elle s’abandonna contre lui. Il la repoussa tendrement.

- Il faut réfléchir, Cécile. Aujourd’hui, tu réagis comme ça mais demain ?

Elle partit sans fermer la porte.

Ce n’était ni la timidité ni l’amitié qui retenait Julien, c’était la lâcheté. Autant elle l’avait aimée, autant elle le haïssait. Il n’était pas réfléchi, il était calculateur. Ses caresses, elle n’en voulait plus. Mais, du coup, elle avait le sentiment d’avoir été abandonnée deux fois.

Il y a toujours un homme disponible pour soutenir une jolie femme dans le malheur. Cécile prit un amant.

- Elle a un amant.

Julien en parla à Bernard. Bernard opina de la tête.

- Ma parole, tu es jaloux. Puisque tu l’aimes, profites-en. Elle vaut le coup, tu sais. Je te confierai quelques trucs qui la font sauter de plaisir.

Un verre de whisky suffit à rendre raisonnable une idée folle. Julien pensa que c’est l’amant qu’il tuerait. Julien se dirigea vers le tiroir où il avait rangé le revolver. Puis, il téléphona à Cécile.

- Je veux te voir Cécile.

- J’attends quelqu’un.

- Je viens.

Elle était belle. Elle n’était pas effrayée. Face à face, il lui dit qu’il la voulait.

- Jamais.

 Ce fut comme un viol. Elle gémissait.

Rentré chez lui, Julien revit la scène, les coudes sur la table. Il avait déposé le revolver devant lui. Il glissa le canon dans la bouche, et fit feu.

Durant ce temps, Cécile revivait la scène également. Elle venait de retrouver le Julien amoureux dont elle avait toujours rêvé. Rien qu’eux deux désormais, et pour toute la vie.

La vie est mal faite. 

 

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